A la lumière de Vincent Bioulès
Né à Montpellier en 1938, où il vit et travaille, le peintre Vincent Bioulès est l’un des membres fondateurs du groupeSupports/Surfaces, ce mouvement artistique qui ouvrit le champ de l’art dit contemporain, aussi bien en peinture qu’en sculpture, au début des années 1970. A ses cotés on retrouvera donc régulièrement cités Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, André-PierreArnal, Toni Grand, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat. Plus ou moins tous issus de l’Ecole des beaux-arts de Montpellier et de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
Mais Vincent Bioulès ne peut définitivement pas être réduit à l’aventure éphémère de la dernière avant-garde française, lui dont les peintures regardent aussi vers Paul Cézanne, Pierre Bonnard ou Henri Matisse. Marie Maertens, journaliste pour le magazine Connaissance des arts, est allé le rencontrer dans son atelier à Montpellier alors qu’il était en pleine préparation de l’exposition qui lui est actuellement consacrée à la galerie d’art parisienne La Forest Divonne, « Vincent Bioulès. Mes lieux de mémoire », visible jusqu’au 25 février. L’artiste a en effet réalisé tout spécialement un ensemble d’œuvres d’art inédites, après ses deux précédentes expositions présentées par la même galerie d’art, « Les douze mois de l’année » à Paris en 2020, et « Jardin(s) » à Bruxelles en 2021. La Forest Divonne a également exposé les œuvres d’art à vendre de Vincent Bioulès à la foire ExpoChicago au printemps 2022, où elles ont remporté un immense succès. Et la renommée de l’artiste a été confirmée la même année par l’acquisition de l’une de ses œuvres majeures de 1983, Les barricades mystérieuses, par le Centre Pompidou.
Dans cette nouvelle série, celui qui se définit comme « le seul peintre du dimanche à réellement travailler tous les jours » continue d’explorer du bout de son pinceau jardins et lieux de son enfance, dont il fait des tableaux foisonnants de verdure et de couleurs, dans l’expression d’une nature généreuse et fantasque. « Les peintures dont il est question aujourd’hui font référence à des éléments fondateurs de ma sensibilité : vues de jardins privilégiés à Nîmes et Montpellier, qui ont déterminé mon regard sur le monde », explique Vincent Bioulès. « Les trois vues du jardin de mes parents avec leurs ciels roses font référence au quatrième dimanche de Carême, dit dimanche de laetare, où les officiants portent des ornements roses. Les paysages de Nîmes sont, eux, inspirés par des aquarelles de ma mère qui en déterminent l’enracinement dans ma petite enfance… Quant aux tableaux de fleurs, ils veulent évoquer mon éblouissement face à la nature, profondément lié à ma sensibilité d’enfant retrouvée. »
Evidemment, ce que Vincent Bioulès veut transmettre, et ce qui détermine sa peinture, c’est son émotion intérieure. Mais la lumière a toujours été l’un de ses sujets sous-jacents, depuis la période non-figurative de Supports/Surfaces jusqu’aux innombrables paysages du Sud qu’il ne se lasse pas de représenter. Entre la lumière des livres qu’il dévore, celle du Sud et celle qui inonde la pièce unique où il travaille, le peintre érudit au phrasé précis et délicat n’en finit plus d’être éclairé, quel que soit le genre qu’il choisit de traiter. « L’artiste revendique d’ailleurs une liberté totale de production et assume des ruptures franches de style, qui ont pu décontenancer le milieu de l’art », précise Marie Maertens dans le numéro de décembre de Connaissance des arts où est paru l’article qu’elle a consacré à sa visite d’atelier.
Dans l’atelier de Vincent Bioulès, les tubes d’huile sont rangés dans des boîtes, les livres dans des bibliothèques, les pinceaux sont alignés et diverses palettes déclinent ces couleurs très méditerranéennes qu’il affectionne tant, à dominante de bleus, verts et ocres. Lui-même est plutôt du genre bien rangé. On apprend dans cet article qu’il lit tous les matins des essais en buvant son café, qu’il se rend vers 10 h dans son atelier, puis qu’il rentre déjeuner avec son épouse, avant de retourner peindre jusqu’à 18 h, heure à laquelle il file acheter un exemplaire du journal Le Monde pour aller le lire à la terrasse d’un café. Lui qui a beaucoup voyagé autrefois choisit aujourd’hui les voyages immobiles, tout en continuant d’explorer le pic Saint-Loup ou les bords de l’étang de l’Or. Ses souvenirs sont désormais sa principale source d’inspiration, même s’il lui arrive encore de dessiner ou de peindre sur le motif. Et les photographies qu’il prend sur les lieux ne lui servent qu’à corriger certains détails de ses tableaux à vendre.
S’il a inventé le nom du groupe Supports/Surfaces fondé en 1969, faisant référence d’un côté au châssis comme support de la toile, et de l’autre côté à la toile elle-même, Vincent Bioulès s’en est très vite émancipé. La rigueur imposée par ce mouvement n’était décidément pas pour lui. Côtoyant et admirant la pensée du peintre Michel Parmentier (1938-2000), cofondateur quant à lui du groupe BMPT avec Daniel Buren, Olivier Mosset et NieleToroni, le peintre montpelliérain s’était retrouvé en 1966 subjugué par le Pavillon Américain de la Biennale de Venise. « Deux peintures complètement opposées répondaient à mes contradictions », raconte-t-il à la journaliste de Connaissance des arts. « Quand Helen Frankenthaler dévoilait son lyrisme immense par ses espaces liquides très proches de gigantesques aquarelles, comme des cieux abstraits, Ellsworth Kelly montrait, à l’inverse, des peintures fort rigoureuses, constituées de grands aplats colorés. Cela m’a beaucoup influencé, notamment lors de ma première exposition au sein du groupe ABC Productions, qui précéda Supports/Surfaces. »
Parallèlement, son ami Jean Hugo (1894-1984), peintre lui aussi mais également illustrateur et écrivain français, lui fait comprendre au cours de l’un des dîners les réunissant chaque lundi, qu’il cultive au fond un goût pour une esthétique « nominaliste » induisant que les appellations sont des conventions de langage. Voilà qui répond merveilleusement à la question que se posait Vincent Bioulèsquant à l’attrait instinctif qu’il continue de ressentir pour la peinture primitive italienne.Comme le rappelle Marie Maertens, à propos de l’époque Supports/Surfaces, « durant ces quelques années de toiles aux espaces délimités par des lignes et bandes plus ou moins radicales, l’artiste avoue qu’il a toujours continué à dessiner des croquis sur le motif, dans ses petits carnets, et à réaliser des paysages quand il partait l’été en vacances ».