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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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La belle histoire d’Anna Boch passe par la Bretagne
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Juin 2024 | Temps de lecture : 33 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Anna Boch. Un voyage impressionniste », visible au Musée de Pont-Aven (29) jusqu’au 26 mai.

Je vais finir par croire qu’une malédiction s’est abattue sur moi concernant le musée de Pont-Aven ! J’avais été éblouie l’année dernière par la superbe affiche y annonçant l’exposition « Artistes Voyageuses – L’appel des lointains ». Le graphisme avait retenu mon attention, ainsi que la mention du Musée du Pont Aven. Oui, j’ai un problème cognitif avec les chiffres. Étant de retour d’une virée en pays bigouden, j’étais donc repassée tout spécialement poser ma roulotte dans cette célèbre cité des peintres du Finistère. J’étais prête à rouler sans m’arrêter le vendredi (ce qui n’est pas dans mes habitudes de slow nomade) pour honorer un engagement suivant imposant ma présence dans l’Est de la France ce week-end-là. Le jeudi 22 juin 2023 j’étais à pied d’œuvre devant le musée de Pont Aven. Et je découvrais, ahurie, que l’exposition serait visible, comme le mentionnait l’affiche, du 24 juin au 5 novembre 2023…

D’accord, j’en ai profité pour visiter la collection permanente et je me suis régalée des crêpes de Chez Armelle, un lieu super sympa que je vous recommande d’ailleurs au passage. Mais bon… j’ai surtout mis une option pour revenir dans la région avant le 5 novembre cette année-là, et je n’ai pas réussi. Cette fois, à la lecture du « Récit d’une vie » dans le magazine Connaissance des arts du mois d’avril, je me dis que je vais pouvoir passer au Musée de Pont Aven en 2024 pour savourer les œuvres d’art d’Anna Boch, puisque je repars bientôt en direction du Finistère. Eh bien figurez-vous que j’y serai le 6 juin… tandis que l’exposition « Anna Boch. Un voyage impressionniste » y est visible jusqu’au 26 mai…

Et vous savez quoi ? J’étais de passage à Ostende avec ma roulotte en février 2023, en Belgique, où je visitais le formidable Mu.ZEE, quand j’ai vu l’affiche annonçant l’exposition inédite d’Anna Boch co-organisée par les musées belge et breton à l’occasion des 175 ans de la naissance de cette impressionniste et collectionneuse que je ne connaissais pas encore. Sauf qu’elle commençait le 1er juillet, cette belle exposition rétrospective… Je me suis dit « j’ai le temps, je reviendrai à Ostende avant le 5 novembre »… Mais ma roulotte a sillonné tant d’autres routes que je ne suis toujours pas retournée au Mu.ZEE. J’en profite ici pour vous inviter à le découvrir si jamais ce n’est pas déjà fait : à elle seule, sa collection permanente est époustouflante !

C’est grâce à l’entremise de Virginie Devillez, historienne de l’art et commissaire scientifique de l’exposition, que ce projet commun au musée de Pont Aven et au Mu.ZEE a pu voir le jour. Elle a brillamment mis en exergue les liens étroits qui pouvaient se tisser entre cette artiste belge, l’histoire artistique de la Bretagne et les enjeux défendus par le Musée de Pont-Aven. L’origine familiale d’Anna Boch et l’aisance financière qui va avec, (un père riche industriel originaire du Grand Duché du Luxembourg : Villeroy & Boch, ça vous dit quelque chose ?), lui offre en effet la possibilité de voyager et découvrir l’Europe tout en peignant sur le motif. Sans doute les œuvres de Henry Moret et Émile Bernard, qu’elle collectionne et qui ornent les murs de sa demeure, l’ont-elles convaincue de partir sur les traces de ces peintres, pour la première fois en 1901 en Finistère Sud. Les œuvres de Bretagne révèlent son appropriation des techniques néo-impressionnistes et le travail de la lumière. La transparence de l’eau, les rayons du soleil sur la falaise, sur la mer, les ombres offrent de nombreuses possibilités d’étude et de pratique. Alfred Jarry écrit : « Mlle Anna Boch rend avec sûreté l’émotion des côtes de Bretagne ». L’artiste et son frère Eugène Boch (1855-1941), peintre également, retournent en Bretagne en 1912 avec leur chauffeur. Eh oui, « les origines familiales », ça aide…

Tant mieux pour Anna ! Comme l’écrit si bien Colin Lemoine dans Connaissance des Arts, « impressionniste et pointilliste, collectionneuse et musicienne, émancipée, follement émancipée, la peintre belge Anna Boch (1848-1937) sut être une femme et une artiste, être l’une sans jamais renier l’autre, oeuvrant sur une ligne de crête splendide. Rare ».

L'exposition « Anna Boch, un voyage impressionniste », donc, dresse le portrait multiple d’une artiste, mélomane, collectionneuse, mécène, voyageuse et passionnée d’architecture (elle fait aménager sa maison bruxelloise en 1895 par Victor Horta, héraut de l’Art nouveau), à la personnalité dynamique et avide de découvertes. Personnellement, je n’avais pas auparavant mémorisé son nom, ni son histoire, j’avoue, mais en fait, elle était la femme artiste la plus en vue de Belgique. L’exposition d’Ostende a d’ailleurs été fréquentée par près de 70 000 visiteurs.

