A la mémoire de Roberta Gonzalez
A propos de l’exposition « Roberta Gonzalez » visible au Centre Pompidou jusqu’au 9 mars 2025 à l’occasion d’une donation de ses ayants droit.
Avant d’être connue en tant qu’artiste peintre et sculptrice franco-espagnole, active sur la scène parisienne et internationale à partir des années 1930 grâce à ses œuvres d’art moderne et abstrait, Roberta González (1909-1976) a longtemps été surtout présentée comme la fille du célèbre sculpteur Julio González (1876-1942), qui avait toujours encouragé les talents artistiques de sa fille, approuvé d’ailleurs par Pablo Picasso, son collaborateur et ami ; ou comme la femme de Hans Hartung (1904-1989), peintre et graveur français d'origine allemande, bien connu pour son rôle dans le développement de l'art abstrait au XXe siècle. Malgré ses hauts et ses bas, le couple a en effet partagé une vie dédiée à l'art de 1939 à 1956, avant de se séparer définitivement, Hans ayant finalement renoué avec sa précédente épouse, l’artiste Anna-Eva Bergman, dont il s’était pourtant consolé du divorce dans les bras de Roberta en venant travailler dans l’atelier de son père… Bref. Leur relation a donc forcément eu une influence mutuelle sur leurs œuvres respectives, j’en conviens. Il n’empêche que, même si elle fréquentait Pierre Soulages ou Yves Klein avec son mari, Roberta González a toujours su faire preuve de singularité. Il suffit de voir cette gouache intitulée Deux femmes et enfants, peinte alors qu’elle n’a que 18 ans, pour prendre toute la mesure d’un talent qu’elle ne doit qu’à elle.
Même si l’histoire de l’art, jusqu’à très récemment, n’a d’abord retenu que lui, Hans Hartung et elle sont donc à tous les deux des figures importantes de l'art moderne à part égale. Certes, ils sont restés amis après leur divorce. Il n’empêche qu’il sera sidéré comme tout le monde quand il apprendra en juillet 1976 qu’après avoir disparu pendant quatorze jours, Roberta a été retrouvée morte dans un champ de blé en Seine-et-Marne. Désorientée, sujette à des crises d’amnésie depuis qu’elle a été victime d’un accident de voiture en 1951 alors qu’elle accompagnait son mari à l’hôpital pour changer sa prothèse de hanche, l’artiste de 67 ans seulement se serait enfoncée entre les épis, aurait erré puis se serait perdue sous un soleil de plomb. Avant de s’écrouler.
Il faut croire qu’aucun ami ne l’a cherchée, puisque les jours passant, son corps se serait ainsi desséché... Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve qu’il est finalement des morts encore plus bouleversantes que d’autres… Surtout que quelques mois avant, Roberta Gonzalez avait peint une toile aux couleurs flamboyantes évoquant Le Cri de Munch. Et qu’en 1969, alors qu’elle sentait ses forces et sa mémoire définitivement vaciller, elle avait réalisé une encre de Chine intitulée Ils la cherchèrent longtemps et puis la trouvèrent dans la Lune…
Après sa séparation d’avec ce mari illustre lui faisant finalement beaucoup d’ombre, Roberta Gonzalez avait surmonté sa douleur en faisant magistralement évoluer son art. En lui donnant même des ailes. Sans rien perdre de la force de leurs figures, ses œuvres d’art à vendre s’étaient alors envolées vers une formidable synthèse entre figuration et abstraction lyrique. L’artiste souffrant de terrifiants trous de mémoire depuis sa commotion cérébrale de 1951