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L’art contemporain de Hong Kong se transforme
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Octobre 2023 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’élan vitaliste des artistes qui embrassent le présent, et plus particulièrement de ceux de Hong Kong qui réagissent aux bouleversements politiques avec des procédés artistiques valorisant les processus de transformation.
 

Les œuvres d’art à vendre réalisées par des artistes de Hong Kong n’ont jamais été aussi concrètes. Faites de graines, de livres fossilisés, de pierres, de roulements à billes, de déchets recyclés… comme si l’art contemporain cherchait un ancrage en explorant les propriétés et les champs d’expression de matériaux mutants et hybrides. Comme s’il illustrait inconsciemment une période de transition politique malaisée.  « Dans quelle mesure l’art répond-il aux bouleversements politiques qui, entre contestation et censure, affectent Hong Kong et menacent son autonomie ? » Caroline Ha Thuc, critique d’art, curatrice et chercheuse vivant à Hong Kong, tente pour Artpress, le magazine de l’art contemporain, d’apporter quelques éléments de réponse tandis que le statut d’autonomie de Hong Kong « ne cesse de s’effriter avec l’accélération du processus anticipé de son intégration à la Chine continentale ».

Ainsi l’œuvre de Wing Po So, artiste issue d’une longue lignée de médecins et herboristes chinois, aujourd’hui représentée par la galerie d’art Blindspot. « Une multitude de plantes, algues, coquillages et graines diaphanes flottent dans une série de bocaux alignés dans un réfrigérateur », nous décrit Caroline Ha Thuc. « Wing So Po a ramassé ces spécimens sur une petite île de Hong Kong avant de les plonger dans une solution chimique utilisée pour les transplants d’organes dont l’une des propriétés est de faire perdre leur couleur aux cellules immergées : dénaturées, ces espèces vivantes sont ainsi renvoyées à un état de limbes, suspendues dans l’attente. Sous la lumière blafarde de Invisible Island (2021), chaque élément apparaît comme un monde en miniature avec ses escarpements, ses reliefs, ses ondulations, dont les contours, doucement, se dissolvent. Certaines graines ressemblent à des constellations et la pâleur des teintes évoque le givre déposé sur des fruits. Cette fragilité ténue renvoie aux incertitudes contextuelles actuelles mais peut aussi suggérer une forme de libération des contingences : la précarité et la réduction des spécimens à des matrices sont les conditions d’un possible renouveau. »

Les métamorphoses de l’artiste contemporaine représentée par la galerie d’art Karin Weber, Annie Wan Lai-Kuen, sont plus radicales. « Depuis une dizaine d’années, la céramiste transforme des livres en sculptures fossilisées », nous explique Caroline Ha Thuc. « Page après page, elle recouvre les ouvrages d’argile avant de les cuire à haute température dans un four à poterie. Le papier brûle, avec son contenu, mais l’empreinte des feuilles demeure, formant une structure sombre et friable. Pour The Road We Traveled (2015), l’artiste a ainsi métamorphosé un imposant livre sur l’histoire de Hong Kong dont il ne reste que l’enveloppe, pétrifiée et comme recroquevillée sur elle-même. L’ensemble des pages dessine une vague déployée sur le côté tandis qu’une feuille, peut-être la page de garde, s’en détache. » C’est bouleversant. Mais pas forcément désespéré. « Dans la vidéo qui accompagne l’œuvre, on suit le mouvement du pinceau chargé de glaise qui engloutit progressivement et systématiquement textes et images. Le procédé est irréversible. On pense aux ruines de Pompéi et aux coulées de lave. Toutefois, tandis que l’histoire disparaît, c’est une autre forme de mémoire qui surgit. Plus insaisissable, certes, mais néanmoins tangible : malgré son apparente fragilité, la céramique résiste au temps et aux enfouissements successifs. Son volume s’expose comme un défi. »

C’est encore une autre alchimie qui est à l’œuvre dans les plus récentes installations d’art contemporain de Jaffa Lam, une artiste visuelle chinoise connue pour ses sculptures en techniques mixtes et ses œuvres spécifiques au site qui enquêtent sur la culture et l'histoire de Hong Kong. Lam utilise beaucoup de matériaux recyclés tels que des tissus trouvés ou du bois provenant de chantiers de construction. Explorant souvent les questions liées à l’histoire, la société et l’actualité, elle a notamment participé à la Fête des Lumières de Lyon en 2018 avec Tisseur de vœux. Vous y étiez ? Alors vous vous souvenez certainement de « Faites un vœu, parlez au ciel, attendez et écoutez, le message est autour de vous ! » Jaffa Lam s’était inspirée de ce dicton chinois pour son installation artistique constituée de trois grands arceaux en métal blanc se dressant face au Palais du Commerce. Des pièces de dentelle et de crochet confectionnées lors d’ateliers participatifs étaient attachées aux trois arches contiguës. Au centre de la structure, un écran faisait défiler les vœux des Lyonnais collectés lors des ateliers… Trois pavillons d’instrument à vent, tels des porte-voix célestes, invitaient le public à adresser ses vœux au ciel. Une installation poétique et hautement symbolique.

Dans son article pour Artpress, Caroline Ha Thuc a choisi des œuvres d’art plus récentes de Jaffa Lam pour illustrer son propos développant l’idée qu’« entre tensions et désir de fluidités, il s’agit pour les œuvres d’art contemporain de Hong Kong à la fois d’interroger, de résister et d’accompagner les mutations, de recomposer l’existant afin de trouver en soi ses propres pouvoirs de changement. » Comme par exemple l’œuvre d’art intitulée Taishang Lao Jun’s Furnace (2022), un ensemble de 500 pierres moulées en bronze, en ciment ou en aluminium, alignées au sol après que l’artiste a replacé chaque pierre originale à l’endroit où elle l’avait ramassée le long des côtes de Hong Kong. « Le titre de l’œuvre renvoie au fameux four de Lao-Tseu dans lequel le philosophe taoïste fabriquait son élixir d’immortalité », nous explique la critique d’art. « Ici, l’artiste transpose le paysage hongkongais en installation symbolique. Le paysage qu’elle propose n’a plus rien d’authentique, mais n’est-ce pas toujours le cas lorsqu’on se réapproprie un territoire ? »

Si les œuvres d’art de Lam sont des œuvres refuges, car « de façon générale les artistes cherchent à imaginer les modes opératoires d’une déterritorialisation », note Caroline Ha Thuc, il s’agit d’ « un concept séduisant mais néanmoins abstrait qui ne tient pas compte de sentiment d’attachement et de l’enracinement des individus dans une culture. Lam Tung Pang dépeint, lui, Hong Kong comme une île en pot, capable de voguer sur la mer. » Représenté par la galerie d’art internationale Eli Klein, l’artiste qui est notamment co-fondateur du mouvement artistique Fotanian à Hong Kong avec ses contemporains Chow Chun-fai et Wilson Shieh a en effet réalisé dans Potted City N°. 1 (2021), une peinture sur des planches en bois recyclé représentant un groupe de gratte-ciels bien serrés les uns contre les autres, plantés sur une sorte de monticule de terre comme un bonsaï. Sauf que le continent se dresse au loin en montagnes ressemblant à des vagues. Cette fois, l’artiste bien connu pour créer des images monumentales qui reflètent les sociétés dans lesquelles nous vivons – par exemple, l'image d'un ours polaire comme la métaphore d'êtres piégés par des influences extérieures, principalement les conséquences de l'action humaine… cet artiste a pris le large.

 

Illustration : Tisseur de vœux - Jaffa Lam

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