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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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L’expérience d’étrangement
lexperience-detrangement - ARTACTIF
Juillet 2024 | Temps de lecture : 28 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’interview du commissaire d’exposition de la 60e Biennale de Venise par le magazine Artpress.

Evidemment, les articles en lien avec les Jeux olympiques et paralympiques ou la Biennale de Venise se bousculent ces temps-ci au portillon de nos magazines d’art préférés ! Dans le numéro d’Artpress du mois de mai, Massimiliano Gioni, directeur artistique du New Museum (New York) et de la fondation Nicola Trussardi (Milan), s’entretient avec Adriano Pedrosa, directeur artistique du Museu de Arte de Sao Paulo, mais surtout cette année commissaire de la 60e édition de la Biennale de Venise. Lequel se présente comme « une sorte d’outsider de l’histoire de l’art » et un commissaire du « Sud global ». Le projet d’Adriano Pedrosa tend en effet à remettre les marges au centre. Et selon Artpress, il semble qu’il ait été entendu tant ces enjeux traversent les pavillons nationaux, à l’image du pavillon français confié à Julien Creuzet (voir par ailleurs mon article intitulé « A la Biennale de Venise les commissaires d’exposition sont aussi des stratèges politiques).

Mais revenons sur le titre de cette Biennale, « Foreigners Everywhere », emprunté à une série de néons du collectif Claire Fontaine qui ponctuent l’exposition internationale sans doute la plus importante du marché de l’art contemporain.

« En 2009, pour l’exposition Panorama da Arte Brasileira (Panorama de l’art brésilien) dont j’assurais le commissariat, j’avais utilisé le titre « Mamoyaguara opa mamo pupe », qui signifie « Etrangers partout » en tupi ancien (langue indigène éteinte du Brésil). L’exposition ne présentait que des artistes étrangers dont l’œuvre était reliée d’une manière ou d’une autre au Brésil, ou produite au Brésil – et ce, sous un titre incompréhensible pour les Brésiliens. Il y a une dizaine d’années, visitant la Biennale de Venise, je me rappelle m’être dit qu’il serait intéressant d’imaginer une biennale d’étrangers. Quand le président de la biennale, Roberto Cicutto, m’a appelé en octobre 2021, je suis reparti de ce titre et j’ai entrepris de le développer et de le complexifier », explique Adriano Pedrosa à Massimiliano Gioni. Lequel lui rappelle alors que ce titre est également emprunté à l’œuvre du duo italo-britannique Claire Fontaine…

« En effet. Entamée en 2004, cette série de sculptures au néon comprend aujourd’hui plus de 50 pièces, dont chacune est composée des mots « Etrangers partout » dans une langue différente », confirme le commissaire d’exposition. Un vaste choix de ces œuvres d’art est donc exposé au Gaggiandre, dans l’Arsenal, tandis que d’autres figurent à l’entrée des Corderie et du Pavillon central… et toutes les interprétations sont possibles. Que nous soyons toujours et partout entourés d’étrangers, en particulier à Venise, que nous soyons toujours et partout les étrangers de quelqu’un, que nous soyons étrangers à nous-mêmes… la symbolique est vaste. Et grandit encore si on l’élargit au concept plus global d’étrangeté. De bizarrerie. De queer. Ce titre est donc « politiquement chargé, mais aussi empreint d’une dimension poétique », affirme Adriano Pedrosa, se définissant lui-même comme « un homme queer qui, au cours de sa vie, a souvent été un étranger ». Et qui n’a pas hésité à exposer, dans l’un des thèmes décliné par l’exposition, l’œuvre des artistes « brutes » les plus importantes d’Europe, comme Anna Zemankova (déjà présente à la Biennale de 2013), Madge Hill ou Aloïse.

L’exposition est en effet construite autour de deux « Nuclei » principaux : le Nucleo storico, en hommage à la section historique de la Biennale de 1998 et composé de trois sections rassemblant 190 artistes du XXe siècle,  et le Nucleo contemporaneo, qui lui-même se décline en quatre thèmes. Comme le relève Massimiliano Gioni, beaucoup de travail de coordination a été nécessaire pour contruire le Nuceo storico. Notamment parce que beaucoup d’œuvres d’art sont ici prêtées par des musées extraeuropéens, alors que la Biennale de Venise expose traditionnellement presque uniquement des artistes contemporains vivants, représentés par des galeries d’art qui vendent leurs œuvres d’art sur le marché de l’art contemporain.

« L’idée centrale est que, au cours du XXe siècle, l’art moderne s’est déplacé dans différentes régions du monde où il s’est vu cannibalisé, réapproprié et réinventé, tout à fait dans l’esprit de l’antropofagia d’Oswald de Andrade (un essai publié en 1928 par le poète et polémiste brésilien) », explique Adriano Pedrosa. « Mais les artistes aussi se sont déplacés à travers l’art moderne. Dans les années 1920 et 1930, beaucoup se sont installés à Paris, tandis que d’autres choisissaient Londres, Rome, Berlin, Amsterdam ou New York. Ces expériences de voyage et d’étrangement les ont souvent conduits à redécouvrir leurs origines, leurs récits ; leur travail s’en est parfois vu entièrement transformé. L’expérience de la condition d’étranger a conduit beaucoup d’artistes à envisager d’un œil neuf leur culture et leur contexte d’origine. »

Parce qu’Adriano Pedrosa croit au pouvoir des expositions, au sens où « la juxtaposition des œuvres suscite de nouvelles significations et de nouvelles interprétations – bien au-delà de ce que le commissaire avait imaginé », il a voulu une biennale de Venise faite de connexions et de débats. « Une section est ainsi consacrée à l’art abstrait queer, avec des œuvres de Nedda Guidi, Maria Taniguchi et Evelyn Tao-cheng Wang. Il y a quelques juxtapositions très ponctuelles, comme les photographies de Miguel Angel Rojas et Dean Sameshima, qui ont tous deux photographié des cinémas gay, respectivement en Colombie et en Allemagne ; et une salle consacrée à des artistes africains ou d’origine africaine qui ont vécu ou vivent actuellement en Italie, comme la Mozambicaine Bertina Lopes, le Brésilien Rubem Valentim (décédé en 1991) et le jeune Camerounais Victor Fotso Nyie, qui vit à Faenza. Les Corderie accueillent aussi plusieurs installations de grande envergure du collectif maori Mataaho, de Frieda Toranzo Jaeger (Mexique), de l’artiste palestinienne Dana Awartani, de Daniel Otero Torres (Colombie), de Bouchra Khalili (Maroc), d’Isaac Chong Wai (Hong-Kong), du Aravani Art Project (Inde) et de WangShui (Etats-Unis). A l’extérieur on trouve également des œuvres majeures, également de grande dimension, de l’Américaine Lauren Halsey, de Claire Fontaine à l’Arsenal, d’Ivan Argote (Colombie), de Sol Calero (Venezuela), de Mariana Telleria (Argentine) et une œuvre du collectif indigène brésilien Mahku. Tout cela confère à l’exposition un certain rythme en termes d’échelle, de forme et de concept – dimension absolument nécessaire dans une exposition aussi grande que la biennale. »

Alors ça y est ? Vous avez pris votre billet pour Venise ?

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Photo : Adriano Pedrosa.
Photo Daniel Cabrel, Courtesy Museu de Arte de São Paulo.

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