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La réalité de la peinture selon Robert Ryman
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Mai 2024 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Robert Ryman. Le regard en acte », à voir au musée de l’Orangerie à Paris jusqu’au 1er juillet.

Je ne peux pas m’en empêcher : à chaque fois que je visite un musée, j’envisage l’hypothèse de devenir un jour une gardienne d’œuvres d’art, entourée de Beau pendant toute la durée de mon temps de travail. De silence aussi. Je savoure cette perspective de paix ultime comme un bon vin. Parce qu’évidemment, je vise un petit musée de province, loin de l’agitation de la foule des grands évènements artistiques qu’il convient de « faire » dans les grandes métropoles. Un tout petit musée de région, pardon, on dit comme ça maintenant. Il paraît que le terme province, en désignant tout ce qui n’est pas la capitale, est méprisant pour les Français qui ne sont pas Parisiens. La majorité des Français, donc. Mais comme ce sont les Parisiens qui ont décidé de ne plus utiliser le terme de province, je ne pense pas qu’au fond, celui de région soit beaucoup moins condescendant de leur point de vue… Bref. Je me vois bien finir mes jours dans un petit musée à la campagne, conservant ses trésors au calme. Ouvrant quotidiennement ses portes pour quelques visiteurs parcimonieux, curieux, heureux d’être là, vraiment là.

Oui, j’aimerais ça je crois. Je suis sûre qu’il vibre des ondes apaisantes dans ce genre d’endroit. C’est l’écrivain André Blanchard (1951-2014) qui m’avait ouvert les portes de cet imaginaire lorsque je l’avais interviewé à la sortie en 2013 de ses ultimes carnets parus de son vivant sous le titre « A la demande générale ». L’homme qui se targuait de ne pouvoir être publié qu’aux éditions Le Dilettante, tant il en était un lui-même, ne manquait évidemment pas d’humour avec ce titre, n’aspirant qu’à déambuler dans une humble galerie d’art de Vesoul pour s’assurer une sécurité matérielle minimale, lui laissant le temps précieux de fumer, regarder son chat et écrire discrètement.

Voilà comment je me suis mise à rêver de cette éventualité possible d’exercer un jour le métier de gardienne d’œuvres d’art, lorsque je ne pourrai plus faire autrement que quitter le fracas du monde. Comme on aspire à un refuge en pleine tempête. Comme la possibilité d’une île. Et c’était justement le métier de Robert Ryman (1930-2019), qui avait été recruté en 1953 comme gardien de salle au Museum of Modern Art à New York, où il était venu pour le jazz. Celui qui allait devenir le grand maître du blanc avait en effet d’abord envisagé de devenir musicien, un métier qu’il avait un temps pratiqué dans la Marine. C’était sans compter la fréquentation assidue des tableaux de Paul Cézanne, Henri Matisse, Claude Monet, Jackson Pollock et Mark Rothko… « Là, et jusqu’en 1960, assis sur une chaise anonyme, Ryman comprend physiquement combien la peinture est une affaire d’expérience, une question d’espace et de distance, d’accrochage et de lumière, de réalisme », écrit Colin Lemoine dans son article pour le magazine Connaissance des arts de ce mois de mars. D’où le fait que l’artiste peintre réfutera toute sa vie les épithètes « minimaliste » et « abstrait » qui lui collent toujours à la peau. Lui, il voulait que sa peinture soit qualifiée de réaliste, puisqu’elle était une expérience voluptueuse. Et vous savez qui étaient ses collègues gardiens de musée, partageant avec lui la même leçon indélébile ? Rien moins que Budd Hopkins, Dan Flavin et Sol LeWitt

Les premières expérimentations picturales de Robert Ryman sont parfaitement autodidactes. Untitled (Orange Painting), un tableau monochrome de 1955, sera sa première œuvre d’art à vendre. Celle aussi qui entérinera le recours systématique du peintre au format carré, « pourvu qu’il donne lieu à des investigations obsédées en termes de support et de surface », précise le journaliste. Même si c’est d’abord le blanc qui obsédera Ryman jusqu’à la fin de ses jours. Ce blanc que révérait tant aussi Kasimir Malevitch. Ce blanc si riche de nuances. Ce blanc qui, « rendant « les choses visibles », ne saurait être une valeur radicalement abstraite, strictement minimaliste », ajoute Colin Lemoine en citant l’artiste américain.

On l’a vu, la formation artistique de Ryman s'est donc principalement faite par l'expérimentation personnelle et l'exploration autodidacte. Il était profondément intéressé par les travaux d'artistes contemporains de son époque, ainsi que par les mouvements émergents comme l'expressionnisme abstrait et le minimalisme. Mais tout en observant les œuvres des autres artistes et en les étudiant de près, Ryman a développé sa propre approche de la peinture, caractérisée par sa simplicité, sa rigueur et son engagement envers la matérialité de la couleur et de la texture. N’ayant pas bénéficié d'une formation académique traditionnelle en art, Ryman a ainsi pu créer son langage artistique distinctif, qui allait devenir une force majeure dans le paysage de l'art contemporain.

Contrairement à de nombreux artistes de son époque, Ryman a délibérément évité toute forme de symbolisme ou de représentation narrative dans son travail. Il préférait se concentrer sur les qualités physiques et sensorielles de la peinture en tant que médium. Ce qui distingue bien entendu son travail, c'est son engagement envers la couleur blanche, puisqu’il a consacré sa carrière à explorer les nuances infinies et les variations subtiles de cette couleur en l'appliquant sur des surfaces variées, telles que le coton, le lin, le papier et même l'aluminium. En utilisant la blancheur comme point de départ, Ryman invitait les spectateurs à se concentrer sur les qualités formelles de la peinture, ainsi que sur la manière dont elle interagit avec la lumière et l'espace environnant.

Bien que ses œuvres puissent sembler simples à première vue, elles révèlent souvent une complexité subtile à mesure que l'on s'attarde sur elles. Les couches de peinture, les traces de pinceau et les variations de texture créent des compositions qui oscillent entre l'ordre et le chaos, l'unité et la diversité. Chaque tableau de Ryman est une exploration minutieuse des possibilités esthétiques et matérielles de la peinture, offrant une expérience sensorielle riche et nuancée à ceux qui prennent le temps de s'y plonger.

Au fil des décennies, l'œuvre de Robert Ryman a continué à exercer une influence significative sur les artistes contemporains, tout en suscitant des débats animés sur la nature de l'art et de la perception. La fameuse pièce de théâtre à succès de Yasmina Reza, « Art », jouée pour la première fois en 1994 et désormais traduite dans plus de trente langues, a d’ailleurs été inspirée à la dramaturge française par la vue des toiles de Robert Ryman chez le réalisateur et grand collectionneur d’art Claude Berri.

Au fond, la pratique radicale et expérimentale de Robert Ryman a élargi les limites de ce que la peinture peut être, laissant un héritage durable dans le monde de l'art contemporain. Et vu combien son influence perdure depuis sa mort en 2019, nul doute que son exploration visionnaire de la couleur, de la lumière et de la matérialité ne manque pas de puissance... J’aimerais bien savoir ce qu’en penserait le gardien d’une salle où ne seraient exposées que les œuvres d’art blanches de Ryman… En attendant, je vais essayer d’aller poser mon petit tabouret au musée de l’Orangerie pour me perdre dans la contemplation de l’exposition « Robert Ryman. Le regard en acte ».

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Robert Ryman devant "Concert", dans son atelier de West Village à New York, 1987
© New York, archives Robert Ryman/ © 2024 Robert Ryman / Adagp, Paris

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