Remonter
L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
Current locale language
La pollinisation de Wolfgang Laib
la-pollinisation-de-wolfgang-laib - ARTACTIF
Juillet 2024 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Wolfgang Laib. Une montagne que l’on ne saurait gravir. Pour Monet », à voir au musée de l’Orangerie à Paris jusqu’au 8 juillet.

J’ai souvent eu l’occasion de faire de belles découvertes dans le champ de l’art contemporain au musée de l’Orangerie, à Paris, en plus de prendre beaucoup de plaisir devant les illustres cimaises consacrées à l’art moderne. La rencontre avec Wolfgang Laib n’a pas échappé à la règle. Le premier musée d’art français moderne, surtout célèbre pour ses immenses Nymphéas circulaires que Claude Monet avait offert à l’état français au sortir de la Première guerre mondiale en symbole de paix, ne s’endort en effet jamais sur ses lauriers, et c’est tant mieux. Deux salles particulièrement intéressantes, celle des focus sur la collection et celle des contrepoints contemporains sur les Nymphéas, accompagnent ainsi l’approche dynamique et sans cesse renouvelée de cette prestigieuse collection.

En cette fin d’après-midi du 5 mars 2024, tout le monde retenait son souffle dans la salle ovale des illustres symboles de paix : Wolfgang Laib était là pour y créer Une montagne que l’on ne saurait gravir. Temps suspendu. Douzième invité du programme Contrepoints contemporains lancé il y a cinq ans, l’artiste allemand est ainsi devenu le premier à réaliser une installation in situ en dialogue avec la frise panoramique de Claude Monet. Une œuvre d’art vouée toutefois à disparaître le soir même de son socle, puisque la donation par Claude Monet en 1922 de sa frise panoramique des Nymphéas interdit l’exposition d’œuvres d’autres artistes. Eh oui, on est dans « la chapelle Sixtine de l’impressionnisme ».

Suivant un rituel silencieux, l’homme en blanc a peu à peu formé ce jour-là un minuscule talus doré en déposant sur une stèle, spatule par spatule, une poudre granuleuse d’un jaune intense. Du pollen. Silence total pendant toute la durée de ce qu’il ne me semble pas abusif de nommer une cérémonie. Une invitation à la méditation. Et déferlement d’applaudissements après la fermeture du bocal de matière, au moment du pas de côté de l’artiste. Le « spectacle » est parfaitement rôdé. Evidemment, on peut s’interroger. Se voulant en étroite connexion avec la nature, dialoguant avec le vaste paysage d’eau jalonné de nymphéas, de branches de saules, de reflets d’arbres et de nuages du peintre impressionniste, l’œuvre d’art semble bien modeste. Le geste aussi. Mais soudain, l’infiniment petit rejoint l’infiniment grand. Et c’est émouvant.

« Le pollen est à l’origine de la vie, il ne s’agit pas d’un pigment pour faire un tableau », fait remarquer Wolfgang Laib. Lequel est régulièrement invité dans le monde entier, de la fondation Beyeler à Bâle au Moma à New York en passant par la Biennale de Venise, à conduire ce cérémonial consistant à épandre dans les musées les grains d’étamine de noisetier, de pin ou de pissenlits qu’il récolte chaque printemps dans les champs et dans la forêt du Bade-Wurtemberg, aux environs de son atelier installé à l’orée de Hochdorf, un village du sud de l’Allemagne. C’est là qu’il vit la moitié de l’année, passant le reste de son temps en Inde, où il avait suivi ses parents épris d’art et de voyage dans les années 1960. L’artiste né en 1950 à Metzingen, en Allemagne, est naturellement pétri de spiritualité hindouiste. Imprégné autant de lectures de Lao Tseu que de Nietzsche et Arthur Schopenhauer. « Je ne peux rien créer d’aussi beau que la nature. Par mon art, j’ai la chance d’y participer », affirme-t-il.

