Le quotidien exceptionnel de Valentine Schlegel
A propos de l’exposition « Valentine Schlegel, l’art pour le quotidien », visible jusqu’au 17 septembre au musée Fabre à Montpellier.
Elle était l’amie d’Agnès Varda, son beau-frère s’appelait Jean Vilar… Née à Sète en 1925, Valentine Schleger a grandi dans une famille pleine de fantaisie où tout pouvait devenir possible à force de joie et de bricolage. Pour elle, art et art de vivre ne faisaient qu’un. « J’aime le quotidien exceptionnel », disait-elle. Valentine Schlegel, sculptrice et céramiste qui triomphait dans les années 1960-1970 avec ses cheminées-paysages à la fois chaleureuses et ascétiques, qui participait au renouveau de la céramique, s’est éteinte à Paris en 2021. Le musée Fabre lui rend hommage à Montpellier depuis le 12 mai et jusqu’au 17 septembre 2023. Montpellier où elle fut diplômée des Beaux-Arts.
L’exposition autour de la créatrice Valentine Schlegel est visible au sein de l’hôtel de Cabrières-Sabatier d’Espeyran, département des arts décoratifs du musée. Au fil des salons du second étage le visiteur découvrira les grands jalons du parcours de cette artiste, tour à tour céramiste et sculptrice, solitaire et entourée, qui a conjugué ses talents et son goût pour la liberté au profit d’un véritable art de vivre.
L’exposition s’articule autour d’une sélection d’objets remarquables, céramiques, maquettes de cheminées qui ont fait son succès, témoignant de la diversité de sa production, mises en perspective avec sa relation poétique au quotidien ainsi que les photographies réalisées par son amie la réalisatrice Agnès Varda ou par ses sœurs, qui la montrent à l’œuvre.
Valentine Schlegel connaissait parfaitement son histoire de l’art. Comme le rappelle Elisabeth Védrenne dans son article pour le magazine Connaissance des arts, « elle évoque régulièrement Braque, Picasso, Arp… auprès de ses élèves de l’atelier pour enfants de moins de quinze ans au musée des Arts décoratifs. Aujourd’hui, on peut ajouter Barbara Hepworth, tant les sculptures en marbre de la Britannique respirent le même air que ses vases en terre. » Car finalement « la céramiste emmagasine le biomorphisme ambiant, nouvelle mystique d’une culture de la nature, et modèle en terre des objets qui semblent avoir été livrés tels quels par les intempéries ! On songe aux pierres et aux os qu’Henry Moore ramassait sur les plages et rangeait dans sa bibliothèque de formes naturelles, un cabinet de curiosités dans lequel il piochait son répertoire de formes réduites à l’essentiel. »
Même si Valentine Schlegel accumule les dessins, les formes semblent naître directement sous ses doigts, comme si elles venaient d’être trouvées. Elle ne copie pas, elle réinvente. Ses œuvres d’art à vendre sont passées en vente aux enchères publiques à 152 reprises, majoritairement dans la catégorie Sculpture-Volume. L’adjudication la plus ancienne est sans doute l’œuvre d’art Graine, vendue en 2005 chez Christie’s en catégorie Céramique, et la plus récente semble être Jardin aux quatre arbres/Aloe veras/Deux arbres/Aloe veras sur fond orange/Arbre dans un jardin, vendue en 2023 en catégorie Dessin-Aquarelle. Classée 1849e dans le top 5000 au palmarès mondial des artistes les mieux vendus aux enchères sur le marché de l’art contemporain en 2022, ses œuvres d’art à vendre son essentiellement adjugées en France.
L’artiste a régulièrement collaboré avec Andrée Schlegel-Vilar (1916-2009), sa soeur. Avant tout céramiste, Andrée Vilar est également illustratrice, poétesse, et peintre. Femme érudite, elle côtoyait aux cotés de son mari Jean Vilar (créateur du Festival d’Avignon) les meilleurs artistes de son temps comme Alexander Calder qui devint un grand ami du couple. Ses œuvres poétiques aux tons raffinés offrent un jeu de matière organique, s’inspirant des rochers humides, des coraux, ou encore des galets roulés. Ses pièces, toutes uniques, mêlent la douceur des formes, le dessin imprégné de surréalisme et la rugosité du matériau. Son œuvre originale séduira notamment la fameuse galerie d’art La demeure, qui la représentera à plusieurs reprises lors d’expositions en collaboration avec Valentine Schlegel.
