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William Morris voulait rendre sa beauté au monde
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Février 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « William Morris 1834-1896. L’art dans tout », visible à La Piscine de Roubaix jusqu’au 8 janvier.

Il voulait remplacer la révolution industrielle par la révolution artisanale. Il voulait que tout soit aussi beau qu’utile. Il voulait sauver la nature. A la lecture de l’article qui lui est consacré par Connaissance des Arts en ce mois de décembre, on est sûr d’au moins deux choses : William Morris (1834-1896) est un précurseur génial, un visionnaire attachant aux dons multiples auquel le design contemporain doit beaucoup… et il faut absolument se précipiter à Roubaix pour découvrir à La Piscine l’exposition « William Morris 1834-1896. L’art dans tout », visible jusqu’au 8 janvier. Ou au moins se plonger dans le maximum de documents que l’on trouvera à son sujet, comme le catalogue de l’exposition ou la réédition de ses écrits. Cet homme à la fois écrivain, peintre, architecte, designer textile… qui a consacré toute son existence à l’avènement du beau et dont l’apport est fondamental dans la reconnaissance des arts appliqués, est tout simplement irrésistible !

Imaginez-vous. Du haut de ses 17 ans, alors que l’Exposition universelle bat son plein à Londres, le jeune Anglais refuse d’y accompagner ses parents issus de la bourgeoisie aisée qui prospère avec l’ère victorienne… au prétexte que les productions exposées sont vraiment trop moches ! Pour lui déjà, la valeur esthétique est indissociable de toute forme de fabrication. Le progrès ne doit pas aller sans la beauté. Il ne veut pas voir des rails de chemin de fer balafrer la nature et des objets sans âme fabriqués à la chaîne, il ne veut voir que des œuvres d’art à vendre, même si c’est pour s’asseoir dessus, y ranger son linge ou manger dedans. La destruction des paysages dans le sillage de la révolution industrielle le bouleverse. Lui, il préfère vivre dans sa tête comme dans les romans médiévaux de Walter Scott. Ses conditions de vie privilégiées lui ont permis de ne pas être confronté à l’horreur des terribles écoles anglaises. Il a passé son enfance à gambader à la campagne, à galoper dans les forêts de l’Essex, à se passionner pour la nature et ses formes. Il croit en l’utopie d’un monde où les choses et les personnes sont belles.

Lorsqu’il part faire ses études à Oxford à partir de 1853, il rencontre le futur peintre préraphaélite Edward Burne-Jones (1833-1898), et leur amitié restera indéfectible. Les deux jeunes hommes découvrent ensemble aussi bien les cathédrales gothiques du Nord de la France que les Primitifs flamands ou les écrits de John Ruskin (1819-1900), écrivain, critique d’art et réformateur social qui aura une influence considérable sur le goût de l’Angleterre victorienne tout en s’opposant aux doctrines économiques de l’école de Manchester. Convaincu que la beauté contribue à donner un sens à l’existence, qu’hommes et femmes doivent être également bien payés en échange de leur savoir-faire artisanal, William Moris ne cessera plus de mettre en place la nouvelle organisation éthique de l’art théorisée par Ruskin, ce qui ajoutera à son œuvre artistique et littéraire personnelle une dimension sociale et écologique qui est aujourd’hui d’une actualité incroyable.

Expérience d’ateliers collectifs, retour à la campagne dans des colonies d’artisans, entreprises dont les profits sont reversés aux ouvriers, attention portée aux conditions de fabrication des objets manufacturés, désir de prendre en compte la dignité de ceux qui les fabriquent… Dès les années 1870, plutôt que courir les galeries d’art, William Morris s’engage aux côtés des socialistes pour dénoncer l’impitoyable envol du système capitalisme détruisant toute la beauté du monde sur son passage. Pour s’insurger contre le profit qui a « transformé les beaux cours d’eau en égouts répugnants » et qui contraint les pauvres à vivre dans des cloaques. Il donne des conférences dans toute l’Angleterre, intitulées par exemple « Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre ». Il lit Marx très attentivement et devient un véritable héraut de l’écologie. « Je dis qu’il est à peu près incroyable que nous puissions tolérer une telle crétinerie », assène William Morris… au XIXe siècle. Hélas, il pourrait dire la même chose aujourd’hui.

En affirmant sans cesse l’importance de toutes les formes d’art, que ce soit la peinture, l’architecture, le graphisme, l’artisanat ou la littérature, William Morris œuvre à redonner des qualités esthétiques aux objets, même les plus usuels, en produisant, par le travail manuel, de la beauté à l’usage de toutes les couches de la société et en valorisant les savoir-faire les plus rares pour aller contre le prosaïsme du monde industriel. Ses recherches formelles et historiques sur la culture Celte et le Moyen-Âge nourrissent sont inspiration et celle de ses amis artistes dont beaucoup appartiennent comme Edward Burne-Jones à la Confrérie des Préraphaëlites fondée par Dante Gabriel Rossetti, William Holman Hunt et John Everett Millais. « Si vous voulez une règle d’or qui s’applique à tout le monde, la voici : n’ayez rien dans votre maison que  vous ne sachiez être utile ou que vous ne pensiez beau », confie l’artiste polymorphe qui fera quant à lui de sa vie un combat pour l’abolition des frontières entre beaux arts et arts appliqués.

Comment ne pas aussitôt penser au fameux « L’art pour tous et l’art dans tout ! », la devise de l’Art nouveau notamment reprise à l’aube du XXe siècle par les artistes de l’Ecole de Nancy comme Emile Gallé, Louis Majorelle, Victor Prouvé, Antonin Daum, Jacques Gruber et Eugène Vallin. Il est passionnant de remonter ainsi aux origines de cette grande tendance qui semble retrouver aujourd’hui force et vigueur, trouvant donc ses fondements dans le mouvement Arts and Crafts s’étant développé en Angleterre dès 1860. Architecture, peinture, arts décoratifs et même sculpture… toutes les catégories d’œuvres d’art à vendre sont concernées. Tandis qu’Edward Burne-Jones peint des tableaux, que Philip Webb crée des buffets ou que Ford Madox Brown imagine des chaises, les aquarelles et les dessins de William Morris, aux motifs directement inspirés par la nature, deviennent vitraux ou papiers peints. Le tout pour la firme William Morris & Co qu’il a créée avec ses associés, en plus d’être éditeur de dizaines de chefs-d’œuvre et inventeur de la « fantasy » avec ses propres romans « fantastico-chevaleresques ».

Il confie dès 1859 la construction de sa première maison dans le sud-est de Londres à Philip Webb, pour en faire une sorte de manifeste en même temps qu’une demeure familiale où il s’installe avec son épouse Jane Burden, muse incontestée de ses amis peintres préraphaélites. Toute la communauté artistique y défile et y comprend instinctivement les bases traditionnelles et sans artifice du mouvement Arts and Crafts, d’inspiration médiévale : brique rouge apparente fabriquée localement, toitures à deux pans, cheminées, fenêtres de tailles variées, façades asymétriques… Depuis la décoration intérieure jusqu’aux objets du quotidien, en passant par les meubles et le dessin du jardin, tout y est beau et confortable, illustrant le respect des matériaux et du travail des artisans. Son médecin dira au moment de sa mort précoce à l’âge de 62 ans qu’il a tout simplement succombé « d’avoir été William Morris » : un homme que sa créativité exceptionnelle aura finalement épuisé.

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