Déferlante de trésors napolitains au Louvre
A propos de l’exposition « Naples à Paris – Le Louvre invite le musée de Capodimonte », à voir jusqu’au 8 janvier 2024.
Le musée de Capodimonte, à Naples, a bien fait de fermer pour rénovation et de conclure un partenariat exceptionnel avec le Louvre : en attendant sa réouverture, il mêle aujourd’hui ses trésors avec ceux de l’emblématique musée parisien dans un parcours grisant, un tourbillon pictural, qui illumine la mythique Grande Galerie avec des œuvres d’art signées Bellini, Masaccio, Raphaël, Titien, confiant aux œuvres ténébreuses de Caravage, Artemisia Gentileschi ou Jusepe de Ribera le soin d’apporter l’ombre nécessaire à toute vie. C’est Daphné Bétard qui nous propose dans le numéro estival de Beaux Arts Magazine une passionnante visite guidée de l’exposition « Naples à Paris – Le Louvre invite le musée de Capodimonte », à voir jusqu’au 8 janvier 2024.
« Vautré en plein air dans le plus simple appareil, le sexe caché par une petite feuille de vigne ridicule, Silène ivre offre sans pudeur sa chair grasse et son corps usé par l’alcool au regard du spectateur qu’il ignore superbement, accaparé par l’action d’un satyre en train de verser du vin dans sa coupe coquillage. Non loin de là, Caïn commet l’irréparable et assassine Abel dans une scène homo-érotique sulfureuse, où l’enchevêtrement des corps musclés en lutte joue avec les mouvements des drapés dans un cadrage très serré tout en contrastes. L’intensité dramatique de cet emploi singulier du clair-obscur atteint son paroxysme dans une scène biblique où, après l’avoir séduit et enivré, Judith décapite Holopherne, aidée de sa servante, les traits du visage figés dans une expression calme et déterminée encore plus glaçante, peut-être, que le sang versé venu souiller les draps. Ebriété, obscénité, tragédie et ambivalence de la représentation de la violence : d’une puissance à couper le souffle, ces trois tableaux caravagesques, exécutés respectivement par Jusepe de Ribera, Lionello Spada et Artemisia Gentileschi à quelques années d’écart, au début du XVIIe siècle, sont venus faire trembler les cimaises de la Grande Galerie du Louvre. »
Le cœur historique du Louvre, cette incroyable galerie d’art entièrement dévolue à la peinture italienne, a en effet complètement chamboulé son accrochage d’œuvres d’art pour compléter ses cimaises des 70 joyaux prêtés par le musée Capodimonte, abrité à Naples dans un ancien palais royal lui aussi. La collection époustouflante du musée italien est issue du fonds Farnèse que reçut en apanage Charles de Bourbon, fils de Philippe V d’Espagne et d’Elisabeth Farnèse, lorsqu’il fut placé à la tête du nouveau royaume de Naples en 1734. On ne peut même pas imaginer la cote que pouvaient atteindre ces chefs-d’œuvre sur le marché de l’art contemporain de l’époque !
« Le souverain décida alors de faire ériger une Reggia (un palais) digne de ce prestigieux ensemble sur les hauteurs de Capodimonte », nous explique la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Le chantier long et complexe, pris dans les soubresauts de l’histoire, n’aboutit qu’un siècle plus tard, après avoir épuisé architectes, ingénieurs et vu chuter des rois, sans pour autant dévier de son projet initial, une imposante architecture sur trois niveaux réunissant les tableaux de Masaccio, Mantegna, Filippino Lipi, Raphaël, Pieter Bruegel, Greco, Parmesan, Bronzino, Bellini… Transformé en musée au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Capodimonte accueille dans les années 1970 des expositions majeures mettant en lumière, entre autres, les grands maîtres de la Renaissance et l’école napolitaine longtemps délaissée au profit de l’art italien du nord de Rome. »
Ancienne résidence de chasse des souverains Bourbon, le palais (la Reggia en italien) abrite donc aujourd’hui l’un des plus grands musées d’Italie et l’une des plus importantes pinacothèques d’Europe, tant par le nombre que par la qualité exceptionnelle des œuvres conservées. Capodimonte est l’un des seuls musées de la péninsule dont les collections permettent de présenter l’ensemble des écoles de la peinture italienne. Il abrite également le deuxième cabinet de dessins d’Italie après celui des Offices ainsi qu’un ensemble remarquable de porcelaines. Le Louvre a donc vu les choses en grand pour faire face à cette déferlante de trésors ! Les plus grands chefs-d’œuvre du musée napolitain y sont exposés dans trois lieux différents.
