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Le rouge sidérant de l’atelier de Matisse
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Août 2024 | Temps de lecture : 29 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Matisse – L’Atelier rouge » à voir jusqu’au 9 septembre à la fondation Louis Vuitton à Paris.

Certes, la toile L'Atelier rouge de Henri Matisse (1869-1954), actuellement exposée à la Fondation Louis Vuitton à Paris, est une œuvre emblématique de l'art moderne. Mais pourquoi donc ? Peinte en 1911 dans l’atelier d’Issy-les-Moulineaux, cette œuvre d’art est d’abord une pièce maîtresse de la période dite « fauve » de Matisse, caractérisée par l'usage audacieux de couleurs vives et de formes simplifiées. Chef de file du fauvisme, l’artiste utilise en effet ici une palette de rouges dominants qui subvertit les conventions de la perspective et de la couleur. Le rouge vif, omniprésent, crée la sensation d'un espace enveloppant et intime, tandis que les autres couleurs (bleu, jaune, vert) ajoutent des contrastes saisissants.

L'atelier de l'artiste en est ensuite le sujet principal. Ce qui n’est pas courant sur le marché de l’art, surtout au début du XXe siècle. Qui voudrait acheter une œuvre d’art qui représente simplement d’autres œuvres d’art à vendre ? Voilà qui est bien loin des préoccupations de Matisse. L’artiste n’est pas marchand d’art. Chacun son boulot. Lui représente donc ici son espace de travail avec une multitude d'objets (tableaux, sculptures, meubles et autres éléments personnels), dont l’accumulation nous permet aujourd’hui de pénétrer dans son univers créatif, reflétant son processus de création et sa pensée artistique. Et ce qui est formidable avec l’exposition de la fondation Louis Vuitton, c’est qu’elle a réuni la majorité des œuvres d’art figurant justement sur le tableau ! Retraçant ainsi l’histoire de ce coup d’éclat. Un « coup d’éclat qui fit basculer la peinture dans la modernité et déboussola Matisse lui-même », écrit carrément Emmanuelle Lequeux dans le numéro de juin de Beaux Arts Magazine, précisant même qu’ « avec l’Atelier rouge, toile sidérante de 1911, le peintre se réinvente en un geste foudroyant ». De quoi d’ailleurs devenir une exposition à elle toute seule !

« Qu’est-ce qui lui a pris ? Pourquoi diable Matisse a-t-il soudain vu rouge, noyant sa toile sous cette nuance brique qui n’épargne aucun détail ? » interroge la journaliste. « Ce tableau ne s’est pas fait comme je l’avais imaginé au départ, confie l’artiste à l’écrivaine hongroise Vilma Balogh à l’aube de 1912. Je l’aime bien, mais je ne le comprends pas tout à fait. Je ne sais pas pourquoi je l’ai peint exactement comme cela. » Ainsi le peintre, alors au sommet de sa gloire, se serait-il laissé embarquer par la peinture. « Aujourd’hui encore, la sidération demeure, que provoque cet all-over avant l’heure », écrit Emmanuelle Lequeux.

La composition de L'Atelier rouge est à la fois audacieuse et réfléchie. Matisse joue avec les dimensions et les perspectives pour créer une sensation d'harmonie visuelle. Les objets sont délimités par des lignes fines et simplifiées, presque comme des esquisses, permettant aux couleurs de dominer la scène. A certains endroits, l’artiste a peint une sous-couche rose, à d’autres elle est bleue, ce qui fait virer le rouge vénitien de la plus délicate manière, faisant vibrer l’espace. Une surface stupéfiante sur laquelle semble flotter onze œuvres, tableaux ou sculptures récentes. « Une galerie en suspens, état des lieux de sa création au temps T. » écrit la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Le miracle de l’exposition de la fondation Louis Vuitton, c’est de les rassembler exceptionnellement, cent treize ans après cette apothéose. Seules deux n’ont pu être retrouvées : le buste en plâtre Jeannette (IV) a disparu, n’en reste que les tirages en bronze. Et le Grand Nu de 1911, que Matisse surnommait la Nuit, a été détruit après sa mort, à la demande du peintre insatisfait. L’Atelier rouge en offre l’unique souvenir en couleurs. »

