Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
Il est libre Jean Hélion
il-est-libre-jean-helion - ARTACTIF
Juin 2024 | Temps de lecture : 38 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition rétrospective « Jean Hélion – La prose du monde », à voir au musée d’Art moderne de Paris jusqu’au 18 août.

En découvrant un jour à Nancy la discrète galerie d’art Hervé Bize, sise en deuxième corps de bâtiment non loin de la fameuse place Stanislas, j’ai été marquée par la passion avec laquelle le galeriste me parlait de Jean Hélion (1904-1987). Dont je suis d’ailleurs aussitôt allée voir de plus près les œuvres d’art accrochées aux cimaises du musée des beaux-arts voisin, auxquelles je  me reprochais soudain de ne pas avoir prêté suffisamment attention à ma dernière visite. En effet, Hervé Bize s’intéresse à l’œuvre de Jean Hélion depuis presque quarante ans. Peu avant d’ouvrir sa galerie d’art nancéienne, il fut en 1987 l’auteur d’un des derniers textes parus du vivant d’Hélion. Et en reprenant ce travail d’écriture, avec le concours de la famille de l’artiste, il a réalisé la monographie « Jean Hélion, Inventer le monde tel qu’il est réellement », paru en 2005 aux Editions Cercle d’Art (collection Découvrons l’art). C’est cette année-là que la galerie Hervé Bize avait rassemblé un exceptionnel ensemble d’œuvres sur papier inédites, principalement centrées sur la dernière période de l’artiste (1974-1983), au cours de laquelle Hélion poursuit et revisite, dans une facture étonnante, un peu à l’instar de celle des derniers Picasso, tous ses grands thèmes.

Je me souviens maintenant que cette exposition se tenait simultanément à la rétrospective marquant le centenaire de la naissance de l’artiste organisée par le Musée National d’Art Moderne/Centre Pompidou à Paris. Et je mesure à quel point le temps a passé, mais combien l’intensité de la passion exprimée par le galeriste s’est gravée dans ma mémoire. Je m’étais ensuite instinctivement attachée à Jean Hélion, ressentant à quel point le marché de l’art l’avait injustement traité au prétexte qu’il était inclassable. Au prétexte qu’il avait finalement toujours été en chemin, qu’il ne s’était jamais installé dans le confort stérile d’une peinture immuable. Et surtout qu’il avait été de l’abstraction à la figuration, donc à l’inverse de tous les autres ! J’ai toujours été heureuse de retrouver sa peinture ensuite au fil de mes pérégrinations, comme à Vézelay un été, au musée Zervos niché dans l’ancienne maison de Romain Rolland, où les toiles qu’il avait peintes alors qu’il perdait la vue m’avaient bouleversée.

Même si ses œuvres d’art à vendre ont longtemps remporté un succès mitigé, du fait de leur éclectisme faisant peut-être douter certains de la sincérité de l’artiste, alors qu’il n’y a à mon sens pas d’artiste plus sincère qu’un artiste qui cherche… les œuvres de Jean Hélion sont conservées dans de nombreux musées, tant en France qu’à l’étranger : au musée des beaux-arts de Nancy, on l’a vu, mais aussi au Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou (Paris), au Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne, au Musée des Beaux-Arts de Nantes, au Musée des Beaux-Arts de Grenoble, au Musée Cantini à Marseille, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, au Kunsthalle de Hamburg, au Städtische Galerie im Lenbachhaus à Munich, à la Tate Gallery de Londres, à la Peggy Guggenheim Collection de Venise, à l’IVAM de Valencia, au Musée National d’Art et d’Histoire de Luxembourg, au Guggenheim Museum de New York, au Metropolitan Museum of Art de New York, au Museum of Modern Art de New York, au Museum of Art de Philadelphie, à l’Art Institute de Chicago…

C’est qu’avec Hélion subsiste finalement un étonnant paradoxe : celui d’un peintre dont bon nombre de spécialistes s’accordent à reconnaître un rôle éminent dans l’art du XXe siècle (il appartient comme Giacometti à la génération qui suit Picasso, Matisse et Léger) mais qui demeure encore méconnu du grand public malgré son importance et sa singularité. Comme si, oui, décidément, on lui aura toujours reproché ses ruptures de style, particulièrement celle qui l’avait poussé dès 1935 à humaniser ses abstractions — il fut jusque là avec Mondrian l’une des figures dominantes de l’art abstrait — et à abandonner progressivement, sans pour autant la renier, la non-figuration alors que celle-ci envahissait, dès la fin des années 1940, la scène artistique. Hélion s’est ensuite attaché à réinventer une peinture de l’immédiat, du quotidien, dont on pourrait trouver l’équivalent dans les écrits de Raymond Queneau et Francis Ponge, deux de ses amis qui comptèrent parmi ses défenseurs. Alberto Giacometti confiera d’ailleurs un jour à Francis Ponge : « Fasciné par les productions de ce peintre, je ne peux qu’à grand peine en détacher mon regard. »

