Découvrez le travail contemporain de Sophie Delpy
"Ils se nomment les Ebranlés ". Sophie DELPY
Le centre de la création de Sophie DELPY c’est l’être humain. Se souciant peu du poids de l’histoire de l’art, elle peint des personnages souriants et joyeux. Les personnes et les cultures qu’elle rencontre dans ses voyages nourrissent son imaginaire. Mais peu à peu son travail change. La matière prend une importance singulière dans sa création. Comme une peinture épaisse, la sensation de la terre lui plait. Elle la palpe et la pétrit. La main semble percevoir ce qui échappe à l’œil. En modelant l’argile, elle est au plus près de ses émotions et sa conscience artistique s’élargit.
Foulant au pied les lois de l’esthétique rétinienne, sa main travaille avec l’intelligence du toucher atteignant l’aspect tragique de la condition humaine : la joie et la couleur disparaissent de ses œuvres. La peau de ses personnages se confond désormais avec la terre ocre du désert. A l’épreuve du feu, ses œuvres deviennent fortes et vibrantes: « Plusieurs couches environ 4 à la cire chaude. Pas d’émaillage sur cette nouvelle série. »
Profondément marquée par la souffrance des déshérités fuyant leurs patries et refoulés aux frontières d’un monde qu’ils espèrent meilleur, son travail prend de l’ampleur. En ajustant à la céramique des matières diverses elle semble rétablir et consoler l’identité du corps des exclus, comme la déesse Isis, le corps morcelé d’Osiris. Elle les érige totémiques. Ils sont là, présents, témoignant d’une humanité outragée.
Ils ont des visages scarifiés, balafrés, blessés puis reprisés au fil de fer. Leurs yeux sont troués et leur bouche barrée. Imitant les gestes désespérés des migrants se faisant coudre la bouche pour enfin être entendus, l’artiste voudrait les comprendre. Abasourdi et songeur, l’un d’entre eux repose sa tête dans ses mains longues et osseuses, un sage, un fou ?
« Je voyage dans les zones reculées du monde. Je vis auprès des gens qui affrontent leur existence dans des conditions difficiles. Ils sont heureux, ils donnent trois fois plus que ce qu’ils en ont. En Amérique du Sud et dans les coins reculés de l’Afrique aussi, mes personnages viennent d’un peu de partout dans le monde : Aita, Elias, Ousmane etc. « Métal (fil de fer recuit ou brulé, vieilles agrafes), vieux tissus, papiers brulés, et corde de chanvre également brulée. ». Par leur étrange apparence, les dernières œuvres de Sophie DELPY ressemblent étonnamment aux « objets réparés » de la collection des objets africains du Quai Branly.
En 2007 l’historien d’art Gaetano Esperanza choisit parmi les 70 000 pièces de la collection du Musée quelques centaines d’objets qui dorment dans la réserve et les expose sous le titre « Objets blessés, La réparation en Afrique ». C’est inouï. L’œil occidental en est heurté parce que les réparations sont apparentes, les objets semblent rafistolés : un clou de tapissier européen remplace l’œil dune statuette congolaise. L’esthétique du lisse en prend un coup. Aux yeux de la société africaine on voit les choses autrement. Une fois réparé, l’objet reprend sa vitalité comme un corps après une intervention chirurgicale. Le métal est le pouvoir du forgeron. Il donne à l’objet une nouvelle force. Dans ce contexte, réparer c’est un acte franc, alors que le restaurateur occidental efface les imperfections, les blessures que le temps, les intempéries de la vie lui ont infligé. Restaurer, c’est faire semblant que rien ne s’est passé alors que réparer, c’est un acte de mémoire. En Afrique, « En réparant un objet cassé, on répare aussi un culte et la société même. » En Occident on préfère oublier. Qu’est ce qui ne va pas dans l’âme de l’être humain aujourd’hui ? Semble se demander l’artiste à travers cette belle et forte série qu’elle appelle « les Ebranlés ».
Le travail de Sophie DELPY cherche à engager la réflexion sur les différences et les inégalités des peuples à travers le monde.
Centré sur l’être humain, son travail se nourrit de l’inspiration de ses voyages. En traduisant son incompréhension d’un monde qui oublie l’humain, elle nous incite à développer un regard plus poussé sur notre quotidien.
En associant la céramique enfumée à des matériaux de récupération et issus de la nature (vieux morceaux de bois, tissus, cordes, métaux et papiers souvent brûlés), Sophie DELPY donne naissance à des personnages souvent blessés, balafrés, puis reprisés au fil de fer, dont l’expressivité interroge et bouscule.
Elle s’inscrit ainsi dans l’esprit de la Figuration Critique née en 1978.
Devant ses œuvres, le spectateur est interpellé par une force émotionnelle envahissante qui l’invite à questionner son environnement.