Robert Doisneau, la vie à travers un objectif
La photographie peut être usuelle, commerciale ou journalistique. Robert Doisneau a su élever cette discipline au rang d'art. Durant la période d'Après-Guerre, il livre au monde des clichés uniques, qui resteront gravés dans les mémoires.
Naissance de l'artiste photographe
Le cadre dans lequel Robert Doisneau entame son existence est somme toute assez paisible. Le 14 avril 1912, cet enfant, promis à un brillant avenir, pousse ses premiers au sein d'une famille bourgeoise, installée dans le Val-de-Marne. Bien qu'il ne manque de rien, le jeune photographe prend en grippe la classe dans laquelle il évolue. Son éducation se déroule de manière classique, jusqu'à l'âge de treize ans. Cette année-là, Robert Doisneau intègre l’École Estienne. Il poursuit alors des études de graveur lithographe dont il sort brillamment diplômé. Fort de ce bagage culturel, le jeune Doisneau commence sa vie d'adulte en tant que dessinateur de lettres. Ses premières armes, il les forgera au sein de l’Atelier Ullman, pour lequel il est amené à concevoir des publicités, majoritairement pharmaceutiques.
Évolutions de carrière
En 1930, il tourne le dos à l'univers publicitaire pharmaceutique, pour devenir opérateur, au service du sculpteur André Vigneau. Les commandes se succèdent à un rythme régulier. Le jeune photographe vit de sa passion et jouit de suffisamment de temps libre pour arpenter les innombrables rues de la capitale. Paris, notamment ses différents quartiers, devient son terrain de jeu préféré. Il voit sa ville comme un immense studio à ciel ouvert. Le jeune photographe y réalise ses premières séries de clichés, immortalisant de brefs instants de vie. Paris et ses habitants représentent sa plus grande source d'inspiration.
Une vision du monde très personnelle
Robert Doisneau aime profondément son époque et le monde dans lequel il vit. Fixer ces instants de vie, aussi furtifs que précieux, est sa manière de figer dans le temps, ce monde qu'il affectionne tant. Digne héritier d'Eugène Atget, l'artiste photographe que devient alors Robert Doisneau se pose comme témoin privilégié de la vie parisienne de son époque. À ce titre, il réalise, avec beaucoup de soins, un premier reportage photographique qu'il nomme "Excelsior". Sur ces clichés, on retrouve la vision unique du photographe sur le marché aux puces de Saint Ouen. Ce travail est rapidement remarqué, apprécié et, en toute logique, publié. On est alors en 1932.
Développement d'un artiste hors norme
Robert Doisneau est contraint de mettre en pause son activité, pour répondre présent à l'appel immanquable du service militaire. De cette époque, il conserve une aversion profonde pour l'armée et tout ce qu'elle inclut. À son retour, il se précipite vers l'atelier Ullman. En ce lieu familier et réconfortant à ses yeux, il retrouve la trace d'une ancienne connaissance, Lucien Chauffard. Ce dernier travaille désormais ailleurs. Lucien occupe ses journées dans les ateliers de production de la célèbre enseigne Renault. Doisneau décide d'y passer également plusieurs années. Cinq ans se passent pour l'artiste. Cinq années durant lesquelles il travaille dur et en profite pour photographier, sous tous les angles, la vie dans les ateliers :
- les machines,
- le processus de production,
- les chaînes de montage,
- les ouvriers.
Cet emploi ne lui convient pas, malgré tous les clichés qu'il peut réaliser sur place. Robert Doisneau multiplie les retards et les remontrances. En 1939, l'artiste est tout simplement renvoyé de l'atelier.
Vivre enfin de la photographie
Quel artiste ne rêve pas, un jour, de vivre de sa passion ? Ce rêve devient réalité pour Doisneau, en 1939. Juste après avoir quitté, contraint et forcé, l'entreprise Renault, l'artiste fait une rencontre déterminante. Sa route croise celle de Charles Rado. Ce dernier n'est autre que le fondateur de l'agence Rapho. Lorsqu'il découvre le talent de Robert Doisneau, ce dernier lui fait une proposition que le photographe peut difficilement refuser : travailler pour l'agence, sous le statut d'artiste indépendant. Malheureusement pour le jeune artiste photographe, cette année 1939 marque aussi le début de la Seconde Guerre Mondiale. Il n'aura même pas le temps de terminer la toute première commande de sa vie en tant que photographe indépendant. Le voilà mobilisé, comme tant d'autres hommes à ses côtés. Il combat sur le front de l'est, jusqu'en février 1940, date à laquelle il est démobilisé. Ce fait marque son retour à Paris. Toutefois, quelques mois plus tard, la progression de l'armée nazie le contraint à quitter la capitale. Ayant quitté l'armée, il doit trouver un nouveau moyen de subsister. En l'état actuel des choses, il ne peut espérer réaliser des clichés d'art. Alors, il crée des cartes postales. Ces dernières représentent des monuments napoléoniens. Son travail est apprécié et acheté pour le compte du musée des Armées. Il met ensuite ses talents au profit de la Résistance. Pour eux, il crée un grand nombre de faux papiers. À la fin de la guerre, une nouvelle rencontre va modifier la trajectoire suivie par l'artiste : Blaise Cendars. Avec son soutien indéfectible, Doisneau revient à l'essence même de son art. Il recommence à prendre des clichés de banlieue. Cette série de photographies fait d'ailleurs l'objet d'une publication. Dès lors, les écrivains n'auront de cesse de solliciter l'artiste afin de créer des ouvrages de grande qualité.
L'Après-Guerre
La collaboration avortée avec l'agence Rapho peut alors reprendre, plus fructueuse que jamais. Pendant un temps, Doisneau est sollicité par le milieu de la mode, notamment par l'intermédiaire de Vogue, mais il tourne bien vite le dos à cette discipline qui ne lui correspond pas du tout et le met mal à l'aise. À l'univers de la mode, il préfère l'ambiance unique de Paris by Night. En 1947, il s'unit, artistiquement parlant, à Robert Giraud. Ensemble, ils vont mener des projets d'envergure. Cette union artistique donne naissance aux photographies des bistrots des années 1950, ayant contribué de façon majeure à la renommée de Doisneau. En 1960, l'artiste est appelé loin de sa ville chérie. Il se retrouve aux États-Unis, dans le but de réaliser un projet inédit : photographier Jerry Lee Lewis. Suite à cette expérience, il réalise également un reportage sur la vie ouvrière en URSS. Ce n'est qu'en 1980 qu'il revient vers ses premières amours, en lieu et place, de la vie urbaine nocturne.
Citation
"Ma vie est télescopique, une suite de rencontres heureuses ou malheureuses, une improvisation au jour le jour".
Cette improvisation permanente le propulsa au rang d'artiste international. Robert Doisneau s'éteint, en 1994, à Paris.