Les hôtels de luxe sèment l’art contemporain dans leurs jardins
A propos de l’exposition MITICO née du partenariat entre la Galleria Continua et les hôtels italiens du groupe Belmond.
Vous aimez l’art contemporain et les grands hôtels ? Direction l’Italie ! Grâce à l’exposition MITICO imaginée cet été par le groupe Belmond, propriété de LVMH, avec la galerie d’art Galleria Continua, ouverte en 1990 dans un ancien cinéma de San Gimignano et désormais présente dans le monde entier, quatre établissements hôteliers mythiques célèbrent dans leurs jardins somptueux le talent et la vision du monde de quatre artistes internationalement reconnus.
« Ce fut l’un des événements phare de la semaine d’inauguration, fin avril dernier, de la 59e Biennale de Venise », rappelle Fabrice Bousteau en ouverture de son article pour le numéro estival de Beaux Arts Magazine, à propos de la fameuse petite maison créée par Subodh Gupta avec des milliers d’ustensiles de cuisine en acier inoxydable récupérés en Inde, et installée dans les jardins de l’hôtel Cipriani, sur l’île de la Giudecca. Une œuvre d’art rutilante d’autant plus vivante que son auteur y réalisa trois fois par jour pendant toute la semaine une performance culinaire invitant les visiteurs à se rencontrer à l’intérieur. A échanger, comme le veut l’ « adda », en hindi.
L’artiste plasticien indien né en 1964 à Khagaul, au Bihar, est une star en son pays. Vivant et travaillant à Delhi, l’ancien acteur de théâtre formé ensuite à l’Ecole supérieure des arts et artisanats de Patna, avant d’obtenir une bourse d’études de l’Académie nationale des beaux arts de New Delhi en 1990, a vu sa carrière décoller dans le monde de l’art contemporain lorsque son œuvre « The Way Home », exposée à la Biennale de Gwangju en 2000, lui a permis de rencontrer le commissaire d’exposition Nicolas Bourriaud. La Galleria Continua de San Gimignano lui consacra alors en 2008 une exposition monographique, et en 2010 il conçu les décors et les costumes de « Suivront mille ans de calme », la création du danseur et chorégraphe français Angelin Preljocav.
La maison en assiettes, casseroles et autres pots à lait de fer galvanisé qui accueille sa performance culinaire « Cooking the world » tient son nom du titre de l’ouvrage du chercheur français Charles Malamoud, qui étudia les rites et pensées de l’Inde védique, c’est-à-dire l’Inde du IIe millénaire avant JC. La Biennale de Venise et l’hôtel Cipriani n’en ont en réalité pas eu la primeur, puisque Subodh Gupta avait déjà décliné l’installation et la performance en 2017 à la foire de Bâle. Il n’en reste pas moins que cet « anti-monument » à la gloire du quotidien, du labeur ordinaire du peuple indien, cette œuvre d’art visible ici jusqu’au 19 novembre, édifiée sur la base d’objets et de marchandises exportées ou subsistant de la colonisation, est fascinante et illustre parfaitement la phrase culte de l’artiste : « J’habite en Inde et j’aime le travail ».
Le second hôtel partenaire de l’exposition MITICO est un ancien monastère surplombant Florence, niché dans les collines de Fiesole et disposant de moins de quarante chambres : la Villa San Michele. C’est Leandro Erlich qui a été invité à lui donner une dimension supérieure jusqu’au 7 novembre. L’artiste argentin, né en 1973 à Buenos Aires, notamment découvert à la Biennale de Venise de 2001 avec « Swimming Pool », une œuvre entrée depuis dans la collection permanente du musée Kanazawa au Japon, rend hommage à la superbe situation géographique du lieu avec « Fenêtre et Echelle ». Dominant la ville de la Renaissance florentine, une gigantesque fenêtre soutenue par une échelle offre à la fois un point de vue sur la nature et sur l’art… Bref sur la beauté du monde.
Car après la cuisine vue par Subodh Gupta, MITICO entend bien réinterpréter d’autres habitudes universelles, comme ici l’observation avec Leandro Erlich, mais aussi la gratitude, avec l’œuvre de Michelangelo Pistoletto installée jusqu’au 14 novembre au Castello di Casole, dans la sublime et vallonnée campagne toscane. Le peintre, graveur et sculpteur italien né en 1933 à Biella, dans le Piémont, est connu à partir des années 1960 pour avoir rejoint le mouvement Arte Povera, lui qui avait commencé sa carrière comme apprenti dans l’atelier de restauration de tableaux de son père tout en se formant au graphisme publicitaire. Sa première exposition aux Etats-Unis date de 1966, et c’est l’année suivante qu’il remporte le premier prix de la Biennale de Sao Paulo. Les prix se succéderont ensuite. En 1968 il retire sa participation de la Biennale de Venise et quitte presque complètement la scène artistique en devenant moniteur de ski en 1974 dans les montagnes de San Sicario. Passé à la sculpture et ayant œuvré aussi pour le théâtre, il vit et travaille à Turin depuis 1990.
Dans les jardins du Castello di Casole, à Sienne, Michelangelo Pistoletto a installé quatre splendides sculptures étrusques en bronze baptisées « Caresser les arbres ». Car c’est bien de gratitude qu’il s’agit ici. De protection nécessaire à apporter à la nature. Rassemblées sous l’appellation générique « Loving the World », les figures humaines de couleurs différentes protègent les arbres centenaires et font écho au château du Xe siècle superbement restauré pour devenir un hôtel du groupe Belmond. Il suffit de voir celle qui entre totalement en connexion avec un olivier magique de 400 ans pour être bouleversé par la dimension universelle de cette installation artistique.
Cuisine, observation, gratitude… et peinture : les quatre clés de MITICO pour ouvrir grand les portes de l’art de vivre. Ainsi « Coloring the World » est-elle née de l’imaginaire de Pascale Marthine Tayou pour se percher aux côtés du Grand Hôtel Timeo, à Taormina, jusqu’au 31 décembre. L’artiste plasticien camerounais né en 1966 à Nkongsamba a féminisé ses deux prénoms dès le début de sa carrière pour se distancier avec ironie du concept de paternité artistique et de l’assignation de genre. Ainsi fait-il de même avec ses thèmes ou ses techniques, qu’il multiplie et diversifie à l’envi de façon à ne jamais entrer dans aucune case : si les premières œuvres d’art qui l’ont fait connaître parlaient du sida, il a tout aussi bien abordé la ruralité ou la mondialisation dans les suivantes. Les Biennales de Venise de 2005 et 2009 achèvent de lui apporter la consécration née en 2002 à la Documenta 11 de Cassel.
Face à l’Etna sur les coteaux de Taormina, les jardins luxuriants du Grand Hôtel Timeo accueillent aujourd’hui ses « Routes du paradis », comme un chemin traversant les 6 ha de la propriété au long duquel l’artiste a coloré des centaines de pierres de toutes les couleurs, comme un écho aux innombrables fleurs illuminant la nature environnante. Un sentier bordé de quatre totems de cristal à taille humaine, irradiés de soleil et habillés d’éléments de tous horizons pour mieux rendre hommage au processus de rencontre entre les peuples et les cultures. Exactement le concept de MITICO, invitant les voyageurs et les passionnés d’art contemporain à aborder les cultures d’une autre manière, en puisant dans l’essence et la beauté de chaque destination.