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Les centres d’art changent la donne
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Mars 2023 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

Tout serait donc une question de stratégie. Lorsqu’Aurélie Cavanna et Etienne Hatt concluent leur article par l’évocation de « ce grand échiquier qu’est devenu le monde de l’art », en introduction au dossier consacré par Artpress ce mois-ci aux centres d’art contemporain invités à se réinventer, le ton est donné. Il s’agit pour chacun d’eux de jouer finement et d’avancer ses pions de telle sorte que la partie finisse par être gagnée. L’histoire ne dit pas qui perdra. Car aux côtés des musées et des galeries d’art, les centres d’art contemporain apparus dans le paysage artistique il y a une quarantaine d’années ont acquis une maturité intéressante, accompagnés pour nombre d’entre eux par l’association française Dca (Développement des centres d’art) qui en fédère actuellement pas moins de cinquante-et-un répartis dans toute la France métropolitaine. Dans ces nouveaux lieux offrant de découvrir l’art d’aujourd’hui en train de se faire, par définition dépourvus de collections et dédiés à la production, manquent toutefois encore souvent méthodes, moyens humains et financiers. Or, Dca a bien l’intention désormais de conserver et de valoriser leurs archives, en plus de continuer à développer une forme d’institutionnalisation de ces structures.

Des structures nombreuses ces derniers mois à avoir changé de direction, ce qui est loin d’être anecdotique tant la direction d’un centre d’art contemporain est personnalisée. Ainsi Audrey Hoareau a-t-elle pris la direction du Centre régional photographique de Douchy-les-Mines, Victorinne Grataloup celle de Triangles-Astérides à Marseille, Thomas Conchou celle de la Ferme du Buisson à Noisiel, Guillaume Désanges celle du Palais de Tokyo à Paris et Céline Kopp celle du Magasin à Grenoble. C’est à ces deux derniers que les journalistes d’Artpress ont choisi de donner la parole « avec l’idée, au-delà du renouvellement des projets et des programmations, de mettre en lumière une nouvelle donne des centres d’art contemporain en France qui semble clairement passer par l’affirmation de nouveaux modèles ». Comme Radicants par exemple, cet organisme hybride qui propose aussi bien du curating que des œuvres d’art à vendre. Selon son concepteur Nicolas Bourriaud, invité lui aussi à s’exprimer par Julien Bécourt dans Artpress, Radicants, qui n’est ni un centre d’art, ni une galerie d’art, ni une structure institutionnelle, « répond à l’évolution du monde de l’art ».

Parce que « ce changement de donne se concentre visiblement sur une relation repensée des structures aux artistes et aux publics, bien sûr, mais aussi à leurs équipes, en s’étendant à toute la vie des centres d’art, à leurs activités les plus visibles comme les plus cachées », la question est posée à Guillaume Désanges par Aurélie Cavanna, de savoir de quelles façon il envisage de prendre en compte les « besoins réels » des artistes. Le directeur du centre d’art du Palais de Tokyo, qui succède à Emma Lavigne, a l’intention de considérer avec attention « tout un écosystème d’acteurs et d’actrices ». A commencer par les « questions de rémunération, statut social et contrats », mais sans oublier que « la pensée écologique nous encourage à nous demander qui nous invitons en termes de diversité, de reconnaissance et d’équité, intégrant les artistes à différents moments de leur carrière ». Et sans omettre non plus que « la question de la fidélité, de la durabilité de la relation est aussi importante. La recherche de nouveauté permanente, l’obsolescence de l’art et des artistes, les expositions qui tournent peu, sont des manières de faire discrètement violentes. Je propose par exemple d’inviter des artistes plusieurs fois, à différentes échelles, tout en assurant une diversité dans la programmation. La question de la production est aussi sensible. C’est formidable de produire de nouvelles œuvres et il faut continuer à le faire car les artistes en ont besoin, mais il y a parfois une injonction à la production nouvelle qui est aussi un stress pour les artistes ».

Guillaume Désanges, dont le Petit traité de permaculture institutionnelle est paru en 2022, s’inscrit notamment dans la remise en cause actuelle de l’esprit de compétition et du régime concurrentiel imposé aux artistes contemporains. De la même façon qu’il veut élargir les publics, « non pas en termes de nombre mais de diversité ». Ses expériences avec l’artiste Thomas Hirschhorn, tel le Musée précaire Albinet (2004), ont nourri ses préoccupations quant aux fonctions de l’art. « Il ne s’agit pas d’apporter la bonne parole à des populations qui en seraient privées, mais de trouver du sens dans ce que nous faisons, avec une foi dans la capacité de l’art à changer le réel. » De même que la permaculture s’inspire du fonctionnement de la nature pour penser des modes de production vertueux, le président du Palais de Tokyo n’hésite pas à dénoncer les « violences invisibles » des métiers de l’art, et propose dans son traité de repenser les institutions culturelles, depuis la communication jusqu’au bâtiment en passant par le management et la programmation.

Petit traité de permaculture institutionnelle Guillaume Desanges, 2022

Petit traité de permaculture institutionnelle Guillaume Désanges, 2022

Musée précaire Albinet Thomas Hirschhorn 2004

Musée précaire Albinet Thomas Hirschhorn, 2004

De revenir aux sources fondamentales peut-être ? Car comme le rappelle Céline Kopp interviewée par Etienne Hatt pour Artpress, l’ouverture du Magasin à Grenoble en 1986 est intervenue dans un moment marqué par une vraie volonté d’invention. En imaginant ce genre de centre national d’art contemporain, « on pensait à la forme institutionnelle d’un lieu dédié aux artistes et aux publics les plus divers, au soutien à la création, un lieu dans lequel on produirait des œuvres connectées à leur temps. On pensait aussi aux métiers. Le Magasin a, par exemple, accueilli la première école de commissariat d’exposition à l’échelle internationale ». La directrice du Magasin aujourd’hui « pense qu’il est important de s’occuper de nos institutions, de les maintenir et de les réinventer depuis l’intérieur pour qu’elles continuent à être en phase avec leurs missions dans un contexte de pratiques artistiques et d’usages qui ne cessent d’évoluer ».

Alors que Céline Kopp estime que l’exposition inaugurale de 1986 du Magasin à Grenoble avec Daniel Buren a forcément été particulièrement marquante, sans douter que la Position de l’amour rassemblant actuellement onze artistes dans la Grande Galerie à l’occasion de sa réouverture le sera tout autant, elle tient à citer aussi de nombreux autres artistes contemporains dont les œuvres d’art ont dans la foulée construit l’histoire du mythique Cnac (centre national d’art contemporain) de Grenoble. Comme General Idea, Ken Lum, Sol LeWitt, Michelangelo Pistoletto, Jean-Luc Vilmouth, John Baldessari, Joseph Beuys, Richard Long, Richard Prince, Jacques Villeglé, Bernd et Hilla Becher, Lawrence Weiner, Robert Barry… « et enfin une femme, en 1990, avec Lili Dujourie ! » Suivront pour l’international Ange Leccia, Thomas Ruff, Matt Mullican, Barbara Kruger, Sophie Ristelhueber, Anish Kapoor, Vito Acconci, Chen Zhen, Alighiero e Boetti, Nari Ward, Gabriel Kuri, Mariko Mori, Allen Ruppensberg… Et puis pour la scène française Franck Perrin par exemple, avec Cosmos. Des fragments futurs (1995). Mais aussi Soundtrack Movie (1997) de Pierre Huyghe, Vraiment. Féminisme et art (1997) par Laura Cottingham… jusqu’à la magnifique exposition de Minia Biabiny en 2020.


 

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