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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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L’art de s’intéresser au sport
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Juillet 2024 | Temps de lecture : 31 Min | 0 Commentaire(s)

A propos du rapport entre l’art et le sport auquel Beaux Arts Magazine consacre en mai 2024 un dossier de 14 pages richement documenté.

En voyant dans Beaux Arts Magazine la reproduction pleine page de Deux coureurs l’un derrière l’autre, une sculpture de Paul Richer datée de la fin du XIXe siècle, j’ai aussitôt pensé au plâtre monumental qui trône au milieu de l’exposition consacrée à Alfred Boucher, que j’ai eu la chance d’aller visiter au musée Camille Claudel, à Nogent-sur-Seine : Au But, un groupe de trois coureurs défiant l’apesanteur d’une façon tout aussi moderne et stupéfiante. Un financement participatif a d’ailleurs été lancé par le musée nogentais si cela vous intéresse d’acheter une œuvre d’art pour partie, afin de pouvoir faire fondre à nouveau cette impressionnante œuvre d’art, dont l’original, qui ornait en son temps le jardin du Luxembourg, à Paris, a été détruite par les nazis pour fabriquer des armes. Bref. C’est fou comme l’essor de l’olympisme moderne, et en même temps celui du sport comme nous le pratiquons aujourd’hui,  a inspiré ces artistes du XIXe siècle formés à l’art antique et à l’anatomie.

Bien sûr que le sport et l’art valsent ensemble depuis longtemps ! Alors en cette année de Jeux Olympiques à Paris, forcément, le sujet n’épargne pas le marché de l’art et le monde de l’art contemporain. Moi-même qui ne m’intéresse pas du tout au sport, je suis bien consciente que je ne vais pas y couper… En bonne journaliste culturelle, Sophie Flouquet, journaliste de Beaux Arts Magazine, s’est tout de même posé la question : « Art et sport font-ils vraiment bon ménage ? Et que vont apporter les Olympiades à la culture ? » Pas moins de quatorze pages sont ainsi consacrées au thème annoncé en couverture du magazine : « Art & Sport ». Car « tout le monde l’a remarqué, la grand-messe estivale du sport olympique et paralympique à Paris, qui s’ouvrira en juillet, occupe déjà le devant de la scène, y compris culturelle. »

Le critique d’art et commissaire du décapant et iconoclaste triptyque d’expositions proposé à Marseille sur le thème de l’art et du sport, Jean-Marc Huitorel, est formel : « Bien que tous deux soient susceptibles de produire de la beauté, le sport n’est pas de l’art et l’art n’est pas du sport. » Leurs relations ténues sont d’ailleurs relativement récentes, comme le rappelle judicieusement Sophie Flouquet. « Si l’imaginaire de l’athlète antique a rapidement ressurgi dès la fin du XIXe siècle, dans le contexte de la résurrection des Jeux olympiques portée par le très réactionnaire et misogyne baron Pierre de Coubertin (ça au moins c’est dit), la pratique de l’activité physique dans l’Antiquité n’a jamais rien eu à voir avec celle du sport moderne. Les Grecs valorisaient certes l’exploit physique, mais celui-ci s’inscrivait toujours dans le cadre d’activités guerrières ou de célébrations de cultes religieux ou funéraires. Les Jeux olympiques eux-mêmes avaient une vocation religieuse – ce fut aussi le cas pour la pratique du jeu de balle en Mésoamérique. Il n’y fut tout simplement jamais question de jouer ou de se divertir. » Diantre !

