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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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La belle redécouverte d’Auguste Herbin
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Mai 2024 | Temps de lecture : 29 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Auguste Herbin (1882-1960) » à voir au musée Montmartre à Paris jusqu’au 15 septembre 2024.

Parfois, j’en ai marre des grosses expositions qui nous attirent comme des mouches avec leurs noms d’artistes archi célèbres. Évidemment que je me laisse émoustiller comme tout le monde ! C’est tellement excitant et rassurant à la fois, de se dire qu’il ne faut surtout pas louper l’événement, que cet artiste est génial, qu’on le sait déjà alors qu’on va forcément se régaler… Mais il y a toujours le verbe « faire ». Et ça m’agace. Tu as fait Rothko à la Fondation Louis Vuitton ? Tu as fait Mucha à Aix-en-Provence ? Tu as fait Chagall à Nice ? Tu as fait Valadon à Nantes ou à Metz ? Tu as fait Dali, Picasso, Modotti, Magritte ? Bref. Oui, j’ai fait. Super. Non, je n’ai pas fait. Oh la la, c’est vraiment dommage. Ne pourrions-nous pas plutôt nous demander si on a senti quelque chose de fort récemment ? Si on a découvert une œuvre ? Si on a vibré, si on a appris, si on a détesté, si on a été dérangé ? Si on a été surpris ? Parce que finalement, c’est souvent ce qui manque dans les expositions de « stars » très médiatiques. La surprise.

J’aime beaucoup le petit musée Montmartre pour ça. Pour son salon de thé et son jardin aussi, bien sûr. Pour l’atelier de Suzanne évidemment. Mais surtout pour ses expositions temporaires qui ont le chic de m’apprendre toujours quelque chose de nouveau. Si vous n’y êtes encore pas allés à l’occasion d’une balade à Paris, n’hésitez pas à monter la butte, vous ne devriez pas être déçus. Le service des relations presse a dû s’y étoffer ces dernières années d’ailleurs, car je n’ai pas le souvenir qu’on parlait autant autrefois de sa programmation dans les magazines d’art. Je ne vais pas m’en plaindre : ce mois-ci, Beaux Arts Magazine me rappelle d’aller y faire un tour avant le 15 septembre, histoire de me familiariser avec plaisir avec un certain Auguste Herbin (1882-1960), dont le nom effectivement me dit quelque chose, sans que je puisse immédiatement le situer dans mon livre mental d’histoire de l’art.

« Ce n’est pas son nom qui vient à l’esprit lorsqu’on pense à l’abstraction », reconnaît d’emblée Emmanuelle Lequeux, dont je me suis régalée à lire l’article dans Beaux Arts Magazine de mars. La très belle plume de cette journaliste m’a rafraîchit la mémoire. Effectivement, j’avais régulièrement vu le nom de Herbin cité rapidement aux côtés d’artistes embarqués dans l’aventure du cubisme et du Bateau-Lavoir. Mais il était aussitôt éclipsé par les Picasso, Braque, Juan Gris ou Max Jacob. Quant à l’abstraction, j’avais dû louper un épisode. « Auguste Herbin en fut pourtant l’un des maillons les plus radicaux et les plus acharnés. Le musée de Montmartre réhabilite cet artiste sans concession qui rêvait de réconcilier l’avant-garde avec le peuple. » Ca déjà, ça me plaît. En bon communicant, l’établissement parisien adepte du pas de côté n’hésite pas à affirmer que Herbin est « le secret le mieux gardé de l’aventure de l’art moderne »… Voilà qui est largement aussi alléchant qu’un nom courant déjà sur toutes les lèvres, n’est-ce pas ?

« Il a grandi dans les cliquetis des métiers à tisser, les inlassables va-et-vient de la navette, enfant de tisserands du nord de la France. Né à Quiévy, élevé à deux pas de là, au Cateau-Cambrésis, comme Matisse, Auguste Herbin a poussé au cœur des plaines céréalières de Thiérache, ces géométries faites paysages. Y a-t-il appris, dès ses premières années, la puissance évocatrice de l’abstraction ? Ce serait entacher sa vie de trop de déterminisme. Car c’est en homme libre qu’il construisit son destin, auquel rien ne le prédestinait. Jusqu’à devenir ce « chercheur obstiné de l’absolu pictural » décrit par la peintre Geneviève Claisse (1935-2018), qui a beaucoup fait pour qu’il ne sombre pas dans l’oubli. » Quand je vous disais que l’écriture d’Emmanuelle Lequeux est un bonbon qui fond sous la langue…

