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La peinture cousue main de ML Poznanski
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Juin 2024 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’entrée de ML Poznanski dans l’écurie de la jeune galerie Lo Brutto Stahl, rue des Vertus à Paris.

Il se passe beaucoup de choses dans cette peinture sur tissu, mais c’est comme si elles étaient revisitées par un fantôme à la fenêtre. Pleines de barreaux ou de cicatrices. De suffocation et de grandes goulées de liberté. La galerie d’art parisienne Lo Brutto Stahl vient d’intégrer à son écurie l’artiste et styliste ML Poznanski, dont elle a montré fin 2023-début 2024 de saisissantes œuvres d’art à vendre. Je ne connaissais pas. Fils tendus, tableaux sous tension. Sensation d’enfermement ou au contraire jaillissement de lumière… J’ai adoré découvrir. A la lecture de son article dans Artpress ce mois-ci, je crois que le critique d’art Guillaume Oranger aussi. « Cet hiver, l’exposition personnelle de ML Poznanski à la galerie Lo Brutto Stahl à Paris, Children of Omerta, a signalé toute la maturité de ses débuts tardifs », écrit-il d’emblée. Faisant référence à la peintre vivant en la styliste, laquelle a d’abord créé sa griffe Panocticum, après avoir développé son goût pour le textile en intégrant, là par contre précocement, à 17 ans, la section Beaux-Arts de la Central Saint Martins, à Londres.

Un petit point biographique ? ML Poznanski est née en 1984 à Hull, au Royaume-Uni. Elle vit et travaille désormais entre Varsovie, Londres et Anvers. En plus d’être entrée aux Beaux-Arts à Central Saint Martins, elle a aussi étudié la philosophie à Birkbeck, Université de Londres. Issu d'un parcours multidisciplinaire impliquant le théâtre, la musique, la performance et la fabrication de vêtements dans sa jeunesse, le travail de peinture de Poznanski apporte une dimension politique à une rencontre physique plus complexe avec des techniques de couture, de broderie et de teinture à la main subtilement incorporées dans ses compositions picturales. Le processus laborieux de fabrication de constellations du tissu fragmenté, collecté de manière informelle chez ses grands-parents à Varsovie, puis galvanisé avec une palette de couleurs terreuses diluées, a imprégné ses images d'un vague souvenir d'expérience personnelle et de réalité fictionnalisée. Les figures peintes évoquent généralement des sentiments de désir et de perte, décontextualisés de l'histoire et des récits à travers l'ordre matériel dans son travail. Poznanski explore le mécanisme des souvenirs collectifs et la structure de la conscience individuelle en mettant en scène et en déconstruisant les existences banales des objets et des récits pour se situer et se déplacer dans le temps et l'espace.

Le travail de ML Poznanski (ne me demandez pas ce que signifient les initiales ML, je n’ai trouvé la réponse nulle part, donc si vous, vous le savez, je veux bien l’info) commence donc dans un studio de Varsovie, où les chutes de lin sont récupérées du sol, avant d'être teintes à la main et cousues pour créer des toiles. Rien de nouveau sous le soleil, seulement la douleur croissante de la métamorphose. Avant que la peinture n'atteigne la toile, la mesure des heures ne peut être comptée et est enfouie dans les plis du tissu.

 « Faire des peintures est imbriqué avec l'engagement parallèle de l'artiste en tant que créateur de vêtements ; ces fils constituent la trame et la chaîne de l'œuvre plus large. Dans la fabrication, il y a des mains coupées, et parfois il y a un visage coupé. Il y a beaucoup de saignements de nez et surtout il y a un refus de céder aux dictats : à la vitesse, aux systèmes, à la soierie », écrit superbement l’autrice Clodagh Kinsella. « Comme si l'enfance était l'endroit où tout est polarisé, et que tout ce qui se passe ensuite sera dicté par les images qui sont posées à ce moment-là. Quelque chose de cette position subjonctive, familière à l'artiste, trouvera sa place dans l'œuvre, qui sera forcée de retourner à la banque d'images de l'enfance et de l'adolescence, malgré les terreurs potentielles qui pourraient y rôder (fêtes d'adolescents dans des tons rappelant une boisson énergisante Monster). La résistance est la qualité la plus étonnante de la toile de lin teinte, dont les fils maintiennent les peintures ensemble malgré la menace omniprésente de forces centrifuges. Et malgré les forces centripètes, car l'œuvre maintient une tension : parfois il semble que la couture dicte les scènes dans les peintures, les fils tissant des histoires ; et parfois que l'aspect très esquissé des scènes défie la préméditation, devenant quelque chose seulement sur la toile. À travers les plis de la toile, quelque chose est donné et retenu. Les connexions ne sont pas tout à fait rencontrées par les corps dans l'espace ; les plans de couleur isolent seulement, et le quatrième mur se brise. Les figures tombent dans un univers d'origami. Les plis de la matière enferment les plis de l'âme. »