Anna Boch (Saint-Vaast, Belgique, 1848- Ixelles, Belgique, 1936) a en effet mené une vie très indépendante, un choix rendu possible grâce à ses origines sociales, on l’a vu, et à la bienveillance familiale. Si elle est la seule femme à avoir adhéré aux cercles artistiques belges Les XX et La Libre Esthétique, ce n’est pas seulement parce qu’elle s’est liée d’amitié avec le peintre Isidore Verheyden (1846-1905) devenu son professeur, c’est également parce qu’ils étaient animés par son cousin, avocat et critique d’art, Octave Maus. N’empêche qu’elle s’y est positionnée – fait rare pour l’époque – d’égale à égale avec ses confrères. Elue « vingtiste » en 1885, la même année que Félicien Rops, Boch restera la seule femme du groupe. Je vous étonne si je vous rapporte qu’on lui concédait alors « un talent masculin » ?

Bref, Anna se lance avec son frère dans l’aventure du néo-impressionnisme, alors incarné par Théo van Rysselberghe, Paul Signac et Georges Seurat. Ses tableaux lumineux illustrent sa recherche du trait et de la couleur. Sa passion de la nature l’emmène dans des coins reculés pour capter la beauté des paysages bucoliques. Anna Boch prend résolument toute sa place dans le post-impressionnisme de la fin du XIXe siècle, et « veillera sa vie durant à défendre sa voix, ses choix et son sexe », comme l’écrit le journaliste de Connaissance des Arts.

Car Anna Boch n’a pas seulement à cœur de produire des œuvres d’art à vendre, comme En juin (1894), son premier tableau acheté par l’état belge. Elle met aussi sa fortune à profit pour acheter des œuvres d’art. Pour se constituer une collection, avide de transmettre tout en révérant les artistes. Pour soutenir passionnément ses pairs désargentés. Comme Vincent Van Gogh par exemple, dont elle achète notamment La Vigne rouge à Montmajour (1888) au Salon de 1890 des XX, après que le peintre symboliste Henry De Groux (1866-1930) aura insulté le Hollandais et refusé d’exposer dans la même salle que lui. Van Gogh prendra quant à lui Eugène Boch pour modèle du Poète, ce fameux portrait étoilé.

Bien qu'il ne la considère que comme une « esquisse », Van Gogh encadre d’ailleurs cette œuvre et on sait qu’elle est pendant un temps accroché au mur de sa chambre dans la Maison jaune, puisqu'elle apparaît dans la première version de La Chambre à coucher (Amsterdam, musée Van Gogh). D’où le prêt exceptionnel de ce tableau au musée de Pont Aven dans le cadre de la saison « 150 ans de l’impressionnisme avec le musée d’Orsay (1874-2024) ». A l'occasion du 150e anniversaire de l'impressionnisme, le musée d'Orsay a en effet proposé à plusieurs musées en région de prêter des oeuvres d’art emblématiques de sa prestigieuse collection pour créer une chaîne d'événements et pour dialoguer avec les institutions territoriales intéressées par cette proposition.

L’acquisition par Anna Boch de La Musique russe (1881) de James Ensor, « signe sa liberté de goût et augure une remarquable collection, composée de toiles de Paul Gauguin, de Constantin Meunier, d’Emile Bernard, de Paul Signac…

C’est en mars 1889 qu’Anna réalise, malgré le « ricanement de la foule », un premier achat fondateur : Conversation. Bretagne de Paul Gauguin exposé aux XX. Les relations de la famille Boch avec l’artiste ne s’arrêtent pas là. En 1890, pour l’aider, Eugène Boch achète à très bas prix un lot de tableaux à partager : « cela fera plaisir je pense, à ce pauvre bougre qui a cependant tant de talent ! J’ai passé en revue aujourd’hui au moins une trentaine de toiles chez Boussod, Valadon & Cie, et j’ai fait avec Bernard le choix de cinq œuvres ». D’ailleurs Émile Bernard, témoin de ces achats des Boch, se plaint d’être constamment dans le besoin et espère à son tour obtenir le soutien de la famille : « Si ta sœur voulait une de mes toiles, tâche qu’elle m’en achète une. Ça […] m’allégerait de grands ennuis », écrit-il à Eugène.

Anna Boch la peintre, Anna Boch la collectionneuse, Anne Boch la riche mécène, Anna Boch la femme libre… Anna Boch percluse de rhumatismes depuis 1905, qui un jour sent la fin arriver et qui rédige son testament en 1935, un an avant sa mort, grâce auquel les musées belges se retrouveront propriétaires de tableaux de Seurat, Gauguin et Signac, « de toutes ces affinités électives ayant affiné la main et affûté l’œil d’Anna Boch », écrit Colin Lemoine. A la fin de sa vie, la collection d’Anna Boch comporte plus de 400 œuvres d’art qui seront donc en partie léguées à des musées, ou à sa filleule Ida van Haelewijn… quand d’autres arriveront sur le marché de l’art, où elles seront vendues aux enchères. Je pense que de là où elle est, cette grande dame jubile de voir sa vie et son œuvre voyager dans le monde entier, et circuler de la Belgique à la Bretagne…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Crédits : Anna Boch, Cueillette, 1890 - Huile sur toile 74 x 107 cm - Collection particulière © Vincent Everarts
Vincent Van Gogh - Eugène Boch - En 1888 - Huile sur toile H. 60,3 ; L. 45,4 cm. Legs Eugène Boch par l'intermédiaire de la Société des Amis du Musée du Louvre, 1941. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandows

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