Un écrin royal pour l’art contemporain
A propos du 15e anniversaire de la Saison d’Art au Domaine de Chaumont-sur-Loire, à voir jusqu’au 30 octobre.
Nous vous avions déjà parlé du Domaine des Etangs, ce lieu de rêve niché à Massignac, en Charente, tout vibrant du soin apporté à la protection de son écosystème autant qu’à l’implantation d’œuvres d’art contemporain en pleine nature. Voici dans la même catégorie de ces endroits qui incitent à ralentir et où il fait si bon flâner l’été, le Domaine de Chaumont-sur-Loire. Un autre lieu magique où l’on a juste envie de flâner en méditant au détour de chaque œuvre d’art faisant sens avec son environnement, créée tout spécialement par des artistes contemporains du monde entier. Mais aussi de s’émerveiller devant la nature dans son plus simple appareil, ou de rêver devant un patrimoine historique somptueux. Car si cette ancienne forteresse fut construite vers l’an 1000 pour surveiller la frontière entre les comtés de Blois et d’Anjou, le château doit essentiellement son aspect actuel à Diane de Poitiers, qui l’habita au XVIe siècle grâce à la générosité de Catherine de Médicis, même si rien ne nous empêche d’imaginer tout aussi allègrement les fastueuses réceptions que la princesse de Broglie y organisa au XIXe siècle.
Pas moins de quinze expositions et installations sont accueillies cet été au Domaine de Chaumont-sur-Loire qui fête les quinze ans de sa Saison d’Art. La directrice du Domaine et commissaire d’exposition, Chantal Colleu-Dumond, a notamment choisi de consacrer une très belle rétrospective à Jean Le Gac, intitulée « En plein air », qui se déploie dans neuf salles du château. Il était temps de braquer les projecteurs sur l’ « œuvre-récit » de ce peintre et poète, né en 1936 et si souvent resté dans l’ombre. « Trop peu de gens connaissent son œuvre, qui est pourtant passionnante et mériterait une grande rétrospective », écrivait déjà Daniel Templon dans son autobiographie après avoir exposé Jean Le Gac dans sa galerie d’art entre 1979 et 2004. Chantal Colleu-Dumond s’en charge donc aujourd’hui.
Car loin d’être un peintre traditionnel travaillant sur le motif, Jean Le Gac a très tôt décidé de se mettre en scène, bien avant Sophie Calle d’ailleurs, mêlant son existence et celle d’un peintre imaginaire dans des récits poreux, où réalité et fantasme créent un univers d’une originalité profonde, faisant finalement de sa propre vie une œuvre d’art. Dessinateur virtuose, l’artiste a pris dès le début des années 1970 la décision radicale de sortir de son atelier pour confronter ses peintures à des textes ou à des photographies. L’ensemble des œuvres réunies dans cette rétrospective, datant de 1968 à nos jours, provient de son atelier aussi bien que de différents Frac et musées. Ses « œuvres-récits » sont autant d’ « éclats de vie et de rêve, de récits de voyage, d’aventures en ballon, de jardins paradisiaques, de siestes dans la prairie », comme l’écrit la commissaire dans la préface du catalogue de l’exposition. « On y contemple tous les reflets d’une existence réelle et d’une existence fantasmée, le mystère de femmes endormies et de belles en fleurs, d’êtres secrètement blessés… On y découvre des visages géants, mais aussi des herbiers, des architectures, des bibliothèques… » Jean Le Gac crée aujourd’hui des images numériques imprimées sur de grandes bâches, toujours à la recherche de nouveaux moyens d’expression.
Tout comme Quayola, ce passionné d’histoire de l’art et maître de la création numérique né en 1982 à Rome, qui propose avec « Effets de soir » une telle immersion dans la nature par le biais de quatre écrans géants, que l’on pense immédiatement aux Nymphéas de Monet. Chantal Colleu-Dumond ne pouvait trouver mieux pour inaugurer la nouvelle Galerie digitale aménagée au Domaine de Chaumont-sur-Loire dans un espace de 300 m2 qui n’avait pas été ouvert depuis 1938 !
