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Annette Messager vit pour créer… et/ou crée pour vivre
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Août 2022 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition monographique consacrée à Annette Messager au Musée d’Art de Tel-Aviv jusqu’au 3 septembre.

Depuis ses premières pièces réalisées au début des années 1970 jusqu’à celles qu’elle conçoit aujourd’hui, de façon de plus en plus débridée, Annette Messager stimule un dialogue. Avec le corps, avec l’intime, avec le féminin. Avec le tabou. L’artiste née en 1943 à Berck-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, est toute entière dans son œuvre extraordinairement personnelle.

En même temps que cette figure aujourd’hui incontournable de la scène artistique internationale investit le LaM à Villeneuve-d’Ascq, Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, depuis le 11 mai et jusqu’au 21 août, elle fait l’objet d’une magnifique présentation en Israël. Et c’est une première.

Récompensée d’un Lion d’or à la Biennale de Venise en 2005, connue dans le monde entier, jamais Annette Messager n’avait pourtant encore eu droit à une exposition monographique en Israël. C’est le Musée d’Art de Tel-Aviv, à l’initiative de Marie Shek et après plusieurs années de recherches et de reports contraints par la pandémie, qui lui consacre enfin aujourd’hui une rétrospective, sous la forme d’un parcours chronologique offrant de voir évoluer la diversité, l’inventivité et la liberté de sa pratique.

Depuis ses premières œuvres d’art intimistes jusqu’à ses récents dessins macabres, en passant par ses fascinantes installations, l’exposition baptisée « Désirs-Désordres », en référence notamment au goût d’Annette Messager pour les jeux de mots, rassemble des pièces ayant jalonné toute son œuvre depuis une cinquantaine d’années. Et plonge le visiteur dans un univers ludique, grinçant aussi, déconstruisant les stéréotypes féminins surtout.

Si les assemblages d’Annette Messager, faits d’objets trouvés dans la rue ou chez elle, d’ours en peluche, de poupées ou de vieux vêtements, osent toujours la contradiction, c’est tout simplement que personne n’est fait d’une seule pièce. L’artiste elle-même, dans le catalogue de l’exposition du musée de Grenoble de 1989, affirmait déjà « fonder sa propre identité à partir de la multiplicité des personnages qu’elle mettait en scène ». Ainsi n’a-t-elle jamais cessé d’échafauder des figures d’une richesse infinie, qu’elle met ensuite en espace comme « la cheffe d’orchestre d’un formidable carnaval nourri d’une culture profondément originale, allant de Virginia Woolf à Simone de Beauvoir, d’Alfred Kubin à Little Nemo (1905) de Winsor McCay, de mythologies individuelles et d’obsessions sans cesse renouvelées », écrit Bernard Blistène, pour le magazine d’art contemporain Art Press du mois de juin.

Pour cette exposition ambitieuse, révélant une artiste plus que jamais virtuose et inventive, aussi bien collectionneuse que truqueuse ou femme pratique, détricotant inlassablement et non sans humour les clichés traditionnellement associés à son double statut de femme et d’artiste, Marie Shek et Annette Messagier se sont employées à mettre l’accent sur la diversité de ses propositions. La star de l’art contemporain déclarait toutefois à l’AFP, juste avant l’ouverture de sa rétrospective à Tel Aviv, que son travail avait été largement modifié par la pandémie de coronavirus. « Le monde a changé (…) et sûrement mon travail aussi. (…) On est quand même tous obsédés par ce qui s’est passé, par ce que nous vivons actuellement, les masques que nous portons, tous les morts qu’il y a eu et qu’il y a encore ».

La modification évoquée est intervenue sur le fond, certes, mais aussi sur la forme. Alors qu’elle travaille habituellement avec de nombreux assistants, l’obligation d’œuvrer seule a en effet conduit Annette Messager, si connue pour son bestiaire fantastique mêlant animaux empaillés et peluches rafistolées et masquées, à des dessins qui frappent par leur simplicité. Ainsi « YouMe », acrylique sur papier à la ligne tremblante, qui représente un cœur rose et ressemble à un visage surmonté de deux crânes se regardant, orbite contre orbite, offre un contraste saisissant avec « Casino », ce dispositif spectaculaire datant de 2004/2005 qui lui avait justement valu le Lion d’or de la Biennale de Venise. Dispositif aux allures théâtrales inspiré de Pinocchio, s’animant dans un mouvement de vagues rouges que les spectateurs avaient aussi pu découvrir en 2007 au Musée national d’art moderne au Centre Pompidou, et autour duquel s’organise de façon très intelligente l’exposition de Tel Aviv, menant de pièces intimes à de vastes assemblages rythmés par des ventilateurs ou des machines parfois cachées, allant de constructions aux allures de bricolage à une suite de dessins pour la plupart inédits.

« YouMe »

« Casino »

« Sous couvert de funambulisme et d’humour latent, la Comédie humaine de Messagier met en scène de manière souvent tragique le désarroi de notre société, les sujets qui l’assaillent et les angoisses qui l’étreignent », écrit Bernard Blistène, qui voit des allures de train fantôme dans cette succession de salles orchestrées de façon chronologique. Parmi les plus influentes de sa génération, ayant très tôt consolidé sa vision du monde social-féministe qui renverse les conventions, Annette Messager, 78 ans, n’en finit pas de témoigner ardemment « des malheurs du monde et du tragique du temps ». La puissance de son travail s’enracine dans la démesure, la répétition et l’audace qui caractérisent ses images.

En s’appuyant sur une impressionnante variété de médiums et différentes échelles de mesure, son œuvre vaste et extraordinaire s’inspirant, entre autres, de son enfance et de son expérience personnelle, s’articule donc dans cette exposition autour de deux axes principaux : le(s) désir(s) et le(s) désordre(s).  

« Mon art est ma religion », déclare Annette Messager, fidèle au sens français de son nom, messagère d’un monde fantastique, jouissif autant qu’inquiétant, dont le langage exclusif et sans compromis représente cinq décennies de création artistique. « Le bon art doit être profondément émouvant. Sans émotion ni désir, il n’y a pas de sens à la vie ».

Et la vie justement, elle la sent particulièrement vibrer en Israël. « C’est un pays en guerre, mais je n’ai jamais vu autant de vie et d’enthousiasme dans une ville que comme ici à Tel-Aviv », soulignait l’artiste en observant la foule se pressant au musée d’art moderne et aux terrasses des cafés. Avançant que peut-être justement, c’est parce qu’ici « on vit dans l’instant ». Celle qui a eu pour compagnon de route un autre artiste français de renom, Christian Boltanski, mort en juillet dernier et avec qui elle avait notamment signé « Le Voyage de Noces » en 1975, œuvre d’art en forme d’installation murale convoquant une mémoire intime et communément partagée, réunissant 21 dessins et 86 photographies en couleurs, avait séjourné autrefois dans un kibboutz, un village collectiviste israélien.

Ce qui n’a finalement absolument jamais changé chez Annette Messager, c’est son « obsession », comme elle le dit elle-même, pour la création. « Il n’y a que ça qui m’intéresse, à vrai dire. »

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