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La fragilité devient une force à la Biennale de Lyon
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Novembre 2022 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la Biennale d’art contemporain de Lyon qui a réussi à franchir tous les obstacles afin de pouvoir se tenir du 14 septembre au 31 décembre dans 11 lieux de la métropole.

La Biennale dart contemporain de Lyon ne cache pas sa précarisation. Cette seizième édition sera-t-elle la dernière ? La dernière à occuper les 29 000 m2 des anciennes usines Fagor-Brandt transformées en friches industrielles, ça c’est sûr. Car en plus des 250 000 euros de subventions de la Région qui se sont volatilisés en plein montage de la manifestation, obligeant à rogner sur les scénographies et certains dispositifs, l’annonce par la Métropole de la récupération de ce site en 2023 par la SNCF pour la maintenance du tramway a de quoi inquiéter l’équipe de la Biennale d’art contemporain. Sa directrice artistique, Isabelle Bertolotti, sait que « nous pouvons toujours compter sur le Musée Guimet, mais sa superficie représente à peine un cinquième de celle des usines Fagor. La Métropole nous assure que nous aurons un lieu, mais nous ignorons duquel il peut s’agir », confie-t-elle à la journaliste de L’Oeil Magazine pour son numéro de septembre. « Pour l’instant, nous sommes dans l’expectative. »

Raison de plus pour se ruer sur cette édition 2022 de la Biennale de Lyon, à l’occasion de laquelle le duo de commissaires libanais et allemand, Sam Bardaouil et Till Fellrath, ont invité quelque 200 artistes à mêler les époques et les géographies pour explorer les fragilités du monde contemporain. En réfléchissant à la meilleure façon de forger de nouvelles formes de résistance face à nos vulnérabilités collectives, « observées autant à travers les cycles de l’histoire qu’à l’aune de nos destins individuels ou de l’état de notre planète », comme l’explique Anne-Cécile Sanchez dans son article pour le magazine observateur de l’art. Car quel meilleur thème cette année que la fragilité érigée en force ? « Manifesto of Fragility », soit « le manifeste de la fragilité », tel est en effet le titre de la manifestation, dont le graphisme sur fond de fleurs roses se déploie sur l’affiche imaginée par le studio de design Safar, un duo basé entre Beyrouth et Montréal. Une véritable œuvre d’art à elle toute seule. En s’inspirant de l’herbier de Lyon comme d’une banque d’images et de données, Safar évoque aussi bien avec cette affiche la richesse botanique de la ville et l’économie des soieries locales, que la beauté fugace des fleurs, « capables pourtant de traverser les époques pressées entre deux feuilles de papier ».

Depuis qu’en 2009, Sam Bardaouil et Till Fellrath ont décidé de mettre leurs réseaux en commun, leur plateforme curatoriale artReoriented a collaboré avec plus de 70 institutions dans le monde. En France on peut notamment citer l’événement « Art et liberté », remettant en cause au Centre Pompidou en 2016 les canons de la modernité occidentale, et permettant carrément selon L’Oeil d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’art. Car leur passion à ces deux commissaires d’exposition, leur spécialité, c’est bien ça : décloisonner le regard sur l’art. Comme ils l’avaient vu faire par John Berger dans la série des années 1970 intitulée « Ways of Seeing » : un classique de l’analyse visuelle très précurseur que l’on peut encore aujourd’hui dévorer sur le net. Le tandem a aussi présidé la fondation culturelle Montblanc de 2016 à 2020, avant de prendre en janvier 2022 la direction du Hamburger Bahnhof – Musée d’art contemporain de Berlin. Nommés curateurs de la Biennale de Lyon en 2019, ils sont également curateurs du pavillon français de la 59e Biennale de Venise, confié cette année à Zineb Sedira.