« Avec le lait, le riz, et la cire d’abeille, le pollen est depuis plus de quarante ans l’un de ses matériaux de prédilection, à partir desquels il réalise ses installations : alcôve de cire odorante, immenses monochromes solaires en pollen dessinés au sol, alignements de petits tas de riz pyramidaux… » La journaliste Anne-Cécile Sanchez nous brosse un passionnant portrait de la vie et l’œuvre de Wolfgang Laib dans le numéro de mai du magazine d’art L’Oeil. « Les formes sont géométriques – rectangles, carrés, triangles – ou elles empruntent au vocabulaire de l’architecture – maison, tour, escalier, ziggourat (édifice religieux mésopotamien). La répétition des gestes et des lignes rigoureuses est au cœur de son œuvre, qui insiste, depuis quarante ans, se chargeant au fil du temps d’une signification différente. Lui aime à dire qu’il ne crée pas mais « donne à voir » la beauté présente dans la nature. »

Et c’est sûrement ça le secret. La raison pour laquelle les passionnés d’art contemporain l’idolâtrent un peu comme les religieux idolâtrent un dieu. Une intense spiritualité imprègne en effet l’air à son entrée dans une salle. Je me suis d’ailleurs dit que les rituels menés par Wolfgang Laib dans le monde de l’art contemporain équivalaient peut-être finalement à des sortes de messes ou autres cérémonies au cours desquelles les fidèles méditent sur plus grand qu’eux. J’imagine qu’ils pourraient en faire autant au milieu d’une clairière, en immersion dans la nature. Mais une clairière ne s’installe pas au cœur des grandes cités comme le fait un musée.

Diplômé de l’université de Tübingen, Wolfgang Laib aurait pu exercer en tant que médecin, comme son père. Ou devenir moine bouddhiste. Mais c’est l’art qu’il a choisi pour œuvrer à soigner les maux du monde. En 1992, il réalise dans le forum du centre Pompidou un grand carré de pollen, « rapidement dispersé par le système de ventilation et les pigeons de passage », se souvient un critique d’art. « Le protocole n’a pas toujours été infaillible », reconnaît Anne-Cécile Sanchez… « Mais il est aujourd’hui plus contemporain que jamais. L’économie de moyens de ses installations, qui ne nécessitent souvent guère plus que quelques bocaux, un sac de riz, et une patience infinie, séduit les musées. » Ca, ça se comprend bien. Ce qui m’intrigue davantage dans ce genre d’itinéraire, c’est la façon avec laquelle un artiste aussi précurseur a pu vendre ses œuvres d’art avec succès sur le marché de l’art contemporain en son temps, donc dès ses débuts dans les années 1970, quand les institutions culturelles se souciaient alors comme d’une guigne de faire des économies ou de parler de l’urgence climatique…

Depuis 2019, Wolfgang Laib, ravi de constater le caractère intemporel et universel de son art, dialogue avec des œuvres du passé, toujours pour inviter à réfléchir sur la beauté et la fragilité de la nature à travers une rencontre essentielle, élémentaire. Comme au couvent San Marco à Florence, avec les peintures de Fra Angelico, ou à la chapelle des Mages au palais Medici Riccardi. « Il instaure ainsi une relation fondée sur les perceptions subtiles entre l’art visible et l’esprit invisible », explique Sophie Eloy, attachée de collection chargée des Contrepoints contemporains du Musée de l’Orangerie. Au sous-sol du Musée de l’Orangerie, l’installation Champ de riz invite à une réflexion sur le cycle de la vie et de la mort. Et si le monticule de pollen de l’inauguration a effectivement disparu de la grande salle ovale, regardez bien : l’artiste a laissé une Montagne de pollen de noisetier sous une vitrine dans la petite rotonde attenante.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Mountain (Montagne), 2024
Courtesy Thaddeus Ropac gallery, London - Paris - Salzburg - Seoul
© Musée de l'Orangerie / Sophie Crépy

Discutons !
Personne n'a encore eu l'audace de commenter cet article ! Serez-vous le premier ?
Participer à la discussion
Exemple : Galerie spécialisée en Pop Art