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L’art moderne arabe révolutionné par Baya
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Mars 2023 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

Mais quelle (re)découverte splendide que celle de l’œuvre de Baya à l’occasion de l’exposition que lui consacre l’Institut du Monde arabe à Paris ! L’harmonie de ses couleurs vives, la force de ses traits, la puissance de ses compositions… tout donne envie de se perdre dans l’œuvre de cette artiste, née Fatma Haddad le 12 décembre 1931 aux environs d’Alger. Surtout que sa vie n’est pas en reste ! Orpheline de père à 6 ans, puis également de mère à 9 ans, la fillette est recueillie par sa grand-mère ouvrière agricole, et s’emploie dans des fermes de colons à Fort-de-l’Eau, où elle garde les animaux au lieu d’aller à l’école. Comme dans un conte de fées, une « marraine » se penche sur son destin en la voyant dessiner dans le sable et sculpter dans la terre. C’est la sœur de ses patrons, Marguerite Caminat (1903-1987), peintre originaire de Toulouse et épouse de Franck Mac Ewen (1907-1974), artiste lui aussi. Qui obtient de sa grand-mère l’autorisation de la prendre à son service à Alger.

A partir de là, les choses vont s’enchaîner, et la petite Fatma qui fait le ménage et les courses le matin a tout loisir de signer Baya l’après-midi les peintures et sculptures que Marguerite l’encourage à produire. Du prénom de sa mère, Bahia, qu’elle ne cessera jamais de représenter. Les fleurs et les oiseaux qui envahissent l’appartement, les revues et catalogues d’art, la gouache et l’argile à volonté, les fréquentations artistiques de ses nouveaux employeurs : tout inspire la jeune fille. En 1947, Marguerite Caminat fait constater les traces de mauvais traitements que sa protégée subit de la part de son oncle à chaque fois qu’elle retourne voir sa grand-mère. Et le juge de tutelle d’Alger lui confie sa garde jusqu’à sa majorité.

La même année, le peintre et plasticien français Jean Peyrissac installé à Alger et ami de Marguerite Caminat, profite du passage chez lui d’Aimé Maeght, dont la galerie d’art a été inaugurée deux ans plus tôt à Paris, pour lui montrer les œuvres d’art de Baya. Celui qui deviendra avec sa famille le compagnon de route de Matisse, Braque, Léger, Miro, Chagall, Calder, Giacometti… qui exposera les œuvres d’art à vendre de tous les artistes principaux de l’après-guerre comme Bram van Velde, Antoni Tapies, Raoul Ubac, Jean Signovert, Pierre Tal Coat, Jean Bazaine, Eduardo Chililida, Pierre Alechinsky, Paul Rebeyrolle, Adami, Jacques Monori et bien d’autres… décidera d’exposer Baya dans sa galerie d’art à Paris en novembre 1947. C’est la consécration. La jeune artiste a 16 ans.

« Chez Maeght, tout ce que Paris compte d’artistes et de collectionneurs se pressent, et Baya fait sensation dans les journaux et magazines français », écrit Olympe Lemut dans le magazine d’art L’Oeil de ce mois de janvier. Anissa Boyaed, commissaire de l’exposition de l’Institut du Monde arabe avec Djamila Chakour et Claude Lemand, note que « dès cette époque, les journalistes tendent à essentialiser son art, employant des termes teintés d’orientalisme pour le décrire ». Des termes du genre « mille et une nuits », « luxe oriental », « décor paradisiaque »… André Breton, Jean Peyrissac et Emile Dermenghem préfacent le numéro de « Derrière le miroir » qui est consacré à Baya. Le magazine « Vogue » publie la photo de la jeune artiste en février 1948 avec un article d’Edmonde Charles-Roux. Baya rencontre Georges Braque et Pablo Picasso… Dubuffet s’intéresse à son travail, et elle est éblouie par celui de Matisse.

N’empêche que même si, dès cette période, « les grandes caractéristiques du style de Baya sont présentes, notamment les figures féminines à robe évasée et les animaux », même si alors elle « peint et dessine sans relâche, affinant son style et mettant en place une esthétique unique », puisant aussi dans sa culture kabyle, l’artiste cessera complètement de participer à la vie culturelle artistique de 1953 à 1962. Son tuteur légal à Alger la place en effet en 1952 à Blida dans la famille d’un enseignant, et un an plus tard elle doit devenir la seconde épouse du musicien El Hadj Mahfoud Mahjeddine, de trente ans son aîné, dont elle aura six enfants. Elle continue de peindre et sculpter chez elle, à Blida où elle restera jusqu’à sa mort, mais n’expose plus aucune œuvre d’art à vendre pendant tout ce temps.

Il faudra l’avènement de l’indépendance de l’Algérie pour que l’expression créative de Baya rejaillisse plus fort qu’elle, et déborde inexorablement du cadre de son foyer. Commence la période la plus riche de son œuvre. « Elle expose alors partout au Maghreb et dans le monde arabe, notamment à Beyrouth en 1978, et son œuvre commence à intéresser les Américains », souligne la journaliste de L’Oeil. « Marguerite fait en sorte que certaines œuvres intègrent des collections muséales, comme celle du Musée des beaux-arts d’Alger sous la direction de Jean de Maisonseul, puis la collection de l’Art brut de Lausanne en 1978, sur recommandation de Dubuffet. Paradoxalement, les critiques français délaissent l’œuvre de Baya, peut-être à cause de l’atmosphère pesante qui entrave les relations avec l’Algérie indépendante. Il faut attendre 1982 pour qu’une exposition monographique lui soit consacrée en France, grâce à Edmonde Charles-Roux, au Musée Cantini à Marseille. »

« Baya est sans conteste la grande artiste algérienne qui a « ajouté au monde » une œuvre universelle », écrit aujourd’hui l’historienne Anissa Bouyaed. « Faisant irruption sur la scène artistique à la fin de la période coloniale, elle sut avec intelligence et spontanéité s’extraire des déterminismes coloniaux, pour devenir la première femme artiste algérienne consacrée sur la scène parisienne et internationale. » Son travail, souvent qualifié à tort d’art naïf ou d’art brut, a beaucoup influencé les générations suivantes d’artistes, notamment en Algérie où elle fut beaucoup imitée après l’indépendance, pour sa singularité, son raffinement et sa dimension spirituelle.

Les œuvres de Baya conservées au musée de l’Institut du monde arabe et présentées actuellement dans l’exposition « Baya, icône de la peinture algérienne », augmentées de la donation Claude et France Lemand, dont la galerie d’art à Paris a toujours défendu les tableaux à vendre de l’artiste algérienne, forment un ensemble documentant toutes ses périodes d’activité, de 1947 à sa mort en 1998. Elles complètent le fabuleux trésor des Archives nationales d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence et d’autres prêts. L’ensemble permet ainsi de saisir l’évolution de sa peinture – avec notamment l’introduction du thème de la musique à partir des années 1960 -, jusqu’aux émouvantes œuvres de 1998, les dernières réalisées par l’artiste.

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