Dans le Salon Carré, la Grande Galerie et la salle Rosa (Aile Denon, 1er étage), trente-trois tableaux de Capodimonte, parmi les plus grands de la peinture italienne, dialoguent avec les collections du Louvre (œuvres de Titien, Caravage, Carrache, Guido Reni pour n’en citer que quelques-uns), ou bien les complètent en permettant la présentation d’écoles peu ou pas représentées – notamment bien sûr, la singulière école napolitaine, avec des artistes à la puissance dramatique et expressive tels que Jusepe de Ribera, Francesco Guarino ou Mattia Preti. Cela sera aussi l’occasion de découvrir la bouleversante Crucifixion de Masaccio, artiste majeur de la Renaissance florentine mais absent des collections du Louvre, un grand tableau d’histoire de Giovanni Bellini, La Transfiguration, dont le Louvre ne possède pas d’équivalent ou encore trois des plus magnifiques tableaux de Parmigianino, dont la célèbre et énigmatique Antéa. La confrontation de ces œuvres avec les Corrège du Louvre est assurément l’un des moments forts de cette réunion.
La salle de la Chapelle (Aile Sully, 1er étage), rassemble des tableaux aussi importants que le Portrait du pape Paul III Farnèse avec ses neveux par Titien et le Portrait de Giulio Clovio par Greco, des sculptures et des objets d’art spectaculaires, qui sont autant de prêts exceptionnels – dont le Cofanetto Farnese, la plus précieuse et raffinée des œuvres d’orfèvrerie de la Renaissance avec la Salière de François Ier de Benvenuto Cellini, et l’extraordinaire biscuit de Filippo Tagliolini, La Chute des Géants –, permettant de découvrir la richesse de cette collection, reflet et témoin des différents âges d’or du royaume de Naples.
Salle de l'Horloge (Aile Sully, 2e étage), des œuvres rarissimes dialoguent avec de célèbres cartons conservés au Cabinet des Dessins du Louvre comme la Sainte Catherine de Raphaël ou encore le carton de La Modération de Giulio Romano, le plus proche élève et collaborateur de Raphaël, récemment restauré.
Riche de plus de 30 000 œuvres, le Cabinet des Dessins et des Estampes de Capodimonte doit une partie de ses trésors à Fulvio Orsini, humaniste, grand érudit et bibliothécaire du cardinal Alessandro Farnèse, dit le Grand Cardinal et petit-fils du pape Paul III. Orsini constitua la première collection au monde à considérer les dessins d’étude et les dessins préparatoires. Cette approche nouvelle et révolutionnaire lui fera acquérir quatre fabuleux cartons qui étaient alors considérés de la main de Raphaël et de Michel-Ange. Moïse devant le buisson ardent par Raphaël et le Groupe de soldats par Michel-Ange sont préparatoires aux décors du Vatican et aujourd’hui reconnus comme de rares œuvres autographes. Le carton de la Madone du divin amour et celui de Vénus et l'Amour sont considérés comme des œuvres exécutées dans l’entourage immédiat des deux maîtres.
Illustration : Francesco Mazzola dit Parmigianino ou Parmesan (1503-1540)
Portrait d'une jeune femme appelée « Antea » (détails), vers 1535.
Huile sur toile. H. 138; l. 86 cm.
Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte.
© Photo Luciano Romano.