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Le paradoxe Ellsworth Kelly
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Août 2024 | Temps de lecture : 25 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015 » visible à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 9 septembre.

Des formes et des couleurs plein les yeux et les cimaises : la formule fait toujours recette à la Fondation Louis Vuitton. Célébration du centenaire de la naissance de l’artiste, « Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015 » est la première exposition en France à aborder de manière aussi large l’œuvre de ce créateur essentiel de la seconde moitié du XXe siècle, tant par sa chronologie que par les techniques qu’elle réunit.  Même si elle doit se contenter de deux étages et se limiter à une centaine d’œuvres pour partager l’espace avec l’exposition « Henri Matisse : l’Atelier rouge », présentée simultanément par la Fondation, et consacrée à l’histoire de ce célèbre chef-d’œuvre de 1911, l’une des œuvres emblématiques du MoMA depuis son acquisition en 1949, qui n’est évidemment pas là par hasard, comme on va le voir.

Si les œuvres d’art à vendre de l’artiste peintre et sculpteur abstrait Ellsworth Kelly sont toujours aussi omniprésentes sur le https://www.moma.org/, atteignant par ailleurs des enchères millionnaires, alors que l’artiste est né en 1923 et mort en 2015, c’est qu’elles sont légion. En près de soixante-dix ans de carrière, Kelly a en effet produit à tour de bras… et sa cote n’a jamais cessé de grimper, surtout sur le marché américain. Lui consacrant un article très complet dans le numéro de juin de Connaissance des arts, Jean-François Lasnier rappelle le récent record atteint par l’huile sur toile Red Curve VII de 1982, qui a été adjugée en 2019 à près de dix millions de dollars, même si les peintures de Kelly sont plus généralement vendues entre deux et cinq millions, et que ses lithographies circulent entre cinq mille et dix mille dollars, comme certains de ses dessins… dont certains se sont tout de même envolés à plus de cent mille dollars.

Bref, les collectionneurs fortunés et les galeries d’art se l’arrachent. Je ne peux toutefois m’empêcher de penser que ce succès phénoménal sur le marché de l’art contemporain n’est sûrement pas étranger au fait qu’Ellsworth Kelly soit considéré comme l’un des plus importants peintres et sculpteurs abstraits américains. Parce qu’en ce qui me concerne, j’ai quand même du mal à prendre la mesure de ce qu’il a vraiment d’exceptionnel par rapport aux autres... Certes, sa carrière est marquée par l’indépendance de son art par rapport à toute école ou mouvement artistique, et par sa contribution novatrice à la peinture et à la sculpture du XXe siècle. Mais comme Kelly, Piet Mondrian utilise des formes géométriques simples et des couleurs primaires, même si les compositions épurées de Kelly se distinguent par une utilisation plus libre des formes et une absence de la grille rigide caractéristique de Mondrian. Le travail de Kelly rappelle aussi le suprématisme de Kasimir Malevich, pionnier de https://www.moma.org/ qui a exploré des concepts similaires de pureté des formes et des couleurs. En tant que membre de l'expressionnisme abstrait, Barnett Newman utilise également de grandes plages de couleur et des formes simples. Ses œuvres de color field painting peuvent donc être mises en parallèle avec celles de Kelly au vu de l'accent mis sur la couleur et la simplicité formelle. On peut aussi  comparer Kelly à des artistes minimalistes comme Donald Judd, dont les œuvres d’art, bien que plus sculpturales, partagent une esthétique de formes simples et de répétition qui peut être vue dans les peintures et les sculptures de Kelly. Enfin, et c’est ce qui explique l’exposition parallèle voulue par la Fondation Louis Vuitton dont je vous parlais plus haut, il ne faudrait pas oublier que Kelly a été influencé par Matisse, en particulier par ses découpages tardifs.

Loin de moi donc l’idée de remettre en cause l’importance de l’œuvre de Kelly, évidemment, mais je tenais tout de même à énumérer ces associations pour bien remettre en perspective cette exposition événement en montrant que son travail s'inscrit dans un dialogue plus large avec l'histoire de l'art. Même si, d’accord, il a apporté sa propre contribution à l'abstraction et à l'art moderne. Organisée avec le Glenstone Museum (Potomac, Maryland) en collaboration avec le Ellsworth Kelly Studio, l’exposition regroupe plus d’une centaine de pièces, peintures, sculptures mais aussi dessins, photographies et collages. Et bénéficie de prêts d’institutions internationales (Art Institute of Chicago, Kröller-Müller Museum, Museum of Modern Art (MoMA), New York, San Francisco Museum of Modern Art, Tate, Whitney Museum) et de collections privées.

Cette rétrospective était en tout cas très attendue dans le monde de l’art moderne et contemporain, car depuis 1992 et l’exposition sur ses années françaises, Kelly n’avait eu droit à aucune rétrospective d’ampleur en France. Un pays où le jeune Américain avait pourtant choisi de s’installer en 1948 alors que l’Expressionnisme abstrait allait bientôt battre son plein dans son pays. Il y rencontrera Jean Arp et Constantin Brancusi, Francis Picabia et Georges Vantongerloo. Et c’est là qu’en 1949 il abandonnera définitivement la peinture figurative. Pour choisir la liberté. Car comme l’écrit Jean-François Lasnier, « Ellsworth Kelly est un artiste paradoxal. Son exploration obstinée de la relation entre la forme et la couleur a donné naissance à une œuvre simultanément ascétique et hédoniste, résolument non figurative mais hantée par le réel ».

Personnellement, j’ai du mal à repérer les fantômes, mais je n’exclue pas d’avoir peut-être fait un blocage tant la vision de l’artiste m’apparaît impersonnelle. Tant cette simplification à l’extrême de la peinture me laisse froide. Le journaliste en convient d’ailleurs : « Selon le point de vue, on trouvera ces œuvres ascétiques ou franchement arides ». J’ai l’impression en fait qu’ainsi posées cote à cote, toutes ces couleurs si lisses se valent, et je suis la première à regretter de ne rien ressentir. Heureusement il y a les courbes. Et là, parfois, oui, ça vibre. Ouf.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Visuel : ELLSWORTH KELLY. FORMES ET COULEURS, 1949-2015

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