Guy Bourdin : l’utilisation du fantasme pour faire rêver les gens
Guy Bourdin est l’un des photographes les plus influents du XXe siècle. Il est connu pour ses images érotiques et surréalistes publiées dans le magazine Vogue ou ses campagnes publicitaires des chaussures de luxe Charles Jourdan. Découvrons cet artiste photographe qui a privilégié la mise en scène au cliché typique du “produit” pour faire rêver le public.
L’esquisse d’un photographe en devenir
Né à Paris en 1928, Guy Bourdin s’est intéressé à l’art dès son plus jeune âge. S’il commence à devenir un peintre passionné lors de son adolescence, il s’initie à la photographie lors de service militaire au Sénégal en 1948. C’est à Dakar que cet artiste photographe va se familiariser avec les aspects techniques de cet art et développer une approche formaliste.
En 1950, le futur photographe revient à Paris avec une obsession pour la photographie. Dès lors, il va aiguiser ses compétences et travailler son propre style. Ses premières photographies esquissent son travail ultérieur en montrant des images emplies d’un sentiment de tragédie et de suspense. Durant cette période, une photographie nous montre un corps nu à plat ventre sur une plage de galets. Le plan est dominé par une falaise oppressante. Cette image est très représentative de l'œuvre de Bourdin en illustrant des thématiques développées par l’artiste photographe telles que la nudité, la mort, mais également la narration.
De Man Ray à Vogue Paris
En étant attiré par le surréalisme, le photographe se met à rechercher des conseils auprès de l’un des plus grands artistes visuels de l’époque, Man Ray. Ce dernier lui montrera comment travailler sans contrainte en lui apprenant à utiliser l’imagerie graphique afin d’influencer son style. Par la suite, il rencontre Edmonde Charles-Roux, la rédactrice en chef de Vogue Paris. Bien que Bourdin dispose d’un portfolio assez peu fourni, il réussit à convaincre Roux grâce à ses quelques photographies, dont des nus en noir et blanc.
Au départ, l’artiste photographe travaille pour Vogue Paris de façon épisodique. Sa carrière de photographe explose lorsque Francine Crescent, l’éditeur en chef de Vogue Paris, arrive. Cette dernière laisse au photographe un contrôle créatif total et il figure dans chaque numéro de Vogue Paris à partir de 1968. Ce sera l’occasion unique pour ce photographe de trouver constamment de nouvelles façons de défier les perceptions de la photographie de mode commerciale. C’est également Francine Crescent qui lui permet de faire la connaissance de Charles Jourdan, le créateur de chaussures de luxe de Roland Jourdan. Ce dernier sera le mécène de Bourdin.
Bourdin est le premier à utiliser des scènes constituées de nombreux indices visuels et de sens cachés afin d’intégrer une dimension narrative à ses photographies. Grâce à cette technique, le photographe entraîne le public à consommer l’histoire qu’il raconte dans ses photographies. Les vêtements portés par les mannequins deviennent secondaires, mais, faisant partie intégrante du décor et de la narration, ils s’imprègnent dans l’imaginaire du public de façon beaucoup plus précise. Contrairement à la photographie de mode de ses confrères, Bourdin propose une approche révolutionnaire qui fera de lui l’un des artistes photographes les plus renommés de son époque. Les couleurs vives, la forte utilisation de l’imagerie sexuelle ainsi que ses histoires confèrent à ses photographies une esthétique stimulante.
Un artiste photographe tourmentée par une histoire personnelle morbide
Pour comprendre l'œuvre de ce photographe, il est impératif de revenir sur certains points clé de sa vie. Abandonné peu de temps après sa naissance en 1928, il revoit sa mère, une femme rousse, des années plus tard dans un restaurant parisien tenu par ses grands-parents. Bien que celle-ci lui ait fait une grande impression, il a refusé de lui adresser la parole. Cette peur de l’abandon est peut-être ce qui la conduit à avoir une relation de contrôle obsessionnel avec son épouse, Solange Gèze avec laquelle il s’est marié en 1962. Bourdin a été jusqu’à lui retirer le téléphone et lui interdire de rencontrer des amis. Ensemble, ils ont eu un fils, Samuel. Le couple s’est séparé lorsque le photographe a eu une relation avec l’un de ses mannequins rousse, Holly Warner. Peu de temps après, Solange Gèze a fait une overdose mortelle.
Bourdin continue de se montrer tyrannique et autoritaire auprès de Holly Warner qui tente de se suicider lorsqu’elle se rend compte que sa meilleure amie, Eva Gschopf, également rousse, semble avoir séduite Bourdin. Toutefois, Gschopf est retrouvée morte en ayant sauté d’un arbre sous l’effet du LSD. Bourdin jette son dévolu sur Sybille Dallmer, mais cette dernière finit par se prendre.
Tous ces épisodes ont eu un impact sur le travail de Bourdin. De plus, l’artiste photographe se révèle être un homme dominant, à la limite du caractère tyrannique. Son ami, Serge Lutens expliquait que Bourdin contraignait les filles à rester dans des poses inconfortables le plus longtemps possible, plus pour jouir de la position de pouvoir. Une histoire a également circulé concernant une séance de photographie où deux mannequins étaient recouvertes de perles noires. Bourdin les a maintenues ainsi, et ce, malgré leurs protestations, jusqu’à ce qu’elles finissent par s’évanouir par manque d’oxygène. Bourdin aurait dit “Oh, ce serait magnifique de les avoir mortes dans le lit” pendant que le rédacteur en chef retirait les perles.
Les années 70, l’apogée du photographe
Dans les années 70, l’artiste photographe était au sommet de son art. Il a réalisé une série de campagnes publicitaires qui continuent, encore aujourd’hui, d’influencer les artistes tels que celle représentant un garçon qui fixe une chambre à coucher et où une femme crie, à l’arrière-plan, à travers les parasites de la télévision. Sur le lit, on y voit une femme morte dont la nudité est à peine dissimulée par quelques serviettes et portant des chaussures Charles Jourdan au pied. Cette photographie rappelle étrangement la scène de la femme de l’artiste qui a été retrouvé morte devant la télévision à la suite d’une overdose. La narration et le surréalisme utilisés dans les photographies de Bourdin créent des scènes oniriques dans un décor de luxure, de violence et d’un soupçon de dark fantasy.
Le début des années 80 annonce la chute de ce photographe. En effet, l’industrie se tourne vers des images plus glamour proposées par Peter Lindbergh ou Bruce Weber. Ses contrats avec Vogue Paris et Charles Jourdan sont résiliés.
Le photographe a du mal à joindre les deux bouts et les dettes s’accumulent. En 1989, on lui diagnostique un cancer qui l’emportera deux ans plus tard, à l’âge de 62 ans.