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Hervé Di Rosa, le passeur de mondes
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Juillet 2024 | Temps de lecture : 32 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Hervé Di Rosa – Le passe-mondes » visible jusqu’au 26 août au Centre Pompidou à Paris.

Peut-être connaissez-vous déjà l’histoire de la petite fille qui se trompe de mot en confiant à sa mère, alors qu’elles viennent de visiter une exposition d’Hervé Di Rosa, qu’elle aimerait beaucoup revenir voir « ces œuvres d’art modeste », voulant dire « moderne ». Et qui, bien malgré elle, souffle ainsi à l’artiste sétois l’idée géniale de qualifier ainsi son art, et de fonder le Miam dans sa ville natale, en 2000 : le Musée international des arts modestes. Comme je ne m’en lasse pas, je viens de vous la raconter quand même, après m’être régalée de l’article signé Judicaël Lavrador dans le numéro de Beaux Arts Magazine de mai, consacré à la rétrospective « Hervé Di Rosa – Le passe-mondes ». Une exposition à voir absolument jusqu’au 26 août au Centre Pompidou à Paris. Une exposition qui donne d’ailleurs terriblement envie de foncer à Sète pour visiter, si ce n’est déjà fait, ce fameux Miam que Di Rosa a créé avec l’artiste et collectionneur de Montpellier Bernard Belluc, et qui s’est fait une spécialité des pratiques peu ou pas explorées, populaires ou marginales. Quand je pense que j’ai un jour posé ma roulotte à Sète sans aller y voir… ça m’énerve tellement ! Bref, juré craché, je ne louperai pas le Miam à mon prochain séjour dans le Sud.

Alors évidemment, aujourd’hui on peut se dire que semer des personnages facétieux dans des toiles éclaboussées de couleurs vives, montrer Goldorak ou Pacman et s’inspirer de la BD n’est pas spécialement marginal. Mais Hervé Di Rosa a 64 ans. Et c’est la première fois que le Centre Pompidou lui déroule ses cimaises. C’est dire si dans les années 1980 il l’était ! Et s’il fallait être visionnaire pour acheter des œuvres d’art « à l’insolente exubérance, bercées de l’esthétique furibarde des revues de bandes dessinées dont il se gave (l’Echo des savanes, Fluide glacial ou Métal hurlant) autant que des échos stridents (bien que déjà assourdis à l’époque) de la musique punk et du rock underground ». Etait-ce vraiment des œuvres d’art d’ailleurs ? Tout le monde se posait la question sur le marché de l’art contemporain tant le pas de côté pouvait choquer.

Comme le rappelle Judicaël Lavrador, « il n’est pas le seul dans ce coup-là ». Richard Di Rosa, son frère, mais aussi Rémi Blanchard, François Boisrond, Louis Jammes, Robert Combas, le collectif parisien des Frères Ripoulin, Pierre Huyghe (sous le pseudo PiroKao), Nina Childress… tous ont à l’époque choisi ce pas de côté. L’écart de standing. Le terreau iconographique de la science-fiction et des superhéros de dessins animés. « Sans ignorer, comme le précise la journaliste de Beaux Arts Magazine, que c’est prendre le risque d’être mal accueilli par les culs-serrés du bel art ». Cette bande-là crée tellement librement, aussi loin des ors de la peinture académique que des veines dissidentes creusées par les avant-gardes du XXe siècle, que Ben la baptise dès 1981 de « Figuration libre ». Libre de remettre en question jusqu’à l’essence même de l’art. Libre de diviser pour s’exprimer artistiquement sans s’incliner devant les lois du marché. Ou au contraire de s’en jouer avec une humilité feinte pour mieux en détourner les profits ? Le débat reste entier. Quoiqu’il en soit, le terme fonde dès lors un courant artistique, reposant sur l’idée de la spontanéité de la création, et sur une conception selon laquelle la pratique artistique peut être accessible à tout le monde.

