Le fauvisme photographique de Maya Inès Touam
A propos de l’exposition « Les Choses qui restent », de Maya Inès Touam à la galerie Les Filles du calvaire, à Paris, du 14 septembre au 28 octobre.
« Nul aujourd’hui n’est seulement ceci ou cela, Indien, femme, musulman, Américain, ces étiquettes ne sont que des points de départ », écrivait le théoricien littéraire Edouard W. Saïd (1935-2005). Une artiste contemporaine mêlant peinture et photographie en a fait son proverbe. L’hybridation des formes et des œuvres de Maya Inès Touam renvoie à la singularité de son héritage, comme nous l’explique Jeanne Mathas ce mois-ci dans Artpress, le magazine de l’art contemporain. L’historienne de l’art spécialisée en art du XXe siècle et en art contemporain, chercheuse, enseignante, critique et commissaire d’exposition indépendante, consacre un article à l’artiste française d’origine algérienne Maya Inès Touam, à laquelle la galerie d’art Les Filles du calvaire, à Paris, consacre, elle, une première exposition personnelle du 14 septembre au 28 octobre 2023 : « Les Choses qui restent ».
Née en France de parents algériens, Maya Inès Touam construit son travail entre les deux rives de la Méditerranée. Elle puise dans les répertoires visuels d’Afrique et d’Europe, réinterprétant les circulations culturelles des deux côtés de la Méditerranée. Elle interroge une esthétique orientale, non pas d’un point de vue néo-orientaliste mais de son point de vue de petite-fille d’émigrés : comment rendre compte d’une identité qui lui est à la fois intime et étrangère ? Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2013, ses premières recherches concernent les féminités arabes et l’ambivalence de leur corps, et, à travers lui, de leur position dans le monde arabe et européen. Le choix du médium photographique s’est imposé rapidement à l’artiste.
« En 2014, en découvrant les photographies coloniales du 19e siècle, elle décide de se rendre en Algérie pour rencontrer ces femmes qui n’ont jamais été représentées qu’à travers le regard d’hommes occidentaux en quête d’orientalisme », rappelle Jeanne Mathas. « Sur plusieurs mois, ce sont un peu plus de 200 femmes qui s’ouvrent à Maya Inès Touam, investie d’une mission réparatrice : celle de créer l’imagerie de toute une partie de la population jusque-là invisibilisée. La série Révéler l’étoffe se construit dans un rapport anthropologique à l’image et aux sujets. Les échanges se fondent sur une question : ce que le voile représente pour chacune d’elles, lui qui a cristallisé et cristallise toujours tant de tensions. En révélant l’étoffe, la photographe tire les fils d’une histoire à la fois intime et universelle. Il y a aussi, dans ce retour au pays de ses racines, quelque chose d’éminemment ulysséen. Nourrie de ces rencontres, l’artiste amorce ses recherches autour d’objets offerts par ces femmes. Dans un geste métonymique, ces derniers deviennent alors les nouveaux protagonistes de l’imagerie que Maya Inès Touam construit depuis. »
La série Révéler l’étoffe, développée de 2014 à 2018, a été soutenue par l’Institut français, exposée à la Bourse du Talent #67 à la BnF en 2016, et projetée aux Voies Off des Rencontres d’Arles en 2018. Avant d’être présentée au musée national de l’Histoire de l’immigration, à Paris, en avril 2022.
Depuis 2017, à partir de différents supports (photographies, dessins et sculptures notamment), Maya Inès Touam entreprend un travail à la fois anthropologique et onirique, créant des œuvres d’art à vendre avec pour point de départ certains objets symboliques ou personnels. Elle s’immerge dans les racines de ses origines, qu’elle interroge et fouille pour tirer des images – souvent des natures mortes – à travers ces fragments d’histoires.
