Monet dans la lumière du Sud
A propos de l’exposition « Monet en pleine lumière », visible jusqu’au 3 septembre au Grimaldi Forum de Monaco.
Le récit fait par Marie Zawisza dans l’édition estivale du magazine L’Oeil nous fait toucher du doigt la magie de l’exposition « Monet en pleine lumière » qui s’est ouverte le 8 juillet à Monaco au Grimaldi Forum, à l’occasion du 140e anniversaire de la première escale du chef de file de l’impressionnisme à Monte-Carlo et sur la Riviera. La journaliste nous glisse dans les pas de Monet pour tenter avec nous de comprendre ce qu’il a cherché, et trouvé, dans la lumière du Sud. Un parcours lumineux mettant le visiteur en empathie avec l’artiste est à découvrir en terre monégasque jusqu’au 3 septembre, pour prendre un délicieux bain de soleil, faire l’école buissonnière avec le célèbre peintre et aborder son œuvre sous un nouveau prisme.
« Je vous demande de ne parler de ce voyage à personne », écrit Claude Monet (1840-1926) le 12 janvier 1884 à son précieux marchand d’art parisien Paul Durand-Ruel, lequel soutient financièrement le peintre de Giverny ayant alors huit enfants à charge, cherchant obstinément preneurs à toutes ses œuvres d’art à vendre… L’argent manque toutefois cruellement dans cette famille recomposée, vue d’un mauvais œil depuis la mort de Camille Monet et le départ d’Ernest Hoschedé, laissant Claude et Alice mener une vie de couple illégitime. Mettant tout son espoir et sa stratégie commerciale dans un renouvellement des sujets du peintre, le marchand d’art ne risque donc pas d’ébruiter ce qui vient de lui être confié : Claude Monet veut aller travailler tout seul dans la lumière et sur les motifs du Sud qu’il vient de découvrir avec Renoir. « Autant il m’a été agréable de faire le voyage en touriste avec Renoir, autant il me serait gênant de le faire à deux pour travailler. J’ai toujours mieux travaillé dans la solitude et d’après mes seules impressions. Donc gardez le secret jusqu’à nouvel ordre. Renoir, me sachant sur le point de partir, serait sans doute désireux de venir avec moi et ce nous serait tout aussi funeste à l’un qu’à l’autre. »
L’aubaine est trop belle ! Enfin de nouvelles œuvres d’art à vendre ! Enfin, le peintre des tempêtes et des brumes, des effets atmosphériques de la côte normande et de la région parisienne, va-t-il « rapporter toute une série de choses neuves », comme il l’écrit à Paul Durand-Ruel. Lequel accepte donc volontiers de financer le voyage. Et de fait, Monet rentre trois mois plus tard dans son atelier de Giverny pour mettre la touche finale à… Quarante-six nouveaux tableaux à vendre ! Le nombre d’œuvres d’art qu’il réalise d’ordinaire en une année. « Celui qui aimait peindre chevalet contre chevalet, avec Renoir et Sisley, met ainsi un terme définitif à la peinture de compagnonnage », observe Marianne Matthieu, commissaire de l’exposition monégasque. « A partir de cette date, son évolution se distingue singulièrement de celle de ses congénères », remarque-t-elle.
A Monaco, au Grimaldi Forum, la lumière est avant tout celle de la Riviera que Claude Monet visite en 1883-1884 puis en 1888. Vingt-trois toiles peintes à Monaco, Bordighera, Sasso, Dolceacqua, Cap Martin et Antibes constituent le cœur du parcours ainsi que le point de départ de la réflexion curatoriale. Il s’agit d’abord de révéler ces peintures aux tonalités uniques, leur « palette de diamants et de pierreries » et mettre en évidence leur singularité dans l’œuvre de Monet.
La décennie 1880 marquera un tournant majeur dans la vie et dans l’œuvre de Monet. Il s’installe à Giverny et s’éloigne du groupe des impressionnistes. Il ne peint plus seulement la région parisienne et la Normandie. Il s’aventure dorénavant de région en région, part au-devant de nouveaux motifs. Son séjour à Monte-Carlo en décembre 1883 en est le point de départ et annonce le tournant des campagnes. C’est dans ce même Midi, cinq ans plus tard, que Monet amorce un autre changement, celui des séries : peindre le même sujet, autant de fois que les effets atmosphériques l’imposent.
Les voyages dans le midi annoncent deux éléments fondamentaux chez Monet : le principe des campagnes et celui des séries. Il y a donc un avant et un après Monet sur la Riviera. L’évolution de Monet correspond à l’évolution de son point de vue. Dans la première partie de sa vie, il adopte un point de vue traditionnel mais s’intéresse peu au motif. Son ambition est de peindre l’atmosphère. Il veut peindre ce qu’il y a entre lui et le motif. Le sujet a peu d’importance, ce qui importe c’est quand il le peint.
Pour partager cette disposition du regard et en faire l’un des axes de la visite, une salle entière lui est consacrée en ouverture de l’exposition. Par ce biais, chacun est invité à voir comme Monet. A chercher le « quand » plutôt que le « quoi », à lire l’instant avant de lire le motif. Suivent, dans les salles 2 et 4, des paysages exécutés de Honfleur à Giverny en passant par la Riviera, présentés en duo lorsqu’ils traitent du même motif, invitant le visiteur à exercer son regard et à lire, comme Monet, l’effet plutôt que le sujet. Au tournant du siècle, Monet va plus loin. Il ne peint plus de paysage au sens classique du terme. La ligne d’horizon disparaît. Monet représente le miroir de l’eau, celui du bassin aux Nymphéas qu’il a créé dans le jardin de Giverny. Cette peinture qui exclut la représentation de la ligne d’horizon, celle du ciel et de la terre, éveille « l’idée de l’infini ». Monet peint l’espace et la lumière.
Une seconde salle des points de vue (salle 5) explicite et rend sensible cette évolution radicale qui place l’œuvre de Monet bien au-delà de l’impressionnisme jusqu’aux portes de l’art moderne. Suivent alors ses peintures les plus novatrices issues de l’emblématique série des paysages d’eau (salle 6) puis du jardin (salle 7) soit 38 tableaux de Nymphéas et autres fleurs. Au cœur de la salle 7 – « Entre guerre et paix, les Grandes Décorations » - aborde la question du contexte de la création et de la signification des panneaux monumentaux qui occupent Monet de 1914 à 1926 par le biais d’une présentation innovante, documentée et sensible. Autant d’éléments qui placent Monet en pleine lumière et invitent à apprécier son œuvre sous un jour nouveau. Enfin, la salle 8 épilogue ce parcours pour montrer l’œuvre d’un artiste, aux prémices de l’abstraction.