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Le grand retour du tissage
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Mai 2024 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la foire Art Paris qui se tient du 4 au 7 avril au Palais éphémère en mettant l’accent sur la thématique Art and Craft.

La découverte en 2017 d’une exposition de Michel Tourlière (1925-2004) à l’occasion de la réouverture du musée des beaux-arts de Beaune, en Côte d’Or, avait déjà complètement transformé mon regard sur la tapisserie. Enfin des couleurs chaudes, de l’élan, du mouvement, des compositions rythmées… J’en écarquillais les yeux d’aise, buvant comme du petit lait les paroles de la directrice du musée qui m’accompagnait dans ma visite. Car je dois bien vous avouer que les sombres tentures médiévales déroulant, certes, de passionnantes histoires mythologiques, m’avaient jusque là toujours laissée de marbre. Puisqu’elles n’étaient finalement présentes dans les châteaux du Moyen Âge que pour réchauffer les murs, je me disais que c’était déjà pas mal… La grande figure beaunoise qu’est Michel Tourlière, l’un des principaux représentants de la tapisserie française dans la deuxième moitié du XXe siècle, ayant dirigé à Aubusson la prestigieuse Ecole nationale des arts décoratifs de 1960 à 1969 et comptant parmi les artistes ayant beaucoup fait pour le maintien de cet art m’avait, elle, réchauffé le cœur. Outre le fait d’être désormais celui de l’auditorium de la Cité internationale de la tapisserie, le nom de Michel Tourlière est pour toujours associé au renouveau de la tapisserie initié par Marie Cuttoli et Jean Lurçat. Et si le nombre d’œuvres textiles répertoriées sur le site de la foire Art Paris qui se tiendra du 4 au 7 avril au Palais éphémère prouve que le tissage reprend une place inattendue dans l’art contemporain, au point de faire l’objet d’une enquête publiée dans le magazine L’Oeil du mois de mars, il y a quelques années déjà que le grand retour s’annonce !

J’en veux pour preuve le témoignage passionnant de Simone Pheulpin, une sculpteuse textile de 83 ans cette année, que j’ai eu la chance d’aller rencontrer chez elle en 2020, dans les Vosges. Je n’oublierai jamais son petit air malicieux quand elle me racontait qu’à ses débuts, les galeristes la toisaient dédaigneusement sitôt qu’ils découvraient que les œuvres d’art à vendre dont la puissance exprimée à force de plis et replis leur avait tapé dans l’oeil, étaient réalisées en tissu. « C’est du tissu en fait ? Alors je n’en veux pas… » lui lançaient-ils finalement. Tant pis pour eux… Parce que dès son exposition à la Biennale Internationale d’art textile de Lausanne en 1987, Simone Pheulpin n’a plus cessé de se voir ouvrir les portes de l’art tout court et de vendre ses œuvres d’art épinglées, y compris dans les musées les plus prestigieux. C’est d’ailleurs à New York qu’elle a fait sa première grande exposition, après avoir été repérée ni plus ni moins par la célèbre artiste américaine Sheila Hick, toujours très active elle aussi. Oui, l’art textile a eu du mal à se faire une place sur le marché de l’art, mais surtout en France !

« Il y a quelques semaines, Le chien, la robe de chambre, les chaussures et la langouste, de Daniel Dewar et Grégory Gicquel, rejoignait les collections du Centre Pompidou. Dix ans se sont écoulés depuis la fabrication de cette tapisserie monumentale conçue par les lauréats 2012 du prix Marcel Duchamp. A l’époque, les œuvres textiles opéraient timidement leur retour dans la création – indice d’une frontière de plus en plus poreuse entre les beaux-arts et les arts appliqués », écrit Anne-Cécile Sanchez dans son article pour L’Oeil, dans lequel elle reprend des passages du catalogue de l’exposition Decorum, qui avait été consacrée en 2014 aux tapis et tapisseries d’artistes au Musée d’art moderne de Paris. Alors commissaire de cette exposition, Anne Dressen estimait « incontournable » la présence des œuvres d’art textiles dans l’art contemporain. Constatant que la tapisserie n’avait en réalité jamais disparu, grâce à des plasticiens comme Marc Camille Chaimowicz revisitant les codes de la sphère domestique et des savoir-faire y étant associés, ou Mike Kelley, Grayson Perry ou Caroline Achaintre s’emparant de ceux de l’artisanat et du folklore.

Avec notre rapport au temps devenu complètement dingue, la tapisserie apparaît aujourd’hui comme un rêve de résistance. La pièce réalisée par l’artiste conceptuel Laurent Grasso, dévoilée en juin 2023 par la manufacture Robert Four a par exemple nécessité plus de 1100 heures de travail… Quant à la tapisserie réalisée par la Manufacture des Gobelins d’après une peinture d’Hélène Delprat, il est prévu qu’elle soit achevée en… 2030. « C’est fou et complètement anachronique de pouvoir encore travailler ainsi, pendant des années, sur une seule tapisserie », s’émerveille l’artiste elle-même. « Aujourd’hui, les manufactures chargées de perpétuer les savoir-faire tapissiers se montrent très désireuses de collaborer avec des artistes, afin de s’inscrire dans l’actualité de la création », explique la journaliste de L’Oeil. « Depuis 2010, la Cité internationale de la tapisserie, à Aubusson (Creuse), constitue ainsi un fonds contemporain à travers des appels à projets et des commandes mécènes. En 2020, elle a également lancé la collection Carré d’Aubusson, dont l’objectif est de collaborer avec des galeries d’art afin de proposer des tapisseries adaptées aux intérieurs domestiques. »

Depuis les tapisseries monumentales de Zuzanna Czebatul jusqu’aux reproductions de photos d’actualité de Goshka Macuga en passant par les tissages pleins d’humour de Laure Prouvost, les tentures confectionnées à partir de capsules de canettes d’El Anatsui ou celles tissées de matériaux récupérés dans les décharges de Moffat Takadiwa, il est évident que l’art textile n’est pas limité à sa dimension ornementale. « Plutôt que d’arts appliqués, il serait plus judicieux de parler d’arts impliqués », note Anne Dressen. Un terme alternatif emprunté au philosophe de l’esthétique Etienne Souriau. En tout cas, la tapisserie est désormais un medium comme un autre.

Un jour, ma roulotte m’a déposée par hasard devant le musée Dom Robert et de la tapisserie du XXe siècle à Sorèze, dans le Tarn. Quelle merveille ! Quel éblouissement ! Au cœur de ce village médiéval, une abbaye du XVIe siècle abrite l’œuvre de ce moine bénédictin et peintre cartonnier né en 1907 et mort en 1997. Jamais auparavant je n’avais entendu parler de lui. Je n’en revenais pas. Aujourd’hui, je ne voyage plus sans l’une de ses œuvres reproduite sur carte postale. Allez-y ! Ou retournez-y : un nouvel accrochage vient d’être mis en place, intitulé « Prairies animées ». Par leurs motifs extrêmement variés et leur riche chromatisme, les tapisseries de Dom Robert rappellent les forêts luxuriantes des peintures du Douanier Rousseau, et l’art naïf en général. L’inspiration avec laquelle l’artiste représente la Création, à travers la diversité des végétaux et des animaux, me fait aussi penser à Séraphine de Senlis, tant cette inspiration semble divine. Finalement, comme je ne crois pas au hasard, je suis sûre que la belle aventure de la tapisserie ne cesse tout simplement pas d’illuminer mon chemin, comme j’espère qu’elle pourra illuminer le vôtre !

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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