L’artiste allemande Evi Keller, née en 1968, a installé quant à elle sa nouvelle œuvre dans la Grange aux Abeilles, comme une suite à la vidéo hypnotique « Matière-Lumière » créée en 2015 et exposée dans les Ecuries du Domaine de Chaumont-sur-Loire. Grand millefeuille de films plastiques façonnés à l’encre de Chine et à la cendre de poésie, cette nouvelle œuvre se présente comme une sorte de voile-palimpseste se reflétant dans un bassin d’eau, animé par la lumière, le vent et les vibrations d’un gong.
Vibrations que Fabienne Verdier capte, elle, dans les forces invisibles de la nature. L’artiste peintre formée à la calligraphie et née en 1962 à Paris, a trouvé dans les vastes galeries de la cour Agnès Varda, l’écrin idéal pour ses tableaux empreints de spiritualité inspirés de la Loire coulant en contrebas du château. On dirait que les pinceaux géants qu’elle fabrique elle-même et manipule avec des roues de bicyclette n’attendaient que ça : bouillonner de toutes les circonvolutions d’un cours d’eau. Ainsi l’écume blanche de « Jeux d’eau » se déploie-t-elle sur un polyptique de 2,60 m de haut pour 7,35 m de large, et le tableau se complète d’une installation de sable, un dispositif que Fabienne Verdier expérimente pour la première fois.
Une expérience totale est proposée par Stéphane Guiran, dont le « Nid des murmures » sème déjà ses cinq mille géodes de quartz scintillant dans le manège des Ecuries depuis 2017. Cette fois c’est dans la galerie basse du Fenil que le plasticien français né en 1968 plonge le visiteur dans le noir absolu pour mieux lui apporter la lumière. Celle d’une pluie de sélénites venues de l’Atlas marocain, véritables éponges à émotions rayonnant doucement. Celle de la sagesse de la nature surtout. Des branches d’ormes centenaires venus d’Eygalières planent le long d’un chemin sinueux semé de copeaux de bois des Vosges, un chant s’élève. Forêt souterraine et accueillante. Ventre apaisant. « Le chant de l’orme » parle de ces mises à l’épreuve qui rendent plus forts.
Il fera bon ensuite ressortir à l’air libre, bien rechargé en énergie positive, pour aller méditer face aux trois sculptures énigmatiques de Jaume Plensa installées dans le parc, puis s’émerveiller devant la sculpture monumentale accrochée dans les arbres comme un lustre de cristal géant, signée John Grade. Né en 1970 à Minneapolis, l’artiste américain d’art contemporain, étonnamment peu connu en France, est venu suspendre cette splendide sculpture aérienne dans le Parc historique du Domaine. Intitulée « Réservoir » car constituée de centaines de petits réceptacles translucides se remplissant à chaque pluie, l’œuvre change d’aspect au gré de son poids qui peut osciller de 30 à 350 kg selon les précipitations !
Mais dans le Parc historique, il ne faudra pas manquer non plus l’impressionnante sculpture « Flux », d’Alison Stigora invitant de ses ondulations organiques à se méfier de l’eau qui dort… Et puis faire et refaire le tour des innombrables espaces que ce château consacre à l’art, pour croiser « La peau du Kotibé » de Lélia Demoisy dans la galerie haute de l’Asinerie, « Les roues de l’existence » de Katarzyna Kot-Bach dans les Ecuries, les « Bibliothèque(s) » de Carole Benzaken dans la Galerie basse de l’aile ouest, la « Princesse d’Abyssinie » de Françoise Vergier dans le Grand Salon, ou le miracle d’équilibre et de grâce de l’installation de Christiane Löhr dans la tour du Roi…