En cet hiver 1911 dans l’atelier d’Issy-les-Moulineaux où il vient d’emménager, Matisse aurait pu se reposer sur ses lauriers après avoir tutoyé les sommets avec ses deux versions de La Danse. Mais celui qui est devenu le styliste d’une certaine joie de vivre soudain se réinvente. Grâce à la commande du magnat russe Sergueï Chtchoukine d’ailleurs, qui vient d’acquérir la fameuse ronde de corps orangés flottant sur un fond vert et bleu, mais qui en veut encore. Comme tout bon et riche collectionneur, il n’est jamais rassasié. Et il donne carte blanche à Matisse pour lui réaliser trois panneaux peints. Lequel se lance alors dans des recherches en tout sens... Donnant naissance à L’Atelier rouge. On ne dira jamais assez de bien des mécènes… quand ils ne passent pas seulement commande pour agir sur les cours du marché de l’art contemporain. Il n’empêche que cette nouvelle œuvre d’art à vendre a beau alors s’exposer à New York, Chicago, Boston ou Düsseldorf, elle ne trouve aucun acheteur. Il faudra attendre 1926 pour que le tableau orne les murs d’un célèbre night club de Soho, et 1941 pour qu’il soit exposé au MoMa. Là seulement il commencera à susciter l’émoi. On sait notamment que Mark Rothko venait souvent le contempler…

Si cette œuvre révolutionnaire a influencé de nombreux artistes et critiques, elle continue bien sûr d'être étudiée pour sa contribution à l'évolution de l'art moderne. Au-delà de son importance dans l'histoire de l'art, cette toile est un témoignage de l'approche novatrice de Matisse en matière de couleur et de composition. On l’a vu, elle incarne l'essence de la période fauve et de la quête de Matisse pour une expression artistique pure et intense.

La présence de L'Atelier rouge à la Fondation Louis Vuitton offre donc aux visiteurs une occasion unique d'admirer une œuvre phare de l'art moderne dans un cadre architectural exceptionnel, avec notamment une reconstitution en 3D, mais permet aussi de redécouvrir Matisse sous un jour nouveau, en appréciant l'audace et la maîtrise qui caractérisent cette toile emblématique. « A ce moment crucial de l’évolution de l’art moderne, Henri Matisse n’a pas choisi entre la figuration et l’abstraction, entre la profondeur picturale illusoire et la planéité de l’image. Il s’appuie plutôt sur la couleur pour exprimer son monde de manière à la fois concrète et conceptuelle », analysent Ann Temkin et Dorthe Aagesen dans le catalogue de l’exposition présentée par la fondation Louis Vuitton.

Personnellement, j’ai adoré avoir la sensation de revenir plus d’un siècle en arrière, et je me suis amusée au jeu des sept erreurs en comparant les œuvres originales à leur représentation par Matisse. Mais j’ai surtout trouvé particulièrement touchant de voir l’un des tableaux de ses débuts, peint en 1898 à Ajaccio : Corse, le vieux moulin. Car non seulement il nous ramène à son voyage de noces, au cours duquel Matisse a découvert l’île de beauté et la lumière méditerranéenne, mais en plus il s’agit là de l’un des premiers tableaux qu’il a peint en laissant la couleur charpenter la composition… Quand on voit que treize ans plus tard elle la domine absolument et magistralement dans L’Atelier rouge, on se dit qu’il n’y a décidément pas de hasard.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Henri Matisse, L'Atelier rouge, Issy-les-Moulineaux, 1911. The Museum of Modern Art, New Ytork. Mrs, Sormon Guggenheim Fund 1949 ®Succession H.Matisse
© Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

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