Super Mario Bros… pour Super Michel Majerus
A propos de l’exposition « Michel Majerus : Machine of Sense », visible depuis le 1er mars et jusqu’au 1er octobre au Mudam de Luxembourg.
Il est né le 9 juin 1967 à Esch-sur-Alzette, au Luxembourg. Juste après la chute du Mur, Michel Majerus a sauté à pieds joints dans l’effervescence artistique de Berlin, après avoir fait ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Stuttgart où il a notamment suivi les cours de Joseph Kosuth, l’un des chefs de file de l’art conceptuel aux Etats-Unis. Toute sa carrière se fera donc en Allemagne, avant d’être brutalement interrompue : Michel Majerus est l’une des vingt victimes de l’accident d’avion du 6 novembre 2002. La comète a traversé le monde de l’art contemporain avant de mourir à 35 ans. Mais son sillage ne s’éteint pas.
Se référant à des artistes comme de Kooning, Warhol et Stella, sa pratique profondément Pop renvoie au graffiti, à la publicité, à la bande dessinée comme aux jeux vidéo. Souvent fluorescents et de grand format, ses tableaux relèvent de l’esthétique de l’assemblage. Il fera même du fameux petit plombier italien Super Mario Bros l’une des mascottes de sa peinture. Le critique John Kelsey évoquait l’artiste en ces termes : « Ironiquement, son destin fut de sampler et de s’approprier toute l’histoire de l’art […] avant de devenir lui-même une référence historique légitime. Mais, vivant, il était sans doute plus un Super Mario parcourant l’histoire comme les niveaux d’un jeu vidéo, aplatissant des contenus sur l’écran de son œuvre, « collaborant » même avec des artistes décédés ».
Il se trouve qu’en 2022, Super Mario Bros fêtait les 40 ans de sa naissance, et que vingt ans après sa mort, l’artiste luxembourgeois était quant à lui célébré par un cycle posthume d’une vingtaine d’expositions, dont celle du Mudam à Luxembourg encore visible actuellement. La série d'expositions panallemande « Michel Majerus 2022 » est en effet consacrée aux différentes phases et aux différents aspects de son travail extraordinaire, qui influence encore aujourd'hui les artistes des jeunes générations. Dans cinq expositions personnelles au KW Institute for Contemporary Art, au Neuer Berliner Kunstverein (nbk), au Kunstverein de Hambourg, au Michel Majerus Estate et au neugerriemschneider à Berlin, l'œuvre de Michel Majerus est ou a été honorée dans sa complexité et à une échelle sans précédent. Des prêts provenant de la succession de l'artiste ainsi que de collections publiques et privées ont permis d'apporter de nouveaux éclairages sur l'œuvre de jeunesse et sur les enjeux médiatiques et thématiques de l'œuvre de Michel Majerus.
Parallèlement à ces expositions à Berlin et à Hambourg, treize musées à travers l'Allemagne ont présenté des œuvres de Michel Majerus issues de leurs collections. Le Mudam (Musée d'Art Moderne Grand-Duc Jean) à Luxembourg a accueilli également un symposium en novembre 2022, suivi de cette rétrospective intitulée Michel Majerus : Machine of Sense, visible depuis le 1er mars 2023 et jusqu’au 1er octobre. ICA Miami présente également Michel Majerus : Progressive Aesthetics, la première exposition personnelle institutionnelle de l'artiste au pays de Buzz l’éclair !
« Alors que cette constellation d’expositions fait partout rayonner en Allemagne l’œuvre aussi brève que prolixe de Majerus – riche d’environ deux mille œuvres conçues en une décennie -, ce dernier demeure assez peu connu en France, où seul le Capc – musée d’art contemporain de Bordeaux lui a consacré une exposition d’envergure en 2012, dix ans après son décès. Tout au plus associe-t-on dans l’Hexagone son nom à une trop fulgurante trajectoire », constate dans son article pour Artpress Camille Debrabant, docteure en histoire de l’art, membre de l’AICA et enseignante à l’Ecole nationale supérieure d’art et de design de Nancy. Pourtant, Majerus a développé des formes picturales aussi inédites que des rampes de skate, des échauffaudages ou des pistes de danse, permettant de donner accès aux œuvres d’art contemporain à des publics qui n’iraient peut-être pas courir les galeries d’art, ni investir dans des œuvres d’art à vendre sur le marché de l’art contemporain. Pour preuves : les œuvres If We Are Dead, So It Is, en 2000 à Cologne, ou Dancefloor, en 1996 à Bâle.
« Analysée comme l’envers du pop warholien, pour qui « tout et donc rien n’est art », la démarche artistique de Majerus a pu être comprise comme une conversion picturale des « restes visuels du capitalisme », intégrant jusqu’aux épaves du packaging. Cette lecture semble accréditée par ce statement de l’artiste : « Peu de choses sont jetées car en réalité il n’y a pas d’endroit où les jeter ». Mais cette déclaration peut tout aussi bien être entendue comme une réponse de l’ex-étudiant de Joseph Kosuth à la fameuse résolution de 1969 de Douglas Huebler, lui aussi pionnier américain de l’art conceptuel : « Le monde est plein d’objets, plus ou moins intéressants, je ne souhaite pas en ajouter d’autres. Je préfère, simplement, noter l’existence des choses en termes de temps et/ou d’espace. » A l’entreprise de documentation exhaustive du réel du photoconceptualiste américain ferait ainsi écho celle du réemploi par Majerus de toute la culture visuelle de son époque » écrit Camille Debrabant. L’artiste luxembourgeois ne se contentera pas de recycler les déchets, il assimilera aussi, ajoute l’historienne de l’art, « l’ensemble des images analogiques, numériques et imprimées dans une insatiable aspiration, dont les Teletubbies et leur écran de télévision ventral peints dans Gewinn (2000) fournissent une possible métaphore. »
Ainsi Majerus a-t-il aussi pu passer pour « un vulgaire utilisateur, opportuniste et consumériste », note plus loin Camille Debrabant. « Dès 1992, à l’époque de son entrée sur la scène artistique berlinoise, Majerus situe d’emblée sa production sous le signe de l’irrévérence et de la désacralisation des maîtres. » Après avoir convoqué le retable Paumgartner de Dürer d’une façon dégradée dans l’une de ses installations à Munich, il perturbe l’installation de son ancien maître Kosuth à la Documenta 9 de Cassel en y déambulant avec un masque de chien… Et il élargit le spectre de ses cibles en 1992 avec Fuck, gratifiant de son « affection rebelle » quatorze de ses contemporains : Stella, Erhard Walter, Wilde, Schnabel, Kosuth, Steinbach, Kippenberger, Penck, Haacke, Baselitz, Koons, Gilbert & George et Polke.
« Conçue comme un environnement plurisensoriel et immersif, reconstituant les plus célèbres displays (échafaudage et dancefloor) de l’artiste, l’exposition du Mudam privilégie la dimension dystopique de son œuvre, teintant surtout sa dernière période, contemporaine du séjour à Los Angeles en 2000-2001 », explique Camille Debrabant. « A l’image de Super Mario, de Buzz l’éclair et de tous les autres héros pressés de sa peinture, la supernova Majerus a traversé son temps avec fulgurance, mais continue d’éclairer l’époque actuelle… »
Illustration : Vue de l'exposition "Michel Maierus. SINNMASCHINE" Mudam Luxembourg 31.03 - 01.10.2023
© Photo : Mareike Tocha | Mudam Luxembourg