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Du vent dans les voiles de l’histoire de l’art
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Août 2022 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Le vent – Cela qui ne peut être peint », jusqu’au 2 octobre au MuMa du Havre.

Projeter de la fumée dans une boîte pour rendre visibles les filets d’air, c’est le genre d’expérience que menait déjà le physiologiste Jules-Etienne Marey entre 1899 et 1902. Le genre d’expérience aussi qu’a reprise en 2022 la photographe représentée par la Galerie d’art Binome à Paris, Corinne Mercadier, pour réaliser une peinture sur verre assortie d’un fichier numérique, intitulée « Aux quatre vents » et appartenant à la série « La Nuit magnétique ». Une œuvre d’art à découvrir parmi les 170 qui sont réunies au Havre jusqu’au 2 octobre pour évoquer un élément aussi fascinant qu’invisible, dans l’exposition « Le vent – Cela qui ne peut être peint » proposée par le musée d’art moderne André Malraux, ou MuMa. « Le vent habite nos mythes depuis la nuit des temps », explique Malika Bauwens dans le numéro estival de Beaux-Arts Magazine.

Tableaux, dessins, sculptures, objets archéologiques, photos, vidéos… les commissaires Annette Haudiquet, directrice du MuMa, Jacqueline Salmon, photographe, et Jean-Christophe Fleury, critique d’art, font magistralement dialoguer nombre d’œuvres témoignant de cet acharnement qu’ont mis les artistes depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours à représenter le vent. Dans ce musée qui fait face aux embruns de la mer, ils ont conçu un parcours revigorant à couper le souffle. Ici les tempêtes se lèvent ou la brise souffle sa légèreté… En tout cas l’expérience atmosphérique est totale, juste après les expositions que le MuMa avait consacrées aux vagues et aux nuages.

Si vous cherchez la définition de météore sur internet, vous allez tout de suite tomber sur la description de cette formation géologique du nord de la Grèce ainsi nommée, abritant depuis le XIVe siècle des monastères chrétiens orthodoxes. Mais le mot météore désigne aussi tout phénomène atmosphérique que l’on peut observer, à l’exception des nuages. Le vent est donc un météore. Qui s’est engouffré dans les ateliers d’artistes en même temps que le Quattrocento apportait dans son sillage les notions de perspective, de portraits de trois quarts ou la représentation des émotions… Et en parlant d’émotion, quoi de mieux qu’une bourrasque pour faire ressentir le calme avant la tempête ? Pour faire frissonner d’angoisse ? Pour rendre une aventure décoiffante ? Qu’elles soient cinématographiques ou plastiques, les œuvres d’art n’allaient donc pas se protéger des courants d’air !

Bref, donner forme à l’invisible est le défi immémorial auquel le vent a confronté les artistes, et c’est aux solutions qu’ils ont apportées à ce paradoxe que le MuMa a choisi de consacrer sa sixième édition d’ « Un été au Havre ». En s’attachant tout particulièrement aux formes plastiques élaborées par les artistes au fil des siècles, au fur et à mesure que la compréhension de ce météore s’est faite plus précise. Ainsi sont-ils plus d’une centaine à se partager les cimaises et les espaces d’exposition, le visiteur pouvant admirer notamment des œuvres de Dürer, Goya, Pierre-Henri de Valenciennes, Hiroshige, Hokusaï, le baron Gérard, Turner, Corot, Hugo, Daumier, Millet, Nadar, Etcheverry, Caillebotte, Boudin, Daum, Monet, Renoir, Gallé, Steinlein, Anquetin, les frères Lumière, Sorolla, Vallotton, Vlaminck, van Dongen, R. Dufy, Arp, Man Ray, Lartigue, B. Keaton, Brassaï, Gilbert Garcin, Alexandre Hollan, Bernard Moninot, Corinne Mercadier, Philippe Favier, Eric Bourret, Jean-Baptiste Née, Thibault Cuisset, Véronique Ellena…

Peintures, dessins, estampes, photographies, vidéos, gravures, verres… une brise revigorante souffle sur la création artistique de l’Antiquité à l’art contemporain, même s’il faudra attendre l’invention du cinéma pour pouvoir capter son mouvement dans la durée. Pour que le vent ne soit plus seulement suggéré par son image fixée.

Car le vent se voit aux effets qu’il provoque dans « les cheveux, les branches, les feuillages, les étoffes », note Léon Battista Alberti dans le traité « De Pictura » en 1441. Les artistes se consacrent désormais à l’observation minutieuse de la nature, et la personnification du météore invisible en Zéphir, Borée, Eole, anges de l’Apocalypse et autre Ulysse aux prises avec les vents contraires ne leur suffit plus. Léonard de Vinci va prendre le relais d’Alberti au début du XVIe siècle, en consacrant plusieurs textes fondamentaux sur l’air, la tempête, le vent, le vol des oiseaux… « Le vent lui-même n’est pas visible », écrit Léonard de Vinci. « On voit dans l’air, non le mouvement du vent mais celui des choses qu’il emporte et qui seules y sont visibles. »

« Comment peindre le vent », ou « Comment peindre la tempête », ne sont pas des questions que pose le maître toscan en 1492, mais bien de courts essais énonçant des conseils pratiques destinés aux jeunes peintres. Une chose est claire : le souffle n’est perceptible qu’à partir de ses effets. Alors les arbres ploient, les corps luttent, les mâts des bateaux s’inclinent dans la fureur des vagues… et tout est nuance lorsqu’il s’agit de représenter une brise légère qui caresse ou une rafale frénétique. Les traités de Léonard de Vinci vont ainsi fixer pour trois siècles au moins les codes de la représentation du vent.

A la fin du XVIIIe siècle, avec l’avènement de la peinture romantique, la nature agitée de vents tempétueux devient le reflet des tourments de l’âme, tandis que Lavoisier établit la composition de l’air et que les premiers aérostats s’élèvent dans le ciel. Le goût pour la peinture de paysage s’affirme, nourri des théories esthétiques du pittoresque et du sublime développées en Angleterre notamment par William Gilpin et Edmund Burke. Le japonisme et l’importance accordée aux météores comme la pluie, le vent ou la neige dans les estampes japonaises ne manqueront pas d’influencer les peintres du XIXe siècle.

Bientôt, William Turner se fera attacher à un mât en pleine mer orageuse, Eugène Boudin s’emmitouflera pour affronter en Normandie « les temps affreux sur les côtes où le vent règne sans trêve », Vincent Van Gogh enfoncera les pieds de son chevalet dans la terre en les fixant à un piquet de fer pour faire face au mistral, à Arles, et Claude Monet amarrera son chevalet avec des cordes et des pierres à Belle-Île-en-Mer. Les artistes veulent se confronter aux éléments. Et le vent commence à être compris par les savants. Il n’est plus un effet que l’on cherche à représenter, un auxiliaire figuratif chargé d’accroître le caractère dramatique d’une scène. Il est éprouvé physiquement.

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