Modestie est devenu le maître mot de l’art pratiqué par Hervé Di Rosa. Qui feignait même de s’inquiéter en 1982 : « Et si un jour ils s’apercevaient de la supercherie, qu’adviendrait-il de moi ? Je frémis d’horreur à cette idée. Oui, que faire si un jour, ils apprennent que ce n’est pas de la peinture mais de la bande dessinée ? »

En fondant le Miam, l’artiste a dû circonscrire un peu ce qu’il entendait par arts modestes. Ca sera « l’art des châteaux de sable, celui des cartes à jouer, des modèles réduits, des miniatures, des customs, des tags, des dioramas, des fanzines… » J’ai effectivement comme l’impression que nous pourrions tous nous targuer d’être des artistes modestes, finalement. Surtout si on a le réflexe inné de poétiser la vie. En tout cas, cette sorte d’inventaire à la Prévert témoigne au moins d’une chose : la curiosité d’Hervé Di Rosa est insatiable. Inépuisable. C’est ce qui me le rend si sympathique d’ailleurs, en plus de sa convivialité mâtinée de l’accent du Sud. Cet été, le Miam met la peinture commerciale à l’honneur. Celle qui est produite pour « être montrée et vendue dans les supermarchés, les espaces touristiques et dans les médias », explique Jean-Baptiste Carobolante, commissaire de l’exposition BEAUBADUGLY, à voir du 27 juin au 10 mars 2025. Place donc à l’art marchand et à sa mauvaise réputation, aux Big Eyes de Margaret Keane ou aux Petits Poulbots de Michel Thomas. Et pourquoi pas ?

Ce qui me rend sympathique aussi Hervé Di Rosa, ce qui me donne envie de m’intéresser à sa démarche artistique, de m’y attacher et de croire en sa sincérité, même si je n’aime pas Goldorak et ne lis pas de bande dessinée, c’est aussi le fait qu’il se remette en question. Qu’il ait refusé le ronron dans lequel il aurait pu s’installer dès que ses œuvres d’art à vendre ont suffisamment fait parler d’elles pour lui assurer le succès commercial. Les galeries d’art ne l’ont en effet pas boudé. « Dès la fin des années 1980, le style dévergondé de sa peinture, surpeuplée de créatures trépidantes, enrichie jusqu’à l’obésité d’une palette faisant feu de tout bois, lui paraît menacée par la facilité », constate Judicaël Lavrador. « Il sait faire, trop bien faire. Dès lors, frappé par la découverte de l’exposition séminale de Jean-Hubert Martin, Magiciens de la terre (au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette), qui révèle des artistes non-occidentaux, des formes, des savoir-faire, des manières de pensée qui viennent d’ailleurs et décentrent l’art, Di Rosa met les voiles, sans abandonner les formes de sa « Diromythologie ». Il les emmène avec lui « Autour du monde », titre de ce projet au long cours qu’il initie au début des années 1990 et dont l’exposition du Centre Pompidou, « Le passe-mondes », retrace les étapes. Il s’agit de faire voyager son art. »

Car Hervé Di Rosa ne voyage pas pour aller quelque part. Il réalise sur place des œuvres utilisant les cultures et les modes d’expression locaux  qui l’ont mené en Tunisie, en Bulgarie, au Ghana, au Bénin, en Ethiopie, au Vietnam, en Afrique du Sud, en Corse, à Cuba, au Mexique, aux Etats-Unis, au Cameroun, en Israël… Ainsi peint-il des icônes à Sofia, des enseignes à Kumasi, des arbres de vie à Mexico ou des azulejos à Lisbonne, où il passe désormais l’essentiel de son temps.

Sans revendiquer un style particulier, sans rien revendiquer du tout d’ailleurs, Hervé Di Rosa développe un univers narratif bien à lui et en constante évolution, peuplé de personnages récurrents, en pratiquant au final toutes les techniques de création : peinture, sculpture, bande dessinée, tapisserie, estampe, fresque, laque, argent repoussé, céramique, dessin animé, images numériques… Curiosité quand tu nous tiens ! Au vu des toiles les plus récentes qui ponctuent l’exposition de Pompidou, on pourrait même se dire que l’immatérialité pointe son nez… Hervé Di Rosa a décidément tout l’avenir devant lui.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Hervé Di Rosa, "Deux épreuves", 1984. Collection particulière © Adagp, Paris, 2023. Photo : Vincent Di Rosa

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