On apprend dans l’exposition « En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) du musée Marmottan Monet, à Paris, que c’est en réalité l’Angleterre qui a teinté le sport moderne à l’aube de l’ère industrielle, et qui l’a diffusé à l’international comme un mouvement finalement très hygiéniste, affirmant le bénéfice du sport sur la santé. Un nouveau rapport au corps s’est alors imposé, la pudeur se trouvant contrainte de baisser d’un ton, donnant par la même occasion un petit coup de pouce à l’émancipation des femmes. Le sport n’est alors peut-être plus religieux ou guerrier, mais il n’en demeure pas moins politique, encouragé par exemple par les élites pour « défouler » le peuple. Pour sculpter les silhouettes, aussi. Repris plus tard par la propagande nazie pour promouvoir le culte de « l’homme parfait »…

De quoi nourrir le goût des artistes pour l’observation, qui ne perdront pas une miette de tous les aspects du sport au fil du temps. Surtout que depuis la fin du XIXe siècle, ils se sont émancipés du cadre de l’atelier avec leurs tubes de couleur et leurs chevalets portatifs, et peuvent désormais se repaître de ces pleins et déliés évoluant en plein air pour renouveler leurs œuvres d’art à vendre : ils ne s’en privent donc pas !

Pendant que Degas fréquente assidument la société des courses hippiques dans les années 1860, Toulouse-Lautrec fréquente le vélodrome Buffalo, tenu par l’écrivain Tristan Bernard passionné de cyclisme, et les régates organisées sur les bords de Seine font le bonheur des Monet, Caillebotte, Sisley ou Renoir. Le poète Arthur Cravan se donne même en spectacle dans les salles de boxe, dont Van Dongen s’emploie à capturer l’atmosphère fiévreuse du bout de son pinceau. Quant à George Bellows, il ne cache pas ne rien connaître aux règles de la boxe mais « vouloir dépeindre des hommes essayant de s’entretuer »…  Brrr… ça fait froid dans le dos. Le dialogue provoqué dans le magazine Beaux Arts entre son tableau intitulé Stag at Sharkey’s, daté de 1909, et la sculpture de Louka Anargyros, datée de 2020 et prenant le contrepied de l’image viriliste archétypale liée à certains sports, montrant ici un gros câlin entre deux coureurs automobiles, raconte bien la lassitude de la violence enfin venue avec le temps...

Oui, comme le note Sophie Flouquet, « la porosité est réelle entre le monde du sport et celui de l’art ». Coubertin invitera lui-même en son temps peintres et sculpteurs à s’intéresser aux mêlées, à ces enchevêtrements de bras et de jambes, à ces poitrines qui se heurtent et à ces mains qui se crispent. A témoigner de la beauté de l’effort dans des œuvres d’art à vendre qui feront les choux gras des galeries d’art en particulier, et du marché de l’art contemporain en général. Car je vous rappelle que tout art a un jour été contemporain. Les images cinétiques nées de l’invention de la chronophotographie en 1882 pour représenter le mouvement inspireront beaucoup les artistes peintres et sculpteurs, et dès le début du XXe siècle, la reproduction d’une image à partir de plusieurs points de vue de manière simultanée donnera naissance au cubisme, avec Albert Gleizes, Jean Metzinger, André Lhote et Lyonel Feininger, tandis que les futuristes italiens exaltent dès 1909 la beauté de la vitesse et de « l’homme machine ». Robert Delaunay jettera ses formes et couleurs dans la mêlée, Nicolas de Staël emportera le Parc des Princes au bord de l’abstraction…

Quand on voit Philippe Parreno et Douglas Gordon ériger le footballeur Zinedine Zidane en artiste à part entière avec leur installation filmique en 17 panneaux géants, ou Michael Browne représenter Eric Cantona dans une résurrection à la Piero della Francesca, on mesure à quel point l’univers sportif est un véritable matériau artistique. Mais effectivement, de la même façon que la peinture dans son tube n’est pas de l’art, le sport sans la sublimation artistique n’est pas de l’art… D’ailleurs en ce qui me concerne, le seul ballon de foot qui m’intéresse est bien en cuir, signé de Fabrice Hyber… mais il est carré.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Au But - BOUCHER Alfred (1850-1934)
1886 - Bronze (fonte) - H. 45,8 cm • L. 69 cm • Pr. 35 cm
Origine : Achat avec la participation du FRAM Champagne-Ardenne N° d'inventaire : 1994.2
Copyright : musée Camille Claudel / Marco Illuminati

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