Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CRÉÉ
PAR DES ARTISTES, POUR TOUS LES ARTISTES !
Current locale language
Le peintre Walter Sickert était-il Jack l’Eventreur ?
le-peintre-walter-sickert-etait-il-jack-leventreur - ARTACTIF
Décembre 2022 | Temps de lecture : 28 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Walter Sickert. Peindre et transgresser », qui se tient au Petit Palais, à Paris, jusqu’au 29 janvier 2023.

Avouons-le : l’occasion est rare de pouvoir « faire le buzz » sur une exposition de peinture parce que l’artiste en question est soupçonné d’avoir été un tueur en série ! Surtout qu’on ne le connaissait encore pas vraiment en France, ce troublant Walter Sickert, né le 31 mai 1860 à Munich, alors royaume de Bavière, et mort le 22 janvier 1942 à Bath, en Angleterre. Sans jamais avoir été inquiété de son vivant par Scotland Yard… alors qu’un important faisceau d’indices laisse à penser qu’il pourrait ni plus ni moins être le fameux Jack l’Eventreur ! Impossible de l’ignorer aujourd’hui, depuis que l’exposition « Walter Sickert. Peindre et transgresser » s’est installée ce 14 octobre au Petit Palais, à Paris, où elle est visible jusqu’au 29 janvier. La revue L’Oeil titre d’ailleurs ce mois-ci à la Une : « Walter Sickert, le peintre qui est accusé d’être Jack l’Eventreur ».

C’est la première fois qu’une grande rétrospective est consacrée en France à ce peintre anglais insaisissable, à tous les sens du terme. Organisée en partenariat avec la Tate Britain, l’exposition avait été portée par Delphine Levy, qui fut la première directrice de Paris Musées et la spécialiste française, reconnue internationalement, de Walter Sickert, avant de décéder brutalement en 2020, à 51 ans, des suites d’un AVC. « Walter Sickert est un artiste qui ne se laisse pas aisément saisir », écrivait-elle. « Sa peinture est à l’image de sa personnalité, à la fois provocatrice et énigmatique. Le peintre Jacques-Emile Blanche, au bout d’une quarantaine d’années d’amitié, évoquait « une discrétion dédaigneuse, une sorte d’auto-défense dans son attitude vis-à-vis des contacts humains – noli me tangere… Toutes les relations avec Sickert ont un caractère extraordinaire, mystérieux » ».

Hommage est bien entendu rendu aujourd’hui à Delphine Levy par Clara Roca, conservatrice chargée des collections d’arts graphiques et de photographies des XIXe et XXe siècles au Petit Palais, commissaire de cette importante exposition qui braque le feu des projecteurs sur l’œuvre d’un artiste résolument moderne, aux sujets énigmatiques, ayant beaucoup provoqué la société anglo-saxonne de son temps tout en tissant des liens artistiques et amicaux avec de nombreux artistes français, mais n’en demeurant pas moins très peu présent dans les collections d’œuvres d’art françaises.

« Dans le monde anglo-saxon, cette rumeur est très connue du public », assure Clara Roca à Marie Zawisza, la journaliste de L’Oeil qui s’étonne devant la peinture de Walter Sickert représentant la chambre de son propre logement… intitulée La Chambre de Jack l’Eventreur, ou devant la série de tableaux inspirés par le meurtre d’Emily Dimmock en 1907dans le quartier londonien de Camden Town. « Comme c’est bizarre », écrit la journaliste. « Les tableaux de Walter Sickert pourraient bien être des pièces à conviction pour les crimes jamais élucidés de Jack l’Eventreur, et lui-même être reconnu coupable de ces sanglants assassinats perpétrés sur des prostituées à Londres en 1888. »

Il a d’ailleurs été inculpé pour les crimes de Jack l’Eventreur post mortem dans les années 1970, et en a officiellement été accusé en 2002 par la célèbre autrice de romans policiers Patricia Cornwell, preuves ADN à l’appui. Sauf qu’entre août et octobre de cette année 1888, Walter Sickert était à Dieppe… avec Edgar Degas. « En 2021, une exposition autour de cette question a même été présentée par la galerie d’art Walter Art Gallery de Liverpool », complète la journaliste. « En France, cependant, le peintre s’est fait peu à peu oublier après la Première Guerre mondiale. Si bien qu’il s’invite au Petit Palais à pas feutrés en évitant le scandale, comme un véritable gentleman. »

