Découvrez le travail contemporain de Laurent SERRE
Aprés avoir découvert avec bonheur la matière, bois, soie, acier, émail, osier, laine et argile pendant mes années de collèges et de lycée, j'ai croisé un jour un vieux cartable de cuir dans un grenier. Une sensation particulière s'en est échappée , a pris possession de mes mains, et s'est répandu dans mes veines. J'ai été happé, conquis, envouté sans espoir ni volonté de rémission. La peau a affecté mes sens, pris ses quartiers dans mon être tout entier.
Une route s'est ouverte, de découvertes, d'apprentissage, de patience, de déconvenues parfois, de plénitude souvent avec comme seul maître le Cuir et le tannage végétal. Apprendre à le choisir en fonction du travail, chiner ou créer des outils, sentir comment les utiliser, développer des expériences, glisser d'une tentative à une autre, apprendre sans jamais savoir. Investir dans un outil ancien, beau et efficace, chercher des livres techniques du début du siecle dernier, être habité par ce monde en permanence.
La gravure est venue agrémenter les petits objets utilitaires, ceintures, sacs, boites de cigares, dessous de verre et boucles de ceinturons, puis elle a pris plus de place, plus de format et plus de temps, jusqu'à s'installer seule à la table de travail.
Le cuir végétal est devenu mon support de prédilection, ancestral, chargé d'histoire et d'odeurs de tannins, répondant à l'eau et au modelage, piégeux et vivant, souple et parfumé. Un rapace qui plane, un guépard qui s'éveille, une voile qui prend le vent, une maison Basque qui prend forme sous mes yeux, une femme qui se peigne ou qui danse...une préférence pour la nature et ses spectacles vivants, une apétence pour tout ce qui se grave, se repousse, s'encre et s'ombre.
Un rouleau de cuir et une trousse d'outils choisis, tiennent facilement dans une valise et trés rares ont été mes déplacements et voyages qui se sont passés sans eux. Beaucoup de mes pièces on été travaillées sur la tablette d'une chambre d’hôtel, ou le coin cuisine d'un studio, de la Sarthe à la Gironde, de l'Amérique latine à l'Asie. En cours de vie et de voyages, j'ai perdu des amis et des illusions, mais la présence puissante du cuir elle, ne m'a jamais quitté.
Je ne me sens pas attiré par la création artistique, je suis seulement habité par une passion qui a pris les formes les parfums et les reflets d'une matière qui a pris possession d'une partie importante de ma vie, et que je tente de respecter et d'honorer à chaque pièce.
Je travaille désormais avec un couteau à graver sur du cuir pleine fleur et un pyrograveur sur des croutes (refente) de cuir, toujours tannage végétal parce qu'il répond à l'eau et permet le modelage. Les teintes que j'utilise, hormis les pigments végétaux, thé, brou de noix, ... sont désormais des encres de Chine, qui laissent apparaitre sous la teinte le grain de la matière.
En plus de 45 années, j'ai pris le même plaisir à sentir, graver et peindre quelques 400 pièces sans compter les objets usuels de mes débuts, d'un format compris entre env 18 x30 cm à env 75 X 120 cm, et quelques basanes de mouton entières. Je continue avec le même bonheur à découvrir à chaque nouvelle pièce ce que ce monde offre de diversité, de douceur, de surprise et de beauté.
Je ne pense pas avoir eu de démarche artistique, pas consciente, ni dirigée. je me suis donné à une envie puissante de faire executer par mes mains, ce que je ressens, à travers le cuir que je considére comme autre chose qu'une simple matière. J'ai effleuré beaucoup de matières, je les ai tous apprécié, mais sans jamais tomber en amour avec aucune.
C'est arrivé avec le cuir, ce qui n'est pas explicable. Dans les années 70, le cuir était rare et cher, innaccessible pour le commun des ado, peu ou pas de "clubs" comme l'on pouvait en trouver de poterie, d'émaux, de peinture sur soie etc.
Cela a donc été difficile, de se le procurer, sans être un artisan, sans maître, et sans raison autre que ce ressenti puissant que me procure encore aujourd'hui le cuir entre mes mains.
Le chemin a été totalement libre, lent, étonnant parfois, toutes mes "techniques" se sont baties sur des erreurs, des ratés.
Ma principale force sur cette route a été l'envie de faire, d'essayer et de refaire encore, sans objectif autre que le plaisir de travailler du cuir. Mon autre force a été de ne pas rester longtemps sans le travailler, de garder mes mains et mon esprit en phase, être capable de graver une ligne vue que l'on ne voit plus, de mémoire, ne plus trembler, être précis.
Avec les années j'ai développé la capacité à me faire encore plus plaisir, à aimer le résultat tout en restant critique et mesurant la marge de progrés.
La plénitude que me procure la gravure et la peinture à l'encre sur du cuir végétal est probablement le seul style et la seule démarche qui m'aient jamais guidés.