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Maurice Denis, peintre évangéliste de la Nature
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Octobre 2023 | Temps de lecture : 22 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Maurice Denis – Les chemins de la Nature » visible jusqu’au 1er octobre au Domaine départemental de la Roche-Jagu (22).

A Ploëzal, dans les Côtes d’Armor, le Domaine départemental de la Roche-Jagu expose 115 oeuvres de Maurice Denis (1870-1943), dans un espace culturel majeur situé à quelques kilomètres de la Côte de Granit Rose où le peintre a souvent séjourné. Après la grande exposition « Maurice Denis et la Bretagne » présentée en 2009 à La Roche-Jagu et au Musée de Pont-Aven en deux volets concomitants qui connurent un très vif succès, l’objectif est cette fois de s’intéresser à la place de la Nature dans l’oeuvre du peintre. Des prêts de musées nationaux et régionaux ainsi que des collections particulières ont permis de réunir toutes ces œuvres d’art dont 24 sont d’ailleurs exposées pour la première fois. Formidable occasion d’embrasser l’essentiel des sujets qui ont fait la notoriété du fameux « Nabi aux belles icônes », à commencer par les jardins de sa vie, espaces propices aux scènes d’intimité familiale comme à des sujets mythologiques ou religieux. Les figures au jardin comme les paysages pittoresques illustrent l’intérêt de l’artiste pour les variations de la nature permettant d’exalter les couleurs. Les arbres constituent également un thème récurrent dans sa peinture, voire un motif de tableau suscitant ce dialogue permanent entre Art et Nature, matériel et spirituel.

« La nature est un royaume, et Maurice Denis fut son évangéliste, l’un de ses plus grands scrutateurs, capable d’en dire la beauté et les miracles, la spiritualité infinie », écrit Colin Lemoine pour commencer l’article qu’il consacre au décryptage du tableau intitulé Le Dessert au jardin, dans la rubrique Arrêt sur image du magazine d’art L’Oeil. « Ses carnets de croquis sont les suaires d’une dévotion que rien ne prendra jamais en défaut : partout, des arbres, des lacs, des montagnes, des nuages et des prairies, comme si le monde alentour offrait une source merveilleuse dispensant d’aller chercher ailleurs le sacré, à portée d’œil et de main. » Et le journaliste de désigner un peu plus loin Maurice Denis comme un « peintre-jardinier qui sut, comme peu d’autres, conjoindre le familier et le paysage, dissoudre le quotidien dans des scènes immémoriales, à l’image de son Dessert au jardin. »

Surtout connu pour être le théoricien du mouvement Nabi, Maurice Denis est avant tout un des artistes peintres et décorateurs les plus sollicités de sa génération. Nul doute qu’il vivait aisément de ses œuvres d’art à vendre. Peintre catholique et spirituel, Maurice Denis crée des œuvres au symbolisme fort, aux lignes décoratives envoûtantes et aux couleurs assumées ! Maurice Denis est très influencé par l’art italien de la Renaissance. De ses premières rencontres avec les œuvres des maîtres italiens au musée du Louvre, à ses nombreux voyages en Italie, notamment guidé par André Gide, l’artiste s’est laissé séduire par toute l’iconologie et la symbolique des œuvres chrétiennes de la Renaissance. Agé de 20 ans en 1890, le peintre a une formule qui deviendra célèbre : « Se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Et pourtant…

Quel énigmatique tableau que ce Dessert au jardin choisi par Colin Lemoine pour illustrer tout le talent de Maurice Denis, capable ici de mêler trois genres en une seule composition : la nature morte, le portrait et la peinture de paysage ! Peint en 1897, pouvant aussi être intitulé Portrait de Marthe et Maurice Denis au crépuscule, il s’agit de l’un des derniers tableaux nabis de l’artiste, qui refusera d’ailleurs toujours d’en faire une œuvre d’art à vendre. Elle est aujourd’hui conservée au Musée départemental Maurice Denis à Saint-Germain-en-Laye qui accueillera cette exposition du 21 octobre 2023 au 31 mars 2024.

Depuis qu’il a croisé, en 1888 à l’Académie Julian, le chemin de Paul Sérusier, Pierre Bonnard, Paul-Elie Ranson et Henri-Gabriel Ibels, Maurice Denis a en effet constitué avec eux le groupe des Nabis, se nourrissant notamment du fameux Talisman peint par Sérusier en Bretagne sous la conduite de Paul Gauguin, ode à la couleur pure que Maurice Denis conservera toute sa vie comme une relique. Mais le peintre chrétien délaissera peu à peu les œuvres stridentes qui annoncent le fauvisme, pour atteindre la suavité des couleurs et le classicisme d’un Poussin ou d’un Raphaël, sa foi le menant plus naturellement vers Fra Angelico, qui restera toujours sa référence, et son goût vers les grands décors de Puvis de Chavannes.

Le premier plan de ce Dessert au jardin n’accueille pas une simple table : tout y est tellement symbolique qu’il s’agit en réalité d’un véritable autel ! « Par son effet hardi de perspective, et en ceci semblable aux expédients plébiscités par les primitifs italiens, la table permet d’intégrer le regardeur dans le tableau, d’être un spectateur investi », nous montre le journaliste de L’Oeil. « Sur cet autel prosaïque sont disposés deux verres et deux assiette accueillant ici des cerises, là des pêches. Eucharistie quotidienne, célébrée sur un balcon modeste. Ces humbles fruits de la passion disent silencieusement la fécondité d’une union, et ce, trois ans après la mort soudaine d’un fils aîné, survenue quelques mois après sa naissance. Partant, c’est peu dire que l’amour conjugal est ici un amour courtois, lequel résonne avec le splendide tableau que composa Maurice Denis quelques mois plus tôt, dénudant le même modèle pour en faire non pas une idole voluptueuse, mais une effigie de l’innocente beauté, presque virginale : La Dame au jardin clos (1894). »

Quant à la rose, symbole d’une passion délicate, elle est parfaitement centrée pour focaliser l’attention, et plus qu’un présent de l’homme à la femme, elle devient ici un gage d’amour. « Sa couleur vibre avec les carnations mauves de Marthe et le camaïeu brun-vert du vêtement du peintre. Réchauffés par une lune invisible, ces tons mélancoliquement sourds sont caractéristiques de la peinture nabie, avide de violets éteints et de roses légers, d’accord subtils, presque musicaux », explique Colin Lemoine. « Le temps semble suspendu, comme dans un rêve. Un rêve dont nous connaissons pourtant l’adresse – la Villa Montrouge, à Saint-Germain-en-Laye, dont le balcon du deuxième étage offrait une vue plongeante sur un délicieux jardin. » Jardin où Maurice Denis place un motif emprunt à l’un de ses tableaux plus anciens, L’Echelle dans le feuillage (1892), qui fait irrésistiblement penser ici à l’échelle flanquant la croix sur le Golgotha et aux femmes inconsolables pleurant le Christ… Le tout surmonté d’un ciel luminescent qui n’est pas sans rappeler les plus belles œuvres du Lorrain et d’Alphonse Osbert, splendides maîtres crépusculaires…

 

Illustration : Maurice Denis - Les chemins de la Nature

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