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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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A la Biennale de Venise, les commissaires d’exposition sont aussi des stratèges politiques
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Juillet 2024 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de la 60e édition de la Biennale de Venise qui se tient du 20 avril au 24 novembre.

Les Jeux olympiques de Paris vont-ils éclipser la Biennale de Venise dans les magazines d’art et les potins du monde de l’art contemporain ? En tout cas, si Connaissance d’art nous présente les artistes « en compétition » à Venise dans son numéro du mois de mai, je constate qu’il a choisi de consacrer sa couverture aux 50 expositions sélectionnées pour les JO. Qu’à cela ne tienne, moi je vais tout de même vous parler de cette 60e édition de la Biennale de Venise qui a ouvert ses portes le 20 avril, et qui s’annonce « des plus excitantes » si l’on en croit la journaliste Elisabeth Couturier. « Des plus déroutantes », aussi. Car son directeur artistique, le Brésilien Adriano Pedrosa, 59 ans, premier commissaire issu de l’hémisphère sud et au CV long comme le bras, « s’emploie avec méthode à décentrer notre regard et à déconstruire nos repères ». Super ! Déconstruisons donc ! De toute façon, il s’agit là de l’événement le plus prestigieux de la planète Art, ne nous leurrons pas. Donc celui qui donne le pouls de la création, que ce soit en mettant par exemple en 2022 les femmes artistes à l’honneur, leur offrant la vitrine indispensable pour pouvoir vendre des œuvres d’art dans le monde entier, ou en faisant de la place à d’autres invisibilisés aujourd’hui.

« Cette année le vent des luttes inclusives et des convergences émancipatrices y souffle très fort », nous prévient Elisabeth Couturier. « Jusqu’à la violente polémique concernant le maintien ou non du Pavillon israélien », qui restera donc fermé jusqu’à la libération des otages et la signature d’un cessez-le-feu… D’ailleurs cette édition a été baptisée Foreigners everywhere par Adriano Pedrosa, allusion directe à l’œuvre du collectif Claire Fontaine inspirée d’un mouvement antiraciste turinois des années 2000. Le terme « étranger » étant à prendre à tous les sens du terme pour alimenter la pensée. Sauf qu’on est loin d’une manif’ puisque tout ça se passe dans un cadre idyllique, sur fond de vaporettos et d’amateurs d’art plus ou moins distingués se perdant dans les ruelles vénitiennes à la recherche des expositions du circuit annexe, voire des propositions off bien cachées que l’on se recommande de bouche à oreilles…

La sélection d’artistes, ou plutôt de sept pavillons nationaux sur les quatre vingt dix rassemblés cette année, effectuée par la journaliste de Connaissance des arts, nous permet déjà, avant même d’avoir à nous déplacer, de reparler de Julien Creuzet, qui avait fait le buzz en étant le premier artiste outremarin à être sélectionné pour le pavillon français. « Il n’est pas nécessaire de connaître la Martinique pour être emporté par le travail de Julien Creuzet », précise Elisabeth Couturier en préambule. Ouf, ça tombe bien, mais moi je croyais que l’essence même de l’art était d’être universel, non ? Bref. Son installation immersive conduit les visiteurs de la Biennale de Venise « dans les profondeurs de la forêt de son enfance, restituant ses bruits, ses odeurs, ses couleurs, un environnement multisensoriel qui engage le corps et l’âme du visiteur. »

Sur le pavillon luxembourgeois transformé en studio, on se retrouve en pleine création de la bande-son de la 60e édition de la Biennale, grâce au projet A Comparative Dialogue Act conçu par l’artiste et musicien Andrea Mancini et le collectif bruxellois Every Island, créateur d’architectures et d’installations éphémères. Sur le pavillon canadien, l’artiste Kapwani Kiwanga, liée à la Tanzanie par ses origines familiales et lauréate en 2020 du Prix Marcel Duchamp, mixte matériaux et médiums inattendus après s’être plongée dans les archives historiques, afin de questionner les manifestations du pouvoir à travers des évènements oubliés qui résonnent, et raisonnent, avec la réalité contemporaine.

Le pavillon suisse ayant été confié à Guerreiro do Divino Amor, l’artiste né à Genève en 1983, vivant et travaillant au Brésil, y a installé Super Superior Civilizations, un nouveau chapitre de sa grande saga baroque et grinçante « qui revisite les mythes politiques nationaux, leur charge symbolique et leur hiérarchisation ».

Le pavillon américain s’est carrément offert un événement politique historique : le peintre et sculpteur américain d’origine cherokee Jeffrey Gibson, 51 ans, né dans le Colorado, est en effet le premier artiste autochtone à y exposer en solo. Et c’est le plus sérieusement du monde que la commissaire Kathleen Ash Milby, conservatrice au Portland Art Museum, a déclaré que « son approche inclusive et collaborative est un commentaire puissant sur l’influence et la persistance des cultures autochtones aux USA et dans le monde »… No comment.

Je me demande ce qu’on ressent lorsqu’on est artiste et que l’on sait aussi clairement  que l’on est choisi pour des raisons de pure stratégie politique, comme Jeffrey Gibson ou Julien Creuzet. Lequel m’avait d’ailleurs bien fait rire à ce sujet dans son interview à l’annonce de sa « victoire », la commissaire se jetant littéralement au micro pour justifier de la qualité artistique de son travail. Oui, j’imagine qu’il y a intérêt à être confiant en sa qualité artistique intrinsèque, et à bien s’entourer, si on ne veut pas envoyer bouler tout le monde. Parce que quand même, l’opportunité d’exposer dans la plus grande galerie d’art du monde ne se refuse pas quand on veut vendre ses œuvres d’art sur le marché de l’art contemporain… En tout cas, avec The space in which to place me, Gibson présente une belle série de travaux invitant à réfléchir sur les relations entre l’identité individuelle et l’appartenance collective.

Le pavillon britannique a quant à lui choisi John Akomfrah, écrivain et cinéaste ghanéen-britannique s’étant très tôt intéressé aux luttes post-coloniales à travers des installations filmiques explorant les liens entre identité, immigration et géopolitique, tandis que le pavillon béninois a eu l’embarras du choix. Le Bénin ne manque effectivement pas d’artistes déjà reconnus internationalement ! Pourtant, il s’agit ici de son premier pavillon national à Venise… On y croisera donc les œuvres d’art de quatre créateurs : la plasticienne multimédia Chloé Quenum, le peintre Moufouli Bello, le photographe Ishol Akpo et Romuald Hazoumé, grande figure de la scène africaine de l’art contemporain. Celui là même qui rend hommage à la femme béninoise dans son rôle d’amazone culturelle, politique et sociale…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : La 60e Exposition internationale de la Biennale de Venise, intitulée « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere », sera ouverte au public du samedi 20 avril au dimanche 24 novembre 2024, au Giardini et à l'Arsenale. Courtesy : La Biennale di Venezia. Photo : Andrea Avezzù

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