« Dans les premières photographies dites flamandes, dans ses esquisses, l’artiste revient au contexte capitaliste qui a adoubé le genre de la nature morte au nord de l’Europe au 17e siècle ; à une société consumériste qui a inspiré à Marcel Duchamp l’expression désormais consacrée de ready-made. Avec une économie de motifs et de moyens, elle parvient à raconter l’histoire d’objets voyageurs, de fétiches passés de main en main. Dans la première série flamande, les Ready Made (2017-19), l’artiste se lance à la recherche d’associations formelles et esthétiques », explique Jeanne Mathas. « Dans la série Sanctuarium (depuis 2018), l’artiste fusionne nature morte et tableau de dévotion. La couleur se fait aussi plus présente. Elle est encore aux prises avec le dessin, mais ouvre la voie à une recherche coloriste. »
Alors que Révéler l’étoffe plaçait la figure humaine au centre de l’attention, ses plus récents travaux s’intéressent aux sens des objets et à leur décontextualisation. Ainsi, la série Replica, transporte en 2020 des artefacts religieux issus de plusieurs régions d’Afrique dans l’univers visuel des natures mortes flamandes. Les codes visuels européens - clair-obscur, drapés et compositions étudiées – apportent un éclairage nouveau sur ces objets. En les esthétisant et les désacralisant, Maya Inès Touam contribue à la réflexion sur la pertinence des œuvres extra-occidentales dans les musées. L’usage des formats de l’art religieux chrétien, comme le retable ou les voutes en ogive, accentue d’autant plus le caractère de reliques que l’artiste apporte à ses photographies.
La série Ready Made a été primée par la Fondation Alliances en 2017 (LCC Program photography contest), au Maroc. Entre 2018 et 2020, Maya-Inès Touam effectue une série de cinq résidences à la Montresso Art Fondation, à Marrakech, pour développer ses travaux dans cette région. En 2018, elle montre ses recherches au New York Portfolio Review à l’initiative du New York Times. Cette même année, elle est nommée au World Press Photo Joop Swart Masterclass ainsi qu’au Foam Paul Huf Award d’Amsterdam. Lors de sa résidence à la Fondation H – Paris, au printemps 2021, elle étend ses recherches aux diasporas du continent africain en France, ajoutant à son travail un regard postcolonial sur l’immigration. Elle approfondit cet axe en 2022 en résidence à la Fondation Zinsou, au Bénin.
Elle rejoint, en 2021, le groupe Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes, à l’initiative de Benjamin Stora, cherchant l’apaisement des différentes mémoires inscrites dans l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.
A la galerie Les Filles du Calvaire, Maya Inès Touam prend toutes les libertés. Et ne s’en excuse pas. Avec l’exposition « Les Choses qui restent », l’artiste et photographe franco-algérienne partage sa fascination pour l’histoire de l’art occidental et en propose un récit à son image.
Ici, l’appropriation fonctionne comme une stratégie narrative d’un monde de l’entre-deux, à l’image de ceux qui partagent son expérience d’une vie entre-deux rives. Formée à devenir artiste en France, Maya Inès Touam interroge la valeur du patrimoine légué et questionne sa place face au canon. Quel espace créatif est-il possible de façonner pour une femme artiste et une enfant d’immigrés ? À cette fin, Touam coopte les procédés et pratiques du 16e et 20e siècles — allant de l’iconographie religieuse aux expérimentations colorées du fauvisme — mais renverse les codes du sacré à la faveur du incroyablement profane.
« Les Choses qui restent » propose une somme d’objets hantés par leurs valeurs culturelles et convoqués pour leur symbolisme. À travers ce qu’elle nomme son « fauvisme photographique », Touam propose un nouveau vocabulaire visuel, ludique et rhizomique; une rencontre entre histoire, moment contemporain et imagination d’un futur sans centre ni périphéries.
Illustration: MAYA INÈS TOUAM FRANCE, 1988
ANANAS & JOUJOU, 2020
Fine Art print on Hahnemühle paper
Fine Art print on Hahnemühle paper
80 x 64 cm
Edition of 3 plus 2 artist's proofs