Le travail de ML Poznanski n’est pas sans m’évoquer des éléments de l'esthétique et de l'approche artistique d’autres artistes contemporains qui explorent la mémoire, l'identité et la matérialité à travers leur travail. Je pense à Anselm Kiefer qui, comme Poznanski, intègre des matériaux texturés et des processus laborieux dans ses œuvres pour explorer des thèmes profonds liés à l'histoire, à la mémoire et à la spiritualité. Je pense à Louise Bourgeois, qui partage avec Poznanski une fascination pour le processus de transformation et l'exploration des émotions et des expériences personnelles à travers l'art, en utilisant souvent le textile et la couture. Mais je pense aussi à Doris Salcedo, qui explore la mémoire collective et l'impact de la violence et de la perte à travers des installations sculpturales intégrant souvent des matériaux textiles et des techniques de couture, créant une dimension tactile et émotionnelle similaire à celle de Poznanski. Enfin, je ne peux passer sous silence Kiki Smith, elle qui aborde des thèmes tels que le corps, la féminité et la spiritualité à travers une grande variété de médiums, y compris la sculpture, le dessin et la gravure. Son utilisation de matériaux organiques et de techniques artisanales peut en effet parfois rappeler l'approche de Poznanski.

Le critique d’art signant l’article très factuel du magazine Artpress a consciencieusement relevé quatre modes de fabrication de l’espace pictural dans l’œuvre de Poznanski en se basant sur l’observation des œuvres d’art à vendre vues à la galerie d’art Lo Brutto Stahl. Trois d’entre elles correspondraient donc à un premier mode. Elles étaient faites de pans de tissu suturés les uns aux autres : une fois verticalement, avec une suture bien visible participant au rythme de l’espace pictural, et deux fois horizontalement, passant alors au contraire presque inaperçue.

« Selon un deuxième mode de fabrication, des bandes de tissu, cette fois-ci avec des bords ondulés, forment un espace syncopé qui semble, dans Untitled (2023), croiser deux images, comme si la deuxième était ce que voyait le visage qui occupe la première. Les deux images apparaissent au regardeur alternativement, dans une sorte de clignotement, jouant en dernier lieu l’une contre l’autre. Dans Big Hands, Big Heart (2023), au contraire, les découpes encerclent les composantes d’une image simple, unie, que la suture vient harmoniser. »

Guillaume Oranger range dans un troisième mode de fabrication les tableaux où « le tissu se trouve ramassé en de fines plissures cousues à leur base, formant relief, bosselure du plan. Le tissu semble alors exposer sa nature propre, dans un clin d’œil au rideau ainsi tiré devant l’image ; il évoque, plus poétiquement, le frémissement d’un plan d’eau au passage du vent. Ce troisième style accentue en même temps que sa nature textile l’inaccessibilité de l’image peinte, désormais dotée de recoins, d’ombres, de parties engouffrées qui demandent au regardeur d’ajuster sa distance pour percer comme un brouillard. »

Et enfin, « la quatrième manière de fabriquer la toile, celle-ci utilisée une seule fois dans l’exposition, est encore plus surprenante : le centre du tableau est presque « normal » (presque, puisque des bandes ondulées y sont encore cousues, discrètement, à l’horizontale), tandis qu’autour, l’image est peinte non pas sur du fil tramé mais simplement tendu. Le tableau produit l’effet d’une émanation des fils depuis le centre, rayonnement quasi-solaire. Les rayons, donc, de cette œuvre, Untitled (Play) (2023), présentent des personnages fixés là comme des fantômes, les formes de l’un d’eux se prolongeant au centre, où elles apparaissent plus denses. Cette technique, si elle distingue encore deux régimes de l’image, semble cette fois-ci les placer dans un rapport de complicité plutôt que de compétition. »

Puisque je vous parlais récemment du retour en grâce du textile sur le marché de l’art contemporain, en voici encore un formidable exemple que je vous invite chaleureusement à découvrir !

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Portrait de ML Poznanski - galerie Lo Brutto Stahl

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