Il n’en reste pas moins très difficile de ne pas penser, en se retrouvant devant des œuvres d’art aussi diverses et variées que l’était leur auteur, lui-même ancien acteur de théâtre passé maître dans l’art du travestissement, qu’elles ont peut-être peintes par un assassin de femmes. A moins qu’elles ne l’aient été par un passionné de canulars et de crimes non résolus, uniquement guidé par son goût de la provocation et ses névroses intimes. Puisque le doute reste permis, mieux vaut peut-être aller y voir de plus près. Et ce parcours chronologique est troublant.

Bien connu au Royaume Uni, même si ses œuvres d’art à vendre restaient le plus souvent dans son atelier tant sa notoriété tenait surtout au parfum de scandale qui émanait de ses scènes de music-hall, considéré comme lieu de débauche par la société victorienne, ou de ses nus pas du tout « so british »,  il faut tout de même savoir que Walter Sickert a eu un impact décisif sur la peinture figurative anglaise, notamment sur Lucian Freud et Francis Bacon. Ses choix de couleurs aussi virtuoses qu’étranges, hérités de son apprentissage auprès du peintre et graveur américain James Whistler (1834-1903) alors installé à Londres, ainsi que ses cadrages déroutant et la « dés-érotisation » de ses nus présentés de manière prosaïque dans des intérieurs pauvres de Camden Town frappent en effet ses contemporains.

Sa rencontre avec Edgar Degas (1834-1917) à Paris en 1883, et l’amitié indéfectible qui s’en suivit, ne lui a pas seulement servi d’alibi pour les crimes de Jack l’Eventreur. « Aux côtés de Degas, le peintre s’affranchit de l’influence de Whistler et change de style », note Marie Zawisza dans son article pour L’Oeil. Il importe en Angleterre une manière de peindre influencée par ses séjours parisiens et dieppois. Ainsi arrivent dans son oeuvre les arts du spectacle, sujet déjà familier au public parisien qui connaît Toulouse-Lautrec. Walter Sickert n’aime rien tant que changer de milieu comme il change de costume ou de coupe de cheveux. Ayant d’abord épousé une riche héritière, fille d’un important homme politique libéral, il n’hésite pas à fréquenter les endroits les plus subversifs qu’il trouve, ni à vivre en concubinage avec la doyenne du marché aux poissons de Dieppe. Ce qui ne l’empêche pas de peindre « des paysages dont la délicatesse des jeux de lumière évoque les toiles d’un Monet », souligne la journaliste.

Dans la section 7 de l’exposition du Petit Palais sont présentés les tableaux appartenant à la série qu’il baptisait ses conversation pieces. Ces fameuses « scènes de la vie intime » dans lesquelles Sickert excelle à représenter l’ennui du couple… qui pourrait pousser au meurtre. On est bien loin de ces tableaux du XVIIIe siècle où, dans la plus pure tradition anglaise, les peintres donnaient à contempler le bonheur conjugal ou familial ! Virginia Woolf, l’écrivaine grande amatrice de la peinture de Sickert, disait d’ailleurs d’Ennui, l’une de ses peintures les plus célèbres : « L’horreur de la situation tient au fait qu’il n’y a pas de crise ; de mornes minutes passent, de vieilles allumettes s’entassent avec des verres sales et des mégots de cigare ». Là encore, le peintre anglais excentrique et mystérieux innovait formidablement en détournant un genre apaisé et codifié. En provocant. En transgressant.

Comme dans les dernières années de sa vie lorsqu’il s’ingénie à transposer en peinture des photographies trouvées dans la presse, en mettant au point ce qu’il appelle « le meilleur moyen du monde de faire un tableau », notamment à base d’une lanterne de projection. Bien qu’il soit alors pleinement reconnu en tant qu’artiste, Walter Sickert fera là encore face à de violentes critiques en présentant ses tableaux réalisés selon ce procédé de transposition… qui sera finalement banalisé par les artistes des générations suivantes, comme Andy Warhol ou Gerhard Richter. Jusqu’au bout, Sickert aura transgressé, jusqu’à prendre la pose du Christ. De là à avoir tout fait pour prendre celle de Jack l’Eventreur, il n’y a qu’un pas…

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art