Découvrez le travail contemporain de Gérard Pacaud
Mon enfance vendéenne pauvre et campagnarde a connu tous les parfums colorés des prairies alluviales de la Loire, ses fleurs et ses troupeaux, dans un émerveillement renouvelé. J'ai aimé les tempêtes océanes, brutalité des pluies d'orages et fulgurance des éclairs dont je m'abritais sous ma cape bleu de gros drap. J'ai joui, impatient du rythme des saisons.
Je suis né un crayon à la main, j'ai colorié des fins de cahier et des feuilles éparses, mauvais papiers, trésors sans prix. J'ai tracé et recopié des images dans les marges de mes livres, vivant ces minutes de liberté comme un forçat heureux.
L'adolescence fut une quête vagabonde, mon premier Musée, Cantini à Marseille, m'apporta ma première émotion profonde devant une rétrospective de Vincent Van Gogh. J'ai commencé à peindre et je n'ai plus cessé, bientôt soixante-dix ans de quête d'un Graal heureusement insaisissable : l'enfouissement dans les formes et les couleurs avec comme mentor bienveillant un frère de dix ans mon aîné, premier prix des beaux-Arts de Nantes.
Chance ou malchance, j'aimais aussi beaucoup l'école. Je me suis alors engagé dans des études de médecine, de sciences et de biologie. A vingt-cinq ans je dus "choisir" un vie double associant mes deux passions. Le monde des cellules et le monde cosmique rajoutaient à ma perplexité d'innombrables questions. Je décidais donc d'en peindre mes perceptions; j'ai alors pratiqué la médecine, l'enseignement de la biologie et la peinture sur la même longueur d'onde, avec des fréquences différentes.
Médecine, peinture, biologie, astrophysique ne s'exercent pas comme métier. Ce sont des passions où la raison grignote sa part, toujours en marge des corps et des institutions constitiués. Un jour on cède, on aime trop ce sentier rocailleux qui mène à l'isolement, à la méditation, à la peinture, à l'écriture. Un jour on emmêle tout et on s'exprime, au mieux. Notre imagianire produit de la vie, du sens.
J'ai exposé beaucoup pendant les temps libres accordés par une profession exigeante. Mauvais marchand, j'ai vendu au hasard des rencontres. Mon oeuvre depuis vingt ans a pris des dimensions importantes et reste offerte.
L'envie de peindre n'est pas dans ma tête mais au bout de mes doigts qui la transmettent au pinceau ou à tous les outils disponibles.C'est le corps du peintre dans son unité qui est animé du désir de peindre. Peindre est toujours un pacte, sans doute un pacte d'amour, avec mon corps, avec l'Autre attendu.
Je voudrais oeuvrer pour qu'un petit coin du voile se lève. Ma confiance est sans limite. Je ne suis jamais déçu mais toujours renvoyé à la toile blanche, au manque de plénitude. Qui saura lire la souffrance de l'imperfection et du manque que chaque trait tracé, que chaque touche de couleur apposée, assume pour moi? Qui saura y projeter son désarroi pour que je le vive comme un signe, une aubaine de rencontre?
Je peins. C'est une pulsion dans l'absurde.
Je peins au-delà de l'entendement, loin du raisonnement, dans une conscience du réel exprimée par mes couleurs et mes formes, dans une langue sans parole qui est bel et bien le domaine de l'absurde. L'étymologie latine nous le confirme, les arts picturaux sont au-delà de l'entendement, ils sont "oubli de la parole"au profit d'une autre conscience du réel.
Cet absurde nous contraint car il impose le corps et sa structure cellulaire, il impose l'espace et ses cosmos multiples comme lieu de ce réel incontournable qui nous invite à la rencontre où les parole sont insuffisantes. Il faut alors se saisir des formes dessinées et des couleurs dispersées selon les multiples techniques pour donner à voir. La représentation n'est pas de mise. l'affrontement entre peinture figurative et peinture dite abstraite devien caduque.
Peindre est alors ce moyen d'exprimer l'homme livré au monde réel dans sa globalité, dans son immensité, dans son intimité inouïe.
Et beaucoup plus.
Car la vie a précédé l'homme, elle a pris de l'avance et nous sommes traversés par ce grand souffle que prodigue l'évolution depuis trois milliards d'années. Nos langages ne sont que faibles rumeurs dans le grand maelström des innombrables formes en remaniement constant.Les couleurs et les mille formes possibles s'imposèrent avant même que que l'idée 'homme n'émerge au sein de ces milliards de transformation ininterrompues sur ces milliards d'années.
Peindre est dès lors au coeur même de l'absurde et devient l'expression du plus intime des héritages, celui que nous délivrent toutes les espèces qui nous ont précédés. Peindre c'est mettre à jour l'héritage. C'est en porter le flambeau.
Je peins pour transmettre, pour pérenniser cette longue filiation et en accorder tous les arcanes.
Je peins pour vous rencontrer dans cet accord intime avec les traditions des vivants.