Alors moi, forcément, je ne résiste pas à une petite digression : mais qui donc est Geneviève Claisse ? Une artiste peintre née à Quiévy elle aussi. Cinquante-trois ans après Auguste Herbin. Qu’elle a découvert un jour comme étant un lointain parent, qu’elle a rencontré, et qui l’a encouragée à peindre. Elle est devenue l’autrice du catalogue raisonné de son œuvre. Mais a-t-elle fait aussi pour qu’on ne l’oublie pas, elle ? « L'artiste française Geneviève Claisse, figure de l'abstraction géométrique, qui avait inventé un langage fait de formes élémentaires, cercles, triangles, carrés, est décédée lundi à l'âge de 82 ans, après un accident », annonçaient le Journal des Arts et La Voix du Nord, le 3 mai 2018. Deux ans plus tôt, le musée Matisse du Cateau-Cambresis lui avait consacré une rétrospective, et elle préparait encore une exposition à Londres. Ses œuvres d’art à vendre sont notamment bien représentées par la galerie d’art Fleury à Paris, et peuvent atteindre quelques milliers d’euros quand elles sont mises aux enchères sur le marché de l’art. Reste à voir si sa cote montera au fil des ans… ou pas.

Mais revenons-en à notre cher Auguste Herbin. Oui oui, je m’attache facilement. Encore que l’homme ne devait pas être facile à vivre. Adolescent, il travaillait déjà comme employé aux écritures chez un huissier. Ce qui ne l’empêchait pas de suivre tous les cours municipaux de dessin qu’il pouvait, au Cateau, puis à Cambrai. Le fils d’ouvriers avait un destin tout tracé aux usines textiles Seydoux. « D’où sortent des tissus aux dessins géométriques, eux aussi. Mais le gamin est sacrément doué. Médaille d’or ! Grâce à une bourse, il part suivre, de 1899 à 1901, les cours de Pharaon de Winter aux Beaux-Arts de Lille. Il est ardent au travail, austère de caractère. Postimpressionniste, comme tout le monde, il crée des paysages mâtinés du souvenir de la Renaissance flamande », nous raconte la journaliste de Beaux Arts Magazine. En tout cas, les usines Seydoux pour lui, c’est mort. Direction Paris, et les scènes artistiques de Montmartre et de Montparnasse. Il ne laissera aucune trace à Céret, élue capitale occitane de l’avant-garde, et pourtant il est allé y peindre lui aussi. En Corse également, avec le grand connaisseur d’art moderne qu’était le collectionneur et marchand d’art Wilhelm Uhde. Car les plus grands collectionneurs d’art s’arrachent ses tableaux à vendre à l’époque.

Quand Auguste Herbin veut s’éloigner du cubisme pour attaquer de front l’abstraction, guidé par ses idéaux communistes le menant au constructivisme russe afin de mieux conjuguer idéal artistique et utopie sociale et politique, le galeriste Léonce Rosenberg le lâche. Le peintre n’en démordra toutefois jamais : il veut réconcilier l’avant-garde avec le peuple. Il veut rendre l’art moderne accessible à tous. « Plus l’art est abstrait, plus il s’identifie à mille et une personnalités. Il y a un abstrait individuel. Il y a un abstrait de masse (…) Il y a, il y aura un abstrait universel (…) », affirmait Auguste Herbin. « Notre art ne peut être que monumental et je crois que nous n’aurons de vrai communisme que lorsque nous aurons cet art monumental », clame en 1918 celui qui élaborera entre 1940 et 1950 un « alphabet plastique ». Une langue nouvelle de couleurs vives offrant d’accéder à un art émancipateur pour tous les humains. Une langue synesthétique comme en rêvait Kandinsky.

« Jamais Herbin ne renoncera à ce rêve politique », nous explique Emmanuelle Lequeux. « Ses toiles des années 1920 l’affirment bien haut, proches de celles d’autres artistes engagés comme Fernand Léger. » Auguste Herbin ira jusqu’à créer le mouvement Abstraction-Création en 1931, avec Vantongerloo, Van Doesburg, Hélion, Arp, Delaunay, Tutundjan et Kupka, pour pouvoir créer des œuvres d’art à vendre contournant le nouveau dogme du parti communiste ayant adopté la ligne du réalisme socialiste. « Pour ce communisme dans l’âme, c’est ni dieu, ni maître, ni Soviet suprême. » Auteur en 1949 d’un livre devenu une référence majeure pour l’abstraction géométrique et l’art cinétique, intitulé L’Art non figuratif non objectif, cofondateur du salon des Réalités nouvelles, exposé à la Documenta I et II de Cassel, Auguste Herbin est finalement devenu célèbre en même temps qu’hémiplégique, mourant à Paris en laissant une œuvre inachevée baptisée Fin. Ca ne s’invente pas… Je me demande juste pourquoi je n’avais pas entendu parler davantage de ce maître de l’abstraction géométrique jusqu’à aujourd’hui. Mais je remercie pour la surprise !

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Auguste Herbin, Lune, détail, 1945, huile sur toile, collection Lahumière, © Courtesy Galerie Lahumière, Adagp, Paris, 2024

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