Paul Klee : gourou de l’art moderne
Paul Klee : gourou de l’art moderne
C'est un des artistes majeurs de la première moitié du XXe siècle. Il connaît ses premiers grands succès en 1917, pendant la Première Guerre mondiale. C'est un peintre et un pédagogue apprécié : dès septembre 1920, il est appelé à enseigner au Bauhaus de Weimar fondé par Walter Gropius, en 1919. En 1931, il est professeur à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf, d'où il est congédié en 1933 par les nationaux-socialistes qui l'attaquent violemment. Exilé en Suisse à partir de 1934, il demande sa naturalisation, mais il ne l'obtient que quelques jours après sa mort en 1940.
Son œuvre, que son fils Felix définit comme « énigmatique », a posé bien des questions aux critiques d'art, car elle suit un cheminement peu commun. De constructive qu'elle était au temps du Bauhaus, elle devient graduellement plus intuitive et, selon Antoni Tàpies, plus spirituelle : « Klee est en Occident un de ces privilégiés qui ont su donner au monde de l'art la nouvelle orientation spirituelle qui manque aujourd'hui où les religions semblent faire faillite. On pourrait voir en lui le parfait représentant de ce que Mircea Eliade appelle l'unique création du monde moderne occidental. »
Ses débuts
Ernst Paul Klee est né en Suisse, à Berne, tout en étant, comme son père, de nationalité allemande. Il est issu d'une famille de musiciens. Sa mère, Ida Klee-Frick, Suissesse de Besançon, a reçu une formation de chanteuse classique au conservatoire de Stuttgart. Son père, Hans Wilhelm Klee (1849-1940), est originaire de Basse-Franconie. Il enseigne la musique à l'école normale du canton de Berne. La famille s'établit à Berne, au nord d'Ostbergweg.
La plupart des biographies rapportent que c'est sa grand-mère maternelle qui l'a initié très tôt au maniement de la mine de plomb, du crayon et des pinceaux. Ses dessins d'enfants ont été en grande partie conservés et sélectionnés dès 1911 par Klee lui-même, qui les a inscrits dans le catalogue de ses œuvres en les qualifiant de dessins « fantaisistes illustratifs ».
À l'automne 1898, ayant terminé ses « examens de maturité » (baccalauréat), il est refusé à l'Académie des beaux-arts de Munich ; on le dirige vers l'atelier d'Heinrich Knirr (1862-1944), où il étudie le dessin figuratif. Klee devient très vite le « meilleur élève de Knirr », selon les dires du maître. En octobre 1900, Klee est admis à l'Académie des beaux-arts de Munich, dans l'atelier de Franz von Stuck. Il est dans la même classe que Vassily Kandinsky, toutefois les deux artistes n'ont pas d'affinité. Ils se rapprocheront vers 1911. Il s'y lie également d'amitié avec le Fribourgeois Jean-Edouard de Castella. Klee suit des cours d'histoire de l'art, d'anatomie et il apprend la technique de la gravure et de la sculpture.
Carrière d’enseignant ou presque
Bauhaus pour enseigner la théorie de l’art moderne mais aussi d’autres matières comme le design ou la reliure. Trois ans plus tard, l’école déménage à Dessau, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Leipzig. Non loin du bâtiment principal, Klee et les autres « maîtres » habitent chacun une résidence dernier cri comprenant un grand atelier aux couleurs vives doté d’une baie vitrée.
Le directeur de l’école ne regrette pas son choix : très vite, Klee (qui restera dix ans à ce poste) se forge une réputation de professeur farfelu mais génial, de ceux qui marquent à vie. Ses cours – « de la poésie pure » selon une ancienne élève – allient précision scientifique et rêverie quasi mystique. Car, en art, explique le peintre dans sa Théorie de l’art moderne (transcription de sa conférence donnée à la Société des beaux-arts d’Iéna en 1924), la « recherche exacte » n’est efficace que lorsque « l’intuition » lui donne des ailes ! Mais l’intuition étant difficile à enseigner, Klee décide plutôt d’apprendre à ses élèves quelques principes de base de la création.
En 1931, Klee devient professeur à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf. Hélas, en 1932, la section d’assaut du parti nazi perquisitionne chez lui et le fait renvoyer en 1933. La même année, le Bauhaus est dissous et 17 œuvres de Klee figurent dans la tristement célèbre exposition d’« art dégénéré ». En décembre, l’artiste se réfugie en Suisse où il meurt d’une maladie rare en 1940. Mais l’homme laisse derrière lui près de 3 900 pages de notes illustrées de croquis dont une partie est publiée dès 1925 (Les Esquisses pédagogiques). Ses cours suivront sous le titre Paul Klee, cours du Bauhaus : Weimar 1921–1922 – Contributions à la théorie de la forme picturale (Hazan, 2004). Klee y livre sa vision de l’art moderne mêlant poésie mystique et rigueur scientifique. Pour une abstraction à la fois précise et légère comme la musique, libre comme un poisson dans l’eau, flottant au-dessus du commun des mortels…
La fin d’une carrière d’artiste
L'ambiance en Allemagne change en 1932 : le Bauhaus de Dessau est fermé et transféré à Berlin ; les SA (sigle qu'on traduit généralement par « sections d'assaut ») perquisitionnent chez Paul Klee, il est violemment attaqué par les nationaux-socialistes et il est congédié fin avril de l'académie de Düsseldorf. En même temps, Alfred Hentzen de la galerie nationale de Berlin lui demande un « certificat d'aryanité » pour exposer ses tableaux, car il est considéré comme « juif galicien » lors de son licenciement.
Du 23 septembre au 18 octobre 1933, une exposition organisée à l'hôtel de ville de Dresde porte le titre d’Art dégénéré. Elle présente 207 œuvres, parmi lesquelles 17 tableaux de Paul Klee, qui est présenté comme un schizophrène52, son tableau le plus représentatif, Autour du poisson (1926), tempera et huile (46 × 164 cm), Museum of Modern Art (New York), a déjà été ôté de la galerie nationale de Dresde53. L'exposition qui est montrée jusqu'en 1937 dans diverses villes d'Allemagne (Nuremberg, Mayence, Coblence…) fait de Klee le précurseur le plus important de « l'art dégénéré », désigné à la vindicte populaire jusqu'en 1941.
Le peintre quitte l'Allemagne en décembre 1933, pour s'installer à Berne où habitent son père et sa sœur. La même année, le Bauhaus de Berlin est dissous2. Mais en 1933, comme beaucoup d'autres qui combattent le système nazi, Klee garde malgré tous des illusions que Klaus Mannm cite dans ses mémoires : « Ce spectre ne survivra pas longtemps. Quelques semaines, quelques mois peut-être, après quoi les Allemands reviendront à la raison et se débarrasseront de ce régime honteux. »
En octobre 1933, Klee, qui a conclu un contrat avec Daniel-Henry Kahnweiler, enregistre son catalogue raisonné qui comporte à cette date 420 œuvres. En 1940, le catalogue raisonné des œuvres de Klee, publié en anglais, comporte 9 600 œuvres comprenant dessins, gravures, aquarelles et peintures à l'huile. Depuis lors, beaucoup d'autres éléments s'y ajoutent, sont exposés et étudiés, notamment les travaux en trois dimensions : marionnettes et sculptures que Klee a intégrées dans son travail dès 1915.