La peinture de terroir a la cote
A propos des expositions de plus en plus nombreuses consacrées par les musées aux artistes de leur région
On n’assiste pas seulement à la revanche des peintres qui étaient restés sur le banc de touche du match de l’histoire de l’art, souvent pour d’obscures raisons : c’est aussi celle des musées de province, dont ressortent enfin les collections oubliées depuis trop longtemps dans leurs réserves. Des musées de région, pardon. On ne dit plus province. C’est péjoratif. Alors concernant les « peintres de région », on n’en est pas à retrouver des œuvres d’art à vendre de ces artistes oubliés dans les galeries d’art… mais qui sait ?
L’engouement pour les circuits courts, depuis les difficultés d’acheminement nés de la pandémie, le serrage de ceinture et les préoccupations accrues en matière de taxe carbone, ne concerne en effet pas seulement les fruits et légumes, le boeuf ou la volaille. L’art en profite aussi ! Et le verbe « profiter » s’avère juste, oui, après lecture de l’article consacré par le magazine L’Oeil du mois de novembre, consacré à cette nette tendance des musées à valoriser les peintres de leur région. On aurait pu, trop rapidement, penser que devoir « se contenter » d’exposer local pour des raisons aussi économiques qu’écologiques allait pousser le curseur de la qualité picturale vers le bas, mais non. En tout cas, pas forcément. Car ressortir les tableaux de peintres ancrés sur le territoire ne signifie pas forcément ressortir les croûtes. Non, non, pas forcément.
Alors évidemment, pour les amateurs des seules peintures ou sculptures signées d’un nom d’artiste à la renommée internationale aujourd’hui sur le marché de l’art, ça ne sera ni économique ni écologique, puisqu’il faudra désormais pouvoir accéder aux collections auxquelles elles appartiennent partout, en France parfois, à l’étranger souvent. Mais pour les amateurs d’art, au sens curieux et ouverts du terme, l’aubaine est excellente : il n’y a plus qu’à aller faire un tour dans le musée de sa propre ville ou de ses environs pour découvrir des artistes ayant œuvré sur leur territoire, tombés dans les oubliettes de l’histoire de l’art et pourtant munis de talents que l’on ne soupçonnait même pas.
Et ça marche ! « Cette réorganisation axée sur la réémergence de stars locales s’est, de fait, avérée payante, puisque la fréquentation de l’établissement a pratiquement triplé, passant de 25 000 à 70 000 visiteurs par an », écrit Isabelle Manca-Kunert, la journaliste de L’Oeil, en évoquant le musée des beaux-arts d’Orléans. « L’ADN local apporte de toute évidence une valeur ajoutée aux redécouvertes », constate la directrice du musée, Olivia Voisin. « Il y a une appétence des visiteurs de s’approprier leur histoire, une fierté de voir que de grands artistes sont passés par leur ville ou que leur musée conserve leurs œuvres. Nous l’avons observé il y a quelques années avec l’exposition Perroneau qui était la première de cette nouvelle politique de programmation d’artistes liés à Orléans. » Le portraitiste et pastelliste du siècle des Lumières Jean-Baptise Perroneau (env.1715-1783) a beau être né à Paris et mort à Amsterdam, il n’en demeure pas moins qu’il séjourna régulièrement à Orléans. D’où une politique régulière d’acquisition de ses tableaux à vendre par le musée des beaux-arts orléanais dès la seconde partie du XVIIIe siècle.
Mais alors pourquoi l’avait-on oublié, ce Perroneau ? La version avancée à l’occasion de cette première rétrospective qui lui avait été consacrée en 2017 par le musée des beaux-arts d’Orléans faisait état de son goût apparemment trop prononcé pour les voyages, qui l’aurait souvent empêché d’honorer ses commandes, faute de disponibilité, lassant ainsi sa clientèle de grands bourgeois parisiens. Si l’on se réfère à d’autres sources, comme le témoignage de Diderot par exemple, son talent aurait très tôt été remis en question. Notamment par le fameux Maurice Quentin de la Tour (1704-1788) dont la célébrité aurait vite éclipsé celle de Jean-Baptiste Perroneau. Peut-être après que le premier ait glissé une belle peau de banane sous le pied du second, en lui commandant son portrait pour l’exposer à côté de son propre autoportrait au Salon de 1750 : en faisant la comparaison, la critique encensa Quentin de la Tour, qui devint portraitiste de la cour, et méprisa Perroneau, qui dû se contenter des figures de la bourgeoisie. Injustice ? Niveau vraiment insuffisant de la « star » orléanaise d’aujourd’hui ?
Chacun se fera son opinion personnelle. Et place à Orléans au peintre d’histoire Jean Bardin (1732-1809), qui y est mort et à qui l’on doit la création du musée. De toute façon, il n’y a jamais eu de la place pour tout le monde, que ce soit au panthéon de l’histoire de l’art ou ailleurs. Alors puisque l’époque est à l’économie des « grands hommes », trop loin, trop chers, autant en profiter pour revaloriser les petits. « Les acteurs locaux ont d’ailleurs bien compris le potentiel touristique que représentent les artistes du terroir. Preuve en est la multiplication de labels et d’événements s’appuyant sur une personnalité associée à un territoire », écrit la journaliste. Citant l’exemple de la Creuse, département ô combien déserté et aujourd’hui rebaptisé « la Vallée des peintres », mettant régulièrement à l’honneur des artistes ayant célébré ses paysages.
Le Val d’Oise tire aussi son épingle du jeu, qui met en place sa « Destination impressionnisme de la Vallée de l’Oise », une association créée en 2021 par les villes de L’Isle-Adam, Pontoise et Auvers-sur-Oise afin de permettre à ces trois musées de proximité de développer une programmation commune. Sont ainsi présentées cet automne trois expositions conjointes : Jules Dupré (1811-1889) au musée d’art et d’histoire Louis Selecq à L’Isle-Adam, ville de cœur du peintre paysagiste ; Camille Pissaro au musée éponyme de Pontoise, ville où vécu le célèbre peintre impressionniste ; et Charles-François Daubigny (1817-1878) à Auvers-sur-Oise, ville dont « le peintre de l’eau » avait d’abord fait le port d’attache préféré de son Bateau-Atelier avant d’y installer sa Maison-Atelier dont Camille Corot (1796-1875) lui-même conçut la décoration.
L’art contemporain n’est pas en reste, qui voit la Biennale de Lyon mettre en valeur de prometteurs artistes du cru comme Maïté Marra, plasticienne née en 1992, vivant et travaillant à Villeurbanne, et Pierre Unal-Brunet, sculpteur né en 1993, vivant et travaillant à Lyon.
« De plus en plus d’établissements et de tutelles voient dans cette démarche une manière de sortir des seules expositions blockbusters fondées sur des célébrités internationales », écrit Isabelle Manca-Kunert. « Alors que tout le monde se sert la ceinture et réfléchit davantage à son empreinte carbone, il apparaît de moins en moins pertinent de faire systématiquement venir des œuvres du bout du monde. A fortiori quand on dispose de ressources incroyables et inexploitées sur place. » Pour preuve le musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, dans le Doubs. « Quiconque s’intéresse au XVIIIe siècle connaît l’importance du patrimoine bisontin. La commune a en effet conservé un exceptionnel ensemble d’édifices du siècle des Lumières et les collections de son musée abondent en œuvres majeures de cette époque », constate la journaliste. Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, aucune exposition n’avait encore été consacrée à cet âge d’or. C’est enfin chose faite avec « Le Beau Siècle », une exposition qui se tient jusqu’au 19 mars 2023 à Besançon… et dont nous vous reparlerons !