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La littérature plasticienne de Babi Badalov
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Juin 2024 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la rétrospective « Babi Badalov. Xenopoetri » visible jusqu’au 28 avril au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (Suisse).

On le surnomme le « xenopoète ». A moins que ça ne soit lui qui se surnomme ainsi ? Du préfixe d'origine grecque, xeno, utilisé pour exprimer la notion d'étranger ou d'étrangèreté. Artiste multidisciplinaire originaire d'Azerbaïdjan, réfugié à Paris où il a obtenu le statut de réfugié politique après des années d’errance, Babi Badalov est connu pour son travail poétique et politique, ses œuvres d’art à vendre, peintures sur toiles et sur tissu, livres d’artistes, utilisant désormais le langage et l'écriture comme moyen d'expression. Il est également célèbre pour ses performances, ses dessins et ses installations, dans lesquelles il explore des thèmes tels que l'identité, la migration, et la politique contemporaine. Présenté dans de nombreuses expositions et événements artistiques à travers le monde, son travail est actuellement particulièrement bien mis en valeur au musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (MCBA), qui lui consacre une grande rétrospective depuis février et jusqu’au 28 avril. Mais je vous invite également à faire un tour à Transpalette – Centre d’art contemporain à Bourges (18), qui donne à voir jusqu’au 5 mai une fresque de quinze mètres de long réalisée par Babi Badalov pour une exposition collective autour du groupe punk Bérurier noir.

« Babi Badalov. Xenopoetri » est la première exposition monographique dédiée au travail de Babi Badalov en Suisse. C’est Pierre-Henri Foulon, récemment nommé au poste de conservateur pour l’art contemporain, qui a confié à l’artiste l’espace projet du MCBA, au rez-de-chaussée. « Badalov a conçu sur place un immense manifeste combinant des calligraphies à même le mur et des peintures sur tissus », écrit Anne-Cécile Sanchez dans le numéro d’avril du magazine L’Oeil. « L’écriture foisonnante recouvre ainsi l’architecture par petits blocs de sens comme un collage géant. Les jambes des lettres parfois se prolongent en figures, greffant le dessin sur l’alphabet pour composer des paysages graphiques. L’ornemental croise le conceptuel, les alphabets (cyrillique, latin, persan, russe…) et les lexiques s’hybridant de façon quasi organique. »

À la fois écriture et dessin, la poésie visuelle de l’artiste explore les possibilités politiques et poétiques du langage. Les mots constituent en effet le fondement de l’œuvre de Babi Badalov, se déployant comme un immense collage où viennent s’entremêler les langues et les alphabets qui fondent son identité complexe. Né en 1959 en Azerbaïdjan, l’artiste a grandi au croisement des cultures azérie, perse et soviétique. Aujourd’hui établi à Paris après une succession d’exils qui l’ont amené à explorer le Saint-Pétersbourg underground des années 1980, la scène artistique de San Francisco et de New York au début des années 1990 et le Royaume-Uni des années 2000, il n’en garde pas moins le sentiment d’être à jamais un étranger.

Décortiquant le langage dans son aspect le plus concret – la lettre, la syllabe – Badalov réinvente une langue qui est autant un refuge qu’un terrain de lutte. Sa jungle de mots est à première vue inextricable. Et c’est justement ce qu’on aime. Comme en témoigne le titre de l’exposition, il procède le plus souvent par libre association phonétique dans une démarche qui rappelle certaines stratégies dadaïstes. Jadis essentiels dans l’articulation conceptuelle de dada, l’anarchisme de Mikhaïl Bakounine et le nihilisme de Friedrich Nietzsche demeurent des références importantes pour Badalov. Ancrée dans l’expérience de l’oppression, du rejet et la marginalité, son œuvre d’art tente néanmoins de reconstruire une utopie horizontale dans laquelle chacun.e est invité.e à se libérer des systèmes de domination.

Il y a une circularité à l’œuvre dans les supports qu’il emploie, qu’il s’agisse des tissus de récupération sur lesquels il peint ou des éléments du quotidien qu’il glane afin de les intégrer à des collages monumentaux. Cette attention portée aux choses qui nous entourent témoigne d’un regard profondément curieux, sensible mais aussi critique à l’égard de son époque. « En France, on a déjà vu les compositions graphiques et les jeux sémantiques de Badalov en grand, au Palais de Tokyo, dont l’artiste a investi quatre pans de murs en 2016 dans le cadre du programme Œuvres in situ/Anémochories », nous rappelle Anne-Cécile Sanchez dans le magazine L’Oeil, nous glissant au passage que suite au vernissage de l’exposition suisse, il se pourrait bien que Babi Badalov orne la bâche du futur grand chantier qui fermera le Centre Pompidou de Paris à partir de l’année prochaine.

« Devenu président du centre d’art parisien, Guillaume Désanges, avec son complice d’alors, le commissaire d’exposition François Piron, a joué un rôle clef dans la reconnaissance du travail de Babi Badalov en France. Tous deux ont ainsi inventé pour l’artiste azéri un appareil critique célébrant « la manière dont la non-maîtrise d’une langue réinvente nos relations au savoir, mais aussi aux autres et au monde, sur le mode de l’étrangeté, de l’altérité et de la poésie ». Guillaume Désanges a également invité Badalov pour une exposition à La Verrière, l’espace d’art de la Fondation Hermès à Bruxelles, en 2019, dans le cadre du cycle « Matière à panser ». »

En voyant à quel point Babi Badalov voit le langage comme moyen d'explorer des questions complexes et contemporaines, tout en engageant le spectateur à réfléchir sur le monde qui les entoure, on pensera forcément à Jenny Holzer, cette artiste américaine connue pour ses œuvres textuelles et ses installations utilisant des phrases et des mots pour explorer des thèmes sociaux et politiques. Mais aussi à Barbara Kruger, une artiste américaine elle aussi, reconnue pour ses collages saisissants combinant photographie et texte, interrogeant les questions de pouvoir, de genre et de consommation. Ou encore à Lawrence Weiner, un artiste américain associé au mouvement de l'art conceptuel, qui utilise souvent des mots et des phrases simples pour créer des œuvres d'art à la fois poétiques et politiques. Sans oublier Tracey Emin, une artiste britannique célèbre pour son utilisation personnelle et expressive du langage et de l'autobiographie dans ses œuvres, explorant des thèmes tels que l'intimité, la sexualité et la vulnérabilité. Ni Alfredo Jaar, un artiste chilien connu pour ses installations et ses œuvres photographiques qui abordent des questions sociales et politiques, utilisant souvent le langage comme élément central de ses pièces.

Lorsque Jean-Max Colard, responsable de la Parole/Département culture et création du Centre Pompidou, voit en Babi Badalov l’un des représentants de ce qu’il appelle la « littérature plasticienne », il veut parler d’« une littérature qui ne vise pas forcément le livre comme terminus de la création littéraire (…), qui se répand sur les murs d’une exposition, sur les toiles des peintres ». Evidemment , l’art contemporain de Badalov résonne parfaitement avec la crise migratoire contemporaine. Evidemment, elle arrive à point nommé dans les musées qui commencent justement à s’intéresser à cet état du monde qui fait les gros titres des journaux, « à travers des pratiques artistiques définies par l’expérience du déchirement et l’économie de moyens », comme nous le rappelle si justement la journaliste du magazine L’Oeil. Evidemment, le marché de l’art contemporain ne risque pas de passer à côté.

Nul doute que l’écriture est finalement devenue le seul pays de celui qui voue un véritable culte à Jean Genet et qui s’est fait tatouer le visage de Pasolini sur la main, deux incarnations poétiques et radicales de la marginalité.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Photos: MCBA, Etienne Malapert

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