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André Masson : la tentation de Gustave Courbet
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Juillet 2024 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « André Masson. Il n’y a pas de monde achevé » visible au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 2 septembre.

Bien sûr, je suis allée visiter l’exposition consacrée à Lacan au Centre Pompidou-Metz, et je vous en ai déjà parlée ici. Mais dans le numéro du magazine d’art contemporain Artpress du mois de mai, Didier Ottinger y revient sous un angle bien précis : celui du rapport entre le panneau-masque de L’Origine du monde, une œuvre d’art sur bois qui était visible dans l’exposition, et le surréalisme. Autrement dit entre Gustave Courbet et André Masson. Le conservateur du patrimoine, directeur adjoint du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, chargé de la programmation culturelle, pose la question : « Comment une œuvre surréaliste a-t-elle fini par occulter le manifeste du surréalisme pictural ? Quels aléas de l’histoire ont conduit à associer le nom d’André Masson à celui de Gustave Courbet ? » C’est sûr que le rapport entre les deux artistes n’est pas flagrant à première vue.

« Le surréalisme a voulu jeter le discrédit sur l’idée commune qu’existe une réalité concrète », explique Didier Ottinger en préambule de son texte. « Gustave Courbet, en son temps, a engagé une croisade au but en tous points opposés. C’est contre les anges qu’il ferraillait, contre les arrière-mondes chimériques, inspirés à l’imagination par les excès de littérature. Comment André Masson, surréaliste historique, inventeur de l’art « automatique », a-t-il été conduit à nouer une relation complice avec Gustave Courbet ? Comment a-t-il pu même envisager d’ajouter un codicille surréaliste à l’œuvre la plus naturaliste du peintre d’Ornans ? »

Si l’exposition Lacan vient d’y fermer ses portes, le Centre Pompidou-Metz consacre actuellement une rétrospective à André Masson, visible jusqu’au 2 septembre. Excellente occasion de s’intéresser à la question n’est-ce pas ? Et de mesurer à quel point Masson a été « un vagabond du surréalisme », n’hésitant ni à acquérir deux œuvres de Gustave Courbet, ni à rompre avec André Breton.

La figure centrale du mouvement surréaliste incarne une interaction complexe entre thèmes mythologiques et techniques spontanées du surréalisme. Didier Ottinger, dans son analyse publiée par Artpress, souligne la relation intrinsèque entre surréalisme et mythologie, affirmant que l'essence même du surréalisme ne peut être comprise qu'à travers ses dimensions mythologiques. Cette perspective est cruciale pour appréhender l'œuvre de Masson, qui plonge souvent dans les royaumes de l'imagerie subconsciente et des récits symboliques. Rien n’a jamais été simple dans ses œuvres d’art à vendre.

Le parcours artistique de Masson, qui a exposé ses tableaux à vendre dès 1924 à la galerie d’art Kahnweiler, est marqué par un engagement profond avec l'automatisme, une technique surréaliste visant à libérer le potentiel créatif de l'inconscient. Cette méthode est illustrée de manière vivante dans ses œuvres d’art des années 1930, période que l’écrivain et historien de l’art Pascal Bonafoux décrit comme singulièrement transformative pour la technique artistique de Masson. Ses dessins de cette époque, caractérisés par des lignes automatiques et des formes métamorphiques, reflètent une exploration profonde des paysages psychologiques intérieurs et des courants violents de l'expérience humaine.

Une des œuvres les plus notables de Masson, Sierra Aragonaise (1935-36), témoigne de sa capacité à insuffler des éléments mythologiques et corporels dans les paysages. Comme le discute Catherine Millet, fondatrice d’Artpress et directrice de la rédaction, cette peinture, présentée dans une exposition au Musée d'Art Moderne de Céret, transcende son apparence initiale de simple paysage. Au lieu de cela, elle révèle une interaction complexe de symboles érotiques et mythiques, transformant les formes naturelles en représentations métaphoriques du corps humain. Le paysage est imprégné d'éléments sensuels – crevasses ressemblant à des bouches et des vulves, et structures évoquant des images phalliques – soulignant la fascination de Masson pour la convergence entre nature et anatomie humaine.

De plus, l'œuvre de Masson aborde souvent des thèmes de violence et de transformation. Sa série Massacres, analysée par divers historiens de l'art, y compris dans Artpress, démontre sa capacité à dépeindre la brutalité et le chaos des conflits humains à travers des techniques abstraites et automatiques. Ces œuvres, créées en réponse au paysage socio-politique tumultueux des années 1930, résonnent d'une énergie brute et viscérale qui capture l'esprit anarchique de l'époque.

L'influence de Masson s'étend au-delà des cercles surréalistes traditionnels, impactant la trajectoire plus large de l'art moderne. Ses approches innovantes de la forme et du contenu ont jeté les bases des mouvements artistiques ultérieurs, notamment l'Expressionnisme abstrait aux États-Unis. Cette pollinisation croisée des idées souligne la pertinence durable des contributions de Masson à l'évolution de l'art du XXe siècle.

En somme, l'héritage d'André Masson est défini par sa quête incessante de l'inconscient et du mythique, créant un corpus d'œuvres d’art qui continue de défier et d'inspirer les artistes contemporains. Sa capacité à fusionner création spontanée et signification symbolique le positionne comme une figure centrale dans la narration de l'art moderne, comblant le fossé entre le surréalisme et les explorations artistiques plus larges de la condition humaine. Mais quid de son rapport avec Courbet ? Lorsque Sylvie Lacan, l’épouse du fameux psychanalyste, lui propose de réaliser une huile sur toile pour dissimuler l’œuvre d’art décidément trop provocante, Masson est aux anges. Ca ne pouvait pas mieux tomber, pour l’artiste qui n’en peut justement plus de la linéarité picturale. « La peinture désincarnée a eu, sans doute, sa raison d’être », écrivait-il en 1950 dans Le Plaisir de peindre. « Loi du flux et du reflux. A un siècle de splendeurs et de fêtes picturales (de Delacroix à Renoir), a succédé une ère ascétique. Peu d’artistes, depuis cinquante ans, échappèrent à l’impératif linéaire, moins nombreux encore ceux qui s’aperçurent à temps qu’ils cédaient à la facilité décorative, ou à… la littérature. »

Lui va donc se rendre en pleine nature, à Ornans, en Franche-Comté, dans le sillage du peintre réaliste qu’il admire tant. Il y peindra d’ailleurs quatre tableaux, dont trois inspirés par la source de la Loue. Cette Source de la Loue ayant elle-même inspiré à Courbet la composition de L’Origine du monde. Masson en est convaincu avant même les historiens de l’art : « Ce qui ne cesse d’attirer l’œil de Courbet dans les cavernes, les crevasses et les grottes, c’est la fascination qui émane de ce qui est caché, impénétrable, mais aussi le désir ardent de sécurité. » Sauf que le réalisme auquel il aspire alors se dérobera finalement à lui. Comme l’écrit Didier Ottinger, « lorsque vient enfin pour Masson le moment de réaliser le panneau destiné à l’Origine du monde, il a tout oublié du réalisme du tableau de Courbet. Le lyrisme vertigineux de son titre résonne seul dans son esprit ». Le monde fastueux de la mythologie et des déesses mères engloutit à nouveau l’artiste. Autrement dit celui de la littérature la plus débridée. Imaginaire quand tu nous tiens… Au moins Masson aura-t-il eu l’idée d’aller voir ailleurs. Grâce à Courbet.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Visuel : André Masson, Gradiva (1938 1939)

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