Pol Bury n’est jamais resté en place
On adore le titre de l’article du magazine L’Oeil consacré ce mois-ci à l’artiste belge Pol Bury : « La Louvière sort Bury de sa « bûl » ». Pas moins de 250 œuvres réalisées par Pol Bury (1922-2005) tout au long de sa carrière, estampes, sculptures et reliefs animés, sont en effet actuellement visibles à La Louvière. Mais celui qui fut tout autant peintre que sculpteur, graveur, dessinateur et écrivain est aussi l’un des joyeux compères de l’art contemporain qui avait élaboré la « pensée Bûl » dans les années 1950 avec le poète et écrivain André Balthazar (1934-2014). Laquelle mêle la dérision et l’autodérision dans un esprit hérité de Dada, de manière à brouiller complètement toute tentative de récupération idéologique. Dans le sillage du surréalisme, les deux artistes avaient fondé la revue belge Daily-Bûl, la revue « la plus désinvolte du monde », avant de mettre sur pied une institution complètement farfelue baptisée l’Académie de Montbliard, où s’était élaborée peu à peu cette fameuse « pensée Bûl ».
Alors pourquoi en sortir Pol Bury ? Parce que l’artiste ne peut pas se résumer à cette pensée qui n’est que l’un des très nombreux épisodes de son parcours, d’une part, et parce que le centenaire de sa naissance a été célébré suffisamment dignement en Belgique pour que l’on puisse élargir le tableau, d’autre part. Après la période faste des années 1970 et 1980, Pol Bury (1922-2005) semble en effet être tombé dans un relatif oubli. Certes, on connaît ses fameuses fontaines hydrauliques animant l’espace urbain, ses sphères métalliques iconiques notamment installées au cœur de Palais Royal à Paris grâce à une commande publique de Jack Lang, qui « sont posées sur des plateaux et proposent un jeu de reflet et de miroir avec l’architecture, les jardins et le ciel », comme l’écrit Anne-Charlotte Michaut dans L’Oeil. Mais à l’occasion du centenaire de la naissance de l’artiste, le Centre de la gravure et de l’image imprimée de La Louvière, sa ville natale en Belgique, a eu l’excellente idée de lui consacrer une importante exposition intitulée « Va-et-vient ». De quoi donc aller et venir un peu plus tranquillement sur la vie et l’œuvre de ce grand poète de la lenteur en mouvement.
Fontaines hydrauliques, Pol Bury
Avec le recul, on peut constater à quel point l’évolution du travail de Pol Bury s’est faite au fil de rencontres décisives. Il a seulement 16 ans lorsqu’en 1938 il fait la connaissance d’Achille Chavée (1906-1969) dans un café, pendant ses études à l’Ecole des beaux-arts de Mons. Le poète belge dont il devient l’ami, grande figure du surréalisme wallon hennuyer a fondé le groupe Rupture à La Louvière quatre ans plus tôt. Cette fréquentation du groupe surréaliste dont l’engagement politique est la principale motivation va ouvrir à Pol Bury de nouveaux horizons, et notamment lui permettre de côtoyer René Magritte (1898-1967) à Bruxelles. Un peintre qui va à cette époque beaucoup influencer la peinture de Pol Bury, comme le feront aussi les tableaux d’Yves Tanguy (1900-1955).
Dénoncé pour actes de résistance en Belgique pendant la seconde guerre mondiale, le jeune artiste se réfugie en France et rentre dans son pays natal par la grande porte en 1945, puisqu’il participe à l’exposition internationale du surréalisme à Bruxelles. Mais très rapidement Pol Bury va se détourner du surréalisme pour choisir l’abstraction. Il veut se renouveler et se consacrer davantage à la couleur et à la forme. En 1947, il rejoint donc le groupe de la Jeune peinture belge, « avant de se lancer quelques années plus tard dans l’aventure CoBrA, à la suite de sa rencontre avec Christian Dotremont et Pierre Alechinsky », précise la journaliste de L’Oeil. A nouveau des rencontres fondatrices. Christian Dotremont (1922-1979) fut l’un des premiers à élever l’écriture au rang d’art plastique. Quant à Pierre Alechinsky (né en 1927), il n’a pas hésité à mêler l’expressionnisme au surréalisme dans ses œuvres d’art.
Le grand choc va se produire face aux mobiles d’Alexander Calder (1898-1976), que Pol Bury découvre en 1950 à la galerie d’art Maeght. Trois ans plus tard, il abandonne la peinture. Le tableau ne lui suffit plus. Il veut l’espace. Il veut combiner des formes détachées du mur. Il veut intégrer le mouvement et l’aléatoire dans ses œuvres d’art à vendre. Ses premiers Plans mobiles sont exposés à la galerie d’art Apollo en décembre 1953. Avec leurs éléments en métal et bois sur pivots, ils sont manipulables à l’envi par les visiteurs… et remarqués par la galeriste parisienne Denise René. Qui invite Pol Bury à participer à l’exposition « Le mouvement » qu’elle organise en 1955 dans sa galerie d’art. Ainsi se retrouve-t-il à exposer ses œuvres d’art en relief aux côtés d’artistes à la renommée déjà internationale, comme Calder, Soto, Duchamp, Tinguely ou Vasarely. Et à devenir par le jeu des rencontres toujours, et des amitiés noués, l’un des représentants majeurs de l’art cinétique, ce courant artistique proposant des œuvres dont tout ou parties sont en mouvement.
Plans mobiles, Pol Bury (1953)
Afin que ses œuvres d’art à vendre, en forme de compositions géométriques mouvantes, ne soient plus manipulées n’importe comment par n’importe qui, Pol Bury utilise très rapidement des moteurs électriques. Et à force de contemplation, délaisse finalement la géométrie et l’abstraction au profit d’une poétisation du mouvement et de la lenteur. Il crée ses Ponctuations en 1959. Les années 1960 seront celles de sa consécration internationale. Ses œuvres d’art à vendre envahissent peu à peu les galeries d’art, et en 1964 Pol Bury est l’un des représentants de la Belgique à la Biennale de Venise. Il est installé en France depuis trois ans, et expose régulièrement à la galerie d’art Iris Clert. Le galeriste américain John Lefebre le repère, et l’invite à exposer dans sa galerie d’art à New York. Enorme succès. Des œuvres de Pol Bury sont même acquises pas le MoMA.
Pol Bury pendant l’exposition « Ponctuations érectiles et molles » à la Galerie Smith (1961)
Il faudra toute la persuasion du galeriste et mécène Aimé Maeght pour faire revenir Pol Bury des Etats-Unis en France, en 1968. Il faut dire que l’offre est alléchante : l’artiste va pouvoir se lancer dans toutes les expérimentations graphiques qu’il souhaite aux côtés de l’imprimeur André Maeght, en disposant désormais des presses de l’imprimerie ARTE-Maeght, mises à sa disposition. Ses fameux Ramollissements, qui deviendront virtuels dans les années 2000, dans lesquels il déforme les visages de personnalités internationalement connues pour en questionner la sacralisation, naissent ainsi au tournant des années 1970. Des expositions itinérantes aux Etats-Unis et en Europe achèvent de consacrer son travail et les commandes publiques affluent dès qu’il commence les installations monumentales et crée en 1976 sa première sculpture hydraulique.
Jusqu’à sa mort, Pol Bury se consacrera à l’expérimentation, toujours fasciné par les derniers progrès technologiques et ne pouvant se passer de l’écrit pour donner corps à ses idées. Bref, sa « bûl » ne risquait pas de l’enfermer !