Jamais de ligne droite dans l’œuvre de Valentine Schlegel, où tout n’est que sensualité et aisance du geste. Toujours des silhouettes asymétriques. Un peu comme chez Isamu Noguchi, note la journaliste de Connaissance des arts. Cet artiste et designer nippo-américain à qui le LaM vient de consacrer sa première grande rétrospective en France. Véritable trait d'union entre l'Est et l'Ouest, dépassant les frontières et les catégories artistiques, Isamu Noguchi (1904-1988) incarne une vision ouverte et décloisonnée de l'art qui, aujourd'hui encore, influence la création contemporaine. À travers plus de 250 œuvres (sculptures, dessins, objets de design, objets de scénographie, photographies), l’exposition de Villeneuve d’Ascq qui s’est achevée le 2 juillet était exceptionnelle tant par son ampleur que par les enjeux mis en lumière, invitant à découvrir l’œuvre kaléidoscopique d’un artiste méconnu en Europe, qui a pourtant durablement marqué l’histoire.
Comme le souligne Elisabeth Védrenne, Valentine Schlegel fait exploser la ségrégation artiste/artisan avec ses formes aussi puissantes qu’ambigües. « On y entrevoit un os encastré harmonieusement dans une larme géante qui fait naître une tension, une impulsion, un sentiment très fort de vie, de germination. On imagine un silex aux bords tranchants légèrement adoucis, ajusté à une sorte d’oignon de tulipe dodu. L’univers fortement végétal y est exacerbé, non par une possible violence, mais au contraire par un calme étonnant. Magnifique contraste entre la plénitude de grosses graines, de bulbes inconnus, coexistant avec le piquant de quelques épines géantes ou rhizomes. Arborescence d’algues dressant paresseusement leurs courtes tentacules vers la lumière. Doigts proliférants comme des Digitalis purpurea, ces fleurs qu’on appelle aussi gants de bergère. Des bouches, partout, ourlées comme des gosiers d’oisillons. On devine qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que ces formes apaisantes basculent dans l’effrayant. »
La journaliste admire également la perfection technique des cols des pots de Valentine Schlegel, qui est « fascinante ». La beauté des émaux, « remarquable ». La palette, « raffinée », avec ses bruns et gris rehaussés de noirs, de bleus, de vert olive. « Et son engobe souvent épais est dilué de blancs laiteux. » Car l’artiste les souhaite fonctionnels, ses vases et ses pots, prévoyant qu’ils puissent accueillir fleurs et fruits. Mais notre regard contemporain les associe davantage à des œuvres d’art à vendre qui se suffisent à elles-mêmes. « Pourquoi à un moment de sa vie abandonne-t-elle la production de ces splendides faïences chamottées ? » interrroge Elisabeth Védrenne. « Elle qui vient juste, en 1957, d’exposer à la galerie d’art La Demeure avec beaucoup de succès ? Elle répond alors qu’elles ne lui permettent pas de gagner assez bien sa vie. Mystère. Cela correspond en tout cas à sa découverte du plâtre et de ses possibilités. Dans les années 1960, elle se lance dans ses environnements architecturaux. »
Parmi la centaine de cheminées en staff que Valentine Schlegel conçoit pendant quarante ans, jusqu’en 2000, et signe avec son fidèle assistant Frédéric Sichel-Dulong, toutes sont uniques, blanches et fluides.
Légende : Valentine Schlegel avec un vase en terre façonnée au colombin, faïence chamottée, émail, vers 1955, Photographie d'Agnès Varda ©Succession Agnès Varda - Fonds Agnès Varda déposé à l'institut pour la photographie, Courtesy Galerie Nathalie Obadia ©ADAGP, Paris, 2023