Aidés d’une chercheuse, et avec l’objectif de structurer le 16e Biennale d’art contemporain de Lyon autour de trois sections concentriques fonctionnant comme autant de points d’entrée dans le thème proposé, les deux commissaires se sont immergés dans l’histoire de la ville de Lyon pour exhumer notamment l’étrange parcours de Louise Brunet, cette ouvrière militante envoyée dans les usines de soie au Liban et qui sert aujourd’hui de noyau à la première section de la Biennale. Présentée au premier étage du macLYON, l’exposition « Les nombreuses vies et morts de Louise Brunet » rassemble plusieurs centaines d’œuvres d’art, d’objets et de documents d’archives sur plusieurs millénaires. De Lucas Cranach au design industriel des années 1960, des stèles funéraires romaines aux armures de samouraïs japonais, en passant par les madones en céramique polychrome d’Ann Agee proposant une alternative à la statuaire médiévale avec un enfant qui pourrait être une fille, ou l’œuvre de Phoebe Boswell évoquant la représentation de la race dans Othello, elle puise dans les collections d’institutions locales et étrangères comme le Musée des Beaux-Arts, Lugdunum – Musée et Théâtres romains et Gadagne à Lyon, le Metropolitan Museum à New York, le Louvre Abu Dhabu ou le Staatlichen Kunstsammlungen Dresden, pour exhumer des récits transhistoriques de fragilité et de résistance.

L’exposition « Beyrouth et les Golden Sixties » rebondit sur la ville où Louise Brunet arriva en 1838, et cette deuxième section présente un moment charnière de l’histoire moderne du point de vue d’une crise en cours, soulignant l’enchevêtrement des cycles passés et présents de fragilité et de résistance. Avec plus de 230 œuvres d’art de 34 artistes, essentiellement modernes, et 300 documents d’archives provenant de plus de 40 collections privées, cette seconde partie de la 16e Biennale de Lyon organisée avec le Gropius Bau de Berlin et qui a largement bénéficié du soutien de la diaspora libanaise, offre de découvrir les nouvelles perspectives qui s’offrent à cette ville toujours accablée par le poids de ses ambitions irréconciliables. Et de voir ou revoir les tableaux d’Etel Adnan récemment découverts au Centre Pompidou-Metz, mais aussi ceux de Khalil Zgaib ou de Paul Guiragossian, parmi de très nombreux autres.

Enfin, avec le troisième temps de ce récit, intitulé « Un monde d’une promesse infinie », se dessine sur les onze sites d’exposition de la Biennale de Lyon, répartis dans toute la Métropole, un réseau international allant d’Amsterdam à Varsovie, de Bogota à Shangaï ou de Paris à Marseille en passant par Lyon, fait d’un vaste panorama réunissant les productions pour moitié inédites de 88 artistes contemporains.

Des anciennes usines Fagor au Musée d’art sacré de Fourvière, en passant par le musée Guimet qui rouvre pour la première fois au public depuis sa fermeture en 2007 en accueillant notamment les œuvres réalisées tout spécialement pour l’occasion par les jeunes et talentueux artistes Ugo Schiavi et Lucile Boiron, le macLYON et Lugdunum bien sûr, le jardin du Musée des beaux-arts, la galerie d’art Ceysson & Bénétière… mais aussi les parkings LPA qui, depuis trente ans, accueillent de grandes signatures de l’art contemporain dans leurs sous-sols, l’occasion est belle de faire le point sur l’avancée des travaux d’artistes d’aujourd’hui aussi enthousiasmants qu’Aurélie Pétrel et ses « partitions photographiques », ou qu’Eva Nielsen et ses « précipités de vues », inspirés aussi bien des Sun Tunnels de Nancy Holt que des Combines de Rauschenberg ou des découpes de bâtiments de Gordon Matta Clark. Sans oublier l’installation impressionnante de sculptures monumentales de Daniel Otera Torres, les tableaux de Julio Anaya Cabanding, les peintures narratives de Sylvie Selig, l’œuvre musicale d’Annika Kahrs

Sam Bardaouil et Till Fellrath avaient bien l’intention d’élargir la notion de contemporanéité en créant « des confrontations, des dialogues, visuels, formels, thématiques, notamment grâce à des accrochages dans le même espace d’œuvres anciennes et d’œuvres actuelles ». C’est réussi !

 

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