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Les modernistes africains-américains ont enfin leur place au Met
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Juin 2024 | Temps de lecture : 28 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « The Harlem Renaissance and Transatlantic Modernism » qui se tient jusqu’au 28 juillet au Met (Metropolitan Museum of Art) à New York.

Je craque complètement pour certaines, moins pour d’autres, mais quoiqu’il en soit, les œuvres d’art hautes en couleur et en expressivité réunies dans l’exposition new yorkaise du Met sont fascinantes, aussi bien pour leur esthétisme que pour leur force politique : il était temps que l’on reparle d’un épisode trop longtemps négligé dans l’histoire de l’art, à savoir la Renaissance de Harlem, le premier mouvement d’art moderne initié par les artistes africains-américains qui propulsa ce quartier de New York au rang de capitale mondiale de la culture noire.

Figurez-vous qu’en 1969, le Met avait présenté un événement intitulé « Harlem on my Mind – Cultural Capital of Black America, 1900-1968 ». Une exposition qui était censée répondre alors au mouvement des droits civique, enflammé par l’assassinat de Martin Luther King le 4 avril 1968. Eh bien aucune œuvre d’art de la scène artistique afro-américaine n’y avait été exposée ! Peintures, dessins, sculptures… il y aurait pourtant eu l’embarras du choix ! Les œuvres d’art à vendre ne manquaient pas ! Mais non, l’accrochage s’était contenté d’amasser coupures de journaux, enregistrements de bruits de rue et photographies de James Van Der Zee ou de Gordon Parks, prises à Harlem. Je vous laisse imaginer le tollé… « Harlem on Whose Mind ? » (Harlem dans la tête de qui ?) pouvait-on lire sur les pancartes des manifestations.

Que justice soit donc enfin faite. Et bien faite !

Quand je me retrouve face à Woman in Blue de William Henry Johnson, ou Blues, d’Archibald J. Motley Jr… je ne comprends même pas pourquoi je n’avais encore jamais vu ces toiles, qui sont d’une puissance et d’une lumière incroyable ! Je pense aussitôt à l’un de mes peintres préférés, Kees van Dongen, qui me subjugue tant avec ses portraits de femmes à chapeaux. Et là, stupeur, je découvre que le peintre néerlandais naturalisé français en 1929 est là, présent sur les cimaises de cette fabuleuse exposition, comme Henri Matisse ou Edvard Munch, parce que tous étaient en dialogue avec les artistes, écrivains et musiciens de la Renaissance de Harlem. Kees Van Dongen a peint « Plumes blanches » en 1911, en faisant poser un modèle noir selon les codes du portrait mondain, à Paris, dans les années 1910-1920 : le truc évidemment rarissime à l’époque ! Il se présentait d’ailleurs volontiers lui-même comme un « Nègre blanc », soulignant ainsi le caractère primitif de son travail qui visait l’expressivité de la couleur.

Difficile à exprimer de nos jours, évidemment. Mais dans les années 1920, il faut savoir que l’on nommait aussi « Nouveau Nègre », ou « New Negro », le citoyen noir urbain, cultivé et affranchi, à l’opposé du « vieux Nègre »… Et le « Nouveau Nègre », comme l’écrivait l’un d’eux, Alain Locke, l’un des premiers Africains-Américains doctorant en philosophie à Harvard, « semble soudain s’être soustrait à la tyrannie de l’intimidation sociale et se débarrasser de la psychologie de l’imitation et de l’infériorité implicite », en remontant vers le Nord pour fuir la ségrégation. Evidemment, aujourd’hui on hallucine… Et on n’ose à peine écrire que ça y est, enfin, les œuvres d’art des « New Negros » sont accrochées aux cimaises du Met ! Donc : vive la Renaissance de Harlem.

Comme le précise Natacha Wolinski dans son article pour le numéro du mois d’avril de Beaux Arts Magazine, « il a fallu plus de deux ans à Denise Murrell, conservatrice de l’art des XIXe et XXe siècles au Met, pour réunir ces œuvres qui racontent une histoire peu identifiée en France, celle de la « Renaissance de Harlem », mouvement qui a marqué, il y a tout juste un siècle, un tournant dans l’histoire culturelle des Etats-Unis. » Pour la première fois, une communauté affirmait son histoire et son esthétique. « Quand j’étais étudiante, mes cours sur l’art du XXe siècle n’incluaient pas la Renaissance de Harlem », expliquait Denise Murell lors de la conférence de presse de l’exposition américaine. « Entre les années 1920 et 1940, de façon inédite, des artistes noirs ont dépeint tous les aspects d’une nouvelle vie urbaine moderne. Certains d’entre eux, comme Aaron Douglas, Palmer Hayden, Archibald John Motley Jr ou Meta Vaux Warrick Fuller ont passé du temps en Europe et établi des liens transatlantiques, contribuant au développement de l’art moderne international. Ils se sont engagés dans une esthétique avant-gardiste non pas en tant qu’observateurs mais en tant que protagonistes. Se libérant des stéréotypes raciaux, ces artistes noirs ont pu raconter leurs propres histoires et livrer leur propre définition et perception d’eux-mêmes. »

Bref, « The Harlem Renaissance and Transatlantic Modernism » n’est pas qu’une simple exposition. C’est un événement révolutionnaire. Grâce à quelque 160 œuvres d’art, elle explore toutes les façons dont les artistes noirs ont dépeint la vie moderne quotidienne dans les nouvelles villes noires qui ont pris forme dans les années 1920-40 à Harlem et Chicago South Side de New York, ainsi que dans l’ensemble des Etats-Unis d’ailleurs, durant les premières décennies de la Grande Migration, lorsque des millions d’Afro-Américains ont commencé à s’éloigner du Sud rural ségrégué. Première étude approfondie sur le sujet à New York depuis 1987, l’exposition établit la Harlem Renaissance comme le premier mouvement d’art moderne international dirigé par les Afro-Américains. Elle place ainsi les artistes noirs et leurs représentations radicalement nouvelles du sujet noir moderne au centre, non seulement de notre compréhension de l’art moderne international, mais aussi de celle de notre vie moderne.

Alors régalons-nous de découvrir ou redécouvrir les icônes de ces années d’effervescence artistique, comme Laura Wheeler Waring et son fameux portrait de la contralto Marian Anderson (1944), « qui avait chanté sur les marches du Lincoln Memorial après l’annulation de sa prestation dans une salle de concert rejetant les artistes de couleur », nous rappelle Natacha Wolinski. Ou Samuel Joseph Brown Jr. avec son double autoportrait au miroir « qui réfléchit une nouvelle subjectivité noire, pensive et conscientisée » (1941). Mais aussi Charles Henry Alston et son émouvante Girl in a Red Dress (1934) faisant écho aux statuettes reliquaires Fang et rappelant le croisement nécessaire des arts, Aaron Douglas et sa fresque murale From Slavery Through Reconstruction (1934), « qui déroule une vision syncopée de l’histoire de l’émancipation noire (et qui a été) exceptionnellement détachée du Centre Schomburg afin d’être nettoyée et intégrée au parcours ».

Sans compter que si vous pouvez aller à New York d’ici le 28 juillet, vous profiterez d’une très riche programmation culturelle organisée autour de cette exposition, depuis des concerts de jazz à un symposium en passant par des ateliers, podcasts et visites à pieds de Harlem : eh oui, le Met a beaucoup à se faire pardonner…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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