Découvrez le travail contemporain de claude chamartin

Il ne se souvient plus très exactement depuis quand il étale de la couleur, non pas en raison d'une éventuelle perte partielle de mémoire, mais parce qu'aussi loin que ses souvenirs se promènent, il avait déjà le goût de la surface colorée… Chamartin cependant, tente rapidement quelques incursions dans le «non figuratif» mais n'ose pas encore orienter son travail dans cette voie qu'il juge trop exigeante et pleine de pièges… Il ressent pourtant ses plus grandes émotions devant des œuvres dites «abstraites»… Il dirige pourtant progressivement son travail vers le non figuratif depuis plus d'une vingtaine d'années, en espérant un jour s'y trouver légitime…

Des guides talentueux admirés comme, Rothko, de Staël, Motherwell, Vieira da Silva, Bram Bogart, Tapiès, Bacon et de nombreux autres lui donnent envie de poursuivre la route même si les écueils sont nombreux et parfois décourageant…!

Une carrière chronophage dans l'industrie durant de nombreuses années limite ses ardeurs créatrices puis vient enfin le temps où ce dernier est exclusivement dédié à la démarche artistique.

Dans l'atelier, une ambiance de travail musicale selon l'humeur du moment oscille entre musiques baroques, mélodies électroniques, soul et rhythm and blues remplit les lieux, comme un immuable rituel.

La messe peut alors commencer... C'est l'instant du choix des teintes et des nuances, volontairement restreintes à deux ou trois, (au moins dans un premier temps), qui guideront le travail des heures et/ou des jours, voire des semaines à venir (souvent le travail est laissé et repris quelque temps plus tard)… Cependant, si celui ci n'est pas conforme au projet en préparation ou possiblement utilisable ultérieurement), rien ne verra le jour et l'issue sera fatale pour le travail réalisé.

Quelques mots qui l'ont touché, jetés au hasard :

-Des travaux organisés comme des brouillons de création, comme si l'éventuel créateur s'y était repris à plusieurs fois, comme si la mort devait précéder la vie, comme si le temps ne devait rien au temps.

-Des fragments isolés dans un tout qui cherche encore sa vérité. Un raccourci où nous sommes tous impliqués, ne pas s'y trouver serait inévitablement se perdre.

- Les mains jointes et les yeux collés, ils se regardent l'intérieur, persuadés qu'ils sont, d'y découvrir un «autre», meilleur.

- S'étaler encore humide et sanguinolent sur un ventre douloureux que le temps sans tendresse a voulu provisoire.

- Chamartin retrouve au cours de ses voyages épuisants les craintes et les désirs du premier cri.

- Des attentes comme des pierres précieuses qui palpitent au dedans et que rien ni personne ne vient déranger, hélas.

- Il y a de l'urgence et de l'impatience dans les réalisations de Chamartin, comme si le temps menaçait de venir à manquer, plus tôt qu'envisagé...

Quelques réflexions sur l'impérieuse nécessité de poursuivre… !

- Il en faut de la naïveté et de l’opiniâtreté maladive pour envisager un chemin où d'autres mieux préparés et plus talentueux ont dû se résoudre à l'abandon...

- La fatigue et le désenchantement sont les plus fidèles «moteurs» de la poursuite d'une démarche créative. Le bonheur ne peut pas être de la partie…!

- Il est très admiratif devant celles et ceux qui réussissent à «dérouler» leur travail, encombrés d'une famille aimante…

- Il lui semble qu'aujourd'hui il a plus d'exigence avec son travail et beaucoup plus d'indulgence avec celui de ses amis… Sans doute la bienveillance de l'âge…! La vie est bien faite, c'est la même chose pour eux, sans aucun doute…

Il a de la reconnaissance pour celles et ceux qui l'ont avec insistance conseillé d'arrêter de peindre tant ses compétences semblaient bien pauvres et limitées… Grâce à eux, il a travaillé plus encore pour peut-être un jour les prendre dans les filets sentimentaux de son travail… Il se surprend parfois à les entendre flagorner à l'endroit de son travail… C'est une éventualité qui l'amuse…

Ils sont encore légion (ndl'a…!), cela lui garantit, encore, une très longue période de travail acharné et de sereine humilité …!

Le temps coule et l'urgence de proposer «à voir» se fait plus insistante, non pas pour les faibles lueurs des petits succès d'estime, connus et inutiles, mais bien pour requalifier un long cheminement vers l'évidence, la force vitale de la couleur ne peut rester un plaisir solitaire d'atelier… Ce dernier reste bien sûr essentiel et même grandissant, mais le partager paraît lui donner une énergie nouvelle. Il ne s'agit pas d'enseigner une pratique ou quelques tours de passe-passe visuels dûs à l'ancienneté d'une gestuelle maîtrisée, mais de se glisser dans une autre pupille pour appréhender une autre manière de regarder et transmettre sans trahir… Un peu comme prendre la main de l'autre et se laisser guider à son rythme et aux envies qui l'animent. Le moyen d'envisager encore une possible suite à l'aventure...

Il est d'ordinaire content lorsqu'il arrête une séance de travail, le lendemain est plus censeur… Le tri se fait et peu survivent à sa critique… Il y a des lendemains qui ne sont pas gais, alors il se remet à l'ouvrage et se dit qu'il se trouvera bien des couleurs complices pour enjôler «l'homme du lendemain» si intransigeant, à juste titre…!

Il peint comme d'autres jouent pour conserver le mystère des joies de l'enfance, simples et violentes. Il se dit: «écorcheur de songes», pour s'assurer du tumulte sous les peaux qu'il croise…

«Se glisser dans le regard de l'autre pour partager son émotion d'enfant...»    C.C.

Peinture non figurative -

Chamartin, Peindre l'expérience du temps

Le travail de Chamartin me fait penser à une pièce de musique Baroque : chaque fois que vous la réécouter, vous découvrez plus de nuances et de nouvelles tonalités… Comme si chaque regard parcourait différemment la surface peinte, comme si une autre invitation vous permettait une autre approche…
Si l'on peut qualifier la peinture de Chamartin d'abstraite (non figurative serait mieux approprié, tant elle foisonne d'énergie vitale), celle-ci se révèle également tour à tour minérale, climatique, squelettique ou épidermique. C'est en effet par un travail plastique sur la peau que l'artiste a développé cette esthétique de la coulure et de la trace qui est la sienne. Des cicatrices aux marques laissées par les caresses et les griffures, qu'elles soient celles d'un corps ou celles du temps, le peintre s'est ainsi attaché à rendre compte de l'épiderme comme surface d'imprégnation du vécu, travail qu'il poursuit aujourd'hui dans des compositions plus minérales où se conjuguent l'extériorité du monde physique et l'intériorité du peintre.
Depuis quelques années, à l'aune de cette interprétation, les peintures abstraites de Chamartin peuvent alors être appréhendées comme des paysages intérieurs. A moins qu'elles ne soient l'expression d'une nature universelle. A ses formes géologiques que l'on retrouverait dans les traînées de sédiments sur les roches ou dans certaines fossilisations de coraux, l'artiste semble ainsi donner à voir leur équivalence mentale et spirituelle. Incrustations de motifs tubulaires et coulées chromatiques peuplent dès lors les dernières compositions de l'artiste et paraissent raconter la formation du monde. Le temps pictural de ces traînées ou éclats de peinture comme de ces formes dont le papier semble avoir conservé l'empreinte rejoint ainsi celui du biologique et du minéral. Comme dans la nature, chaque œuvre conjugue impulsion créatrice et mouvement autonome d'une matière en perpétuelle expansion.
Il semble donc que le temps soit au cœur du travail de Chamartin. Celui de la peinture bien sûr, mais aussi celui de l'homme qu'il donne à voir avec ses peaux et les crânes de la série Portraits de famille, comme celui à l’œuvre dans la nature. Une œuvre qui nous invite également à prendre le temps d'une contemplation qui, au-delà de l'expérience visuelle, se fait habitation et imprégnation.

Bertrand Naivin (critique d'art) - septembre 2022