Il est donc grand temps qu’une rétrospective soit consacrée à « Jean Hélion l’incompris », comme Emmanuelle Lequeux titre son article pour Beaux Arts Magazine. « Il fut l’apôtre de l’art abstrait, mais devint peintre figuratif, à rebours du courant dominant et des batailles idéologiques. Toute sa vie, Jean Hélion (1904-1987) ne suivit qu’une ligne, la sienne, en éternel explorateur du réel. » Finalement il était précurseur ! Car qui incriminerait aujourd’hui un peintre ne suivant que son intuition artistique et déclarant que « c’est comprendre qui importe. Dessiner pour comprendre, c’est autre chose que dessiner pour montrer. »

Suivant un parcours chronologique, l’exposition « Jean Hélion, La prose du monde », à voir au Musée d’Art Moderne de Paris jusqu’au 18 août, rassemble plus de 150 œuvres d’art (103 peintures, 50 dessins, des carnets ainsi qu’une abondante documentation), rarement présentées au public, provenant de grandes institutions françaises et internationales ainsi que de nombreuses collections privées.

« Comment expliquer une telle liberté ? » s’interroge la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Dès le plus jeune âge, Hélion n’a jamais hésité à changer de peau. Né Jean Bichier en 1904, élevé entre la Normandie et Amiens, il commence ses études de chimie juste après la Première Guerre mondiale, avant de se lancer dans l’architecture, apprenti dessinateur. Au Louvre, il éduque son regard, s’arrêtant sur Rubens, Frans Hals et Rembrandt, analysant les compositions charpentées de Poussin et Philippe de Champaigne. Dans les galeries il découvre Cézanne, Matisse et Derain. Le voilà peintre du dimanche : il dévoile ses dessins à la foire aux croûtes de Montmartre. Il aurait pu garder cette pâte épaisse, expressionniste. »

Mais après cette brève expérience montmartroise, il se lie à Théo van Doesburg et Piet Mondrian, s’oriente vers l’abstraction géométrique et participe au groupe Art Concret ainsi qu’à la création du collectif Abstraction-Création qui rassemblera les meilleurs représentants de l’art abstrait entre les deux guerres. Ami de Calder, Arp et de Giacometti, il est également proche de Max Ernst, de Marcel Duchamp avec qui il se liera d’amitié en allant s’installer aux Etats-Unis à partir de 1934, ou de Victor Brauner.

En 1929, il commence la rédaction des Carnets, réflexion sur la peinture qu’il poursuivra jusqu’en 1984. Jean Hélion est également proche des écrivains de son temps : Francis Ponge, Raymond Queneau, René Char, André du Bouchet... et n’a de cesse de les associer à son parcours artistique. Il devient alors l'un des acteurs les plus importants de l'abstraction et une figure éminente de la vie artistique américaine, conseiller auprès de grands collectionneurs. Pourtant dès le milieu des années 1930, ses formes s’animent, préfigurant un retour à la figure humaine. Fidèle à son intuition, Jean Hélion se détourne alors de l’abstraction en 1939 au moment où celle-ci commence à s’imposer sur la scène internationale, pour s’intéresser davantage à la figure humaine et « au réel ». Parce qu’il ressent trop l’inhumanité qui déverse sa rage sur le monde.

Quand éclate le second conflit mondial, Hélion sait qu’il ne pourra plus jamais peindre comme avant. Il s’engage aux côtés de l’armée française, avant d’être fait prisonnier en 1940, et le récit de son évasion They Shall Not Have Me, publié en 1943 et récemment traduit en français deviendra un best-seller.

De retour à Paris en 1946, même s’il s’est entre temps marié à Pegeen Vail, et qu’il est donc devenu ni plus ni moins le gendre de l’illustre collectionneuse d’art Peggy Guggenheim, il peine à trouver sa place sur la scène parisienne. Personne ne se bouscule pour acheter des œuvres d’art qui n’exploitent pas la cote qu’elles avaient sur le marché de l’art lorsque leur auteur était un héros de l’abstraction ! Lui il s’en fiche. Il continue à peindre. Il écrit sa « prose du monde ». À la fin de sa vie, perdant progressivement la vue, son œuvre entremêle volontairement les motifs qui l’ont hanté depuis toujours. Sa peinture oscille entre dérision et gravité (Le Peintre piétiné par son modèle, 1983), rêve et éblouissement heureux.

Belle revanche aujourd’hui pour ce chercheur de vérité qui a toujours refusé l’enfermement du dogme et choisi contre vents et marées de se remettre perpétuellement en question.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : L'homme à la joue rouge, 1943
Huile sur toile
Collection particulière
© ADAGP, Paris, 2024

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art