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La peinture constructive de Verena Loewensberg
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Août 2022 | Temps de lecture : 21 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition rétrospective consacrée à Verena Loewensberg par la MAMCO à Genève jusqu’au 19 juin.

Elle a déjà 74 ans lorsqu’enfin, le Kunsthaus de Zurich lui consacre sa première exposition individuelle. La première d’ailleurs que le plus grand musée d’art de Suisse consacrait à une artiste femme. Née dans cette ville en 1912, Verena Loewensberg n’avait hélas plus que cinq ans à vivre. Au moins aura-t-elle eu le temps de voir son travail reconnu, même si encore jusqu’à maintenant ses œuvres d’art, compositions abstraites de peinture à l’huile ponctuées de figures géométriques, restent relativement méconnues hors de la Suisse alémanique. Un constat d’autant plus regrettable que ses tableaux ne sont pas sans évoquer ceux de Josef Albers ou Ellsworth Kelly.

C’est le MAMCO, le musée d’art moderne et contemporain de Genève qui rallume aujourd’hui les projecteurs sur l’ « artiste constructive » se définissant elle-même ainsi, peu convaincue qu’elle était par le terme d’art concret dominant la scène nationale jusque dans les années 1960, auquel elle se retrouve souvent associée par la force des choses : comme ses compagnons zurichois réellement actifs dans l’art concret que sont Max Bill, Richard Lohse et Camille Graeser, elle faisait partie de cette avant-garde qui s’appliqua dès le milieu des années 1930 à « faire évoluer vers la modernité l’art suisse, encore empêtré dans le conservatisme du sujet et de la forme », écrit Ingrid Dubach-Lemainque pour la revue L’Œil du mois de juin. Sans hésiter à définir Verena Loewensberg comme la « poétesse de l’art concret » dans le titre de son article, alors qu’elle l’y cite affirmant elle-même : « Je peins de manière constructive depuis 1935 et n’ai jamais changé de style ».

Le critique d’art genevois Philippe Mathonnet souligne effectivement en 2007 que « sa vraie liberté, en fait, n’a pas été de s’affranchir du diktat des rythmes mathématiques, mais d’avoir réussi à inscrire dans leurs contraintes ses propres familles de formes, des configurations qui n’appartiennent qu’à elle. Son apport est d’avoir donné de la souplesse à la rigidité ».

« Ça n’est pas si facile de regarder des tableaux constructifs dans une exposition, il faudrait les avoir devant soi longtemps ; ce sont des écueils que je ne peux pas changer », avouait elle-même Verena Loewensberg dans une lettre à son ami graphiste Josef Müller-Brockmann, pas amère pour un sou de n’avoir jamais pu gagner sa vie avec son art. Plutôt que de se plier aux exigences du marché de l’art alors exclusivement porté sur le figuratif, l’artiste a en effet toujours préféré travailler le jour comme tisserande ou comme graphiste, avant de tenir un commerce de disques de jazz, sa passion, et de musique classique contemporaine, pour pouvoir se consacrer entièrement à ses recherches picturales la nuit. Y compris après avoir divorcé de son mari designer Hans Coray en 1949, et en élevant seule ses deux enfants à Zurich.

Rien n’empêche désormais de rester longtemps devant la centaine d’œuvres d’art réunies sur les cimaises du MAMCO depuis le 22 février et jusqu’au 19 juin à l’occasion de la très belle première rétrospective francophone organisée par Lionel Bovier. Structurée autour de l’évolution du travail de Verena Loewensberg qui repose sur des formes et des séries s’éloignant très vite du canon de l’art concret pour se rapprocher d’expériences menées au sein du Colorfield Painting, du Pop Art ou de l’art minimal, l’exposition part du rapport que toute la génération du groupe Abstraction-Création entretient au motif de la grille en tant que système d’organisation rationnel. Elle en montre l’explosion dès les années 1950, tout en rappelant l’importance de la musique et des arts appliqués dans les premières compositions de l’artiste.

Car Verena Loewensberg, aînée d’une famille de médecins très cultivée, d’origine allemande et juive, passionnée de musique, de beaux-arts et de littérature, sait très tôt qu’elle veut faire quelque chose « dans la direction de l’art ».  Elle prend donc sa destinée en main dès l’âge de 14 ans, en choisissant d’étudier à l’école d’arts appliqués de Bâle, devenant apprentie à 16 ans en tissage de tissus dans le canton d’Appenzell, avant d’étudier la danse contemporaine et la chorégraphie auprès de Trudi Tschopp, à Zurich. Elle n’achèvera jamais ses cursus de formation. Mais à l’image d’une Sophie Taeuber-Arp (1889-1943), la danse et la musique féconderont finalement l’élaboration par l’artiste peintre d’un langage abstrait basé sur le rythme. Sauf qu’elle, devra mettre à profit sa maîtrise des codes de l’industrie textile pour assurer une grande partie de ses revenus.

A 23 ans, Verena Loewensberg se retrouve à Paris sur les conseils de Max Bill, un artiste graphiste avec lequel elle s’est liée d’amitié autant qu’avec sa femme Binia, photographe ayant suivi l’enseignement de Lucia Moholy, toute animée qu’elle est par la volonté de parfaire ses connaissances techniques en tant que peintre autodidacte auprès d’Auguste Herbin (1882-1960). Lequel n’a pas encore inventé la synesthésie mais préside le groupe Abstraction-Création qu’il a fondé à l’Académie moderne avec Georges Vantongerloo (1886-1965), le peintre du mouvement De Stijl. C’est finalement ce dernier qui va davantage répondre aux aspirations de la jeune artiste. Et le seul dont elle revendiquera explicitement l’influence dans ses rares déclarations. Elle fera également la rencontre de Max Ernst et de Jean Hélion, trouvant auprès de cette communauté amicale l’atmosphère artistique qui lui fait comprendre qu’elle a trouvé son endroit.

L’exposition genevoise montre aussi cette libération des formes et des couleurs dans l’œuvre de Verena Loewensberg, qui aboutit aux séries des années 1970 et 1980, lesquelles dialoguent avec la pratique de la sérialité et l’abstraction radicale dont elles sont contemporaines. Elle avait vendu son premier tableau en 1950. Avait participé avec le groupe Allianz aux premières expositions de l’avant-garde artistique helvétique, notamment à Zurich en 1940 et à Bâle en 1944, aux côtés de Leo Leuppi, Richard Lohse, Camille Graeser et Hans Erni. Mais « en 1977, il n’y avait aucune reconnaissance, pas de public et pas de possibilité de vente. C’était comme travailler au milieu de nulle part » se souvenait-elle. Créatrice passionnée d’une peinture exigeante, singulière et de caractère solitaire, totalement engagée pour l’art, en recherche constante jusqu’à sa mort en 1986, Verena Loewensberg a produit au moins 630 tableaux aujourd’hui dénombrées dans le catalogue raisonné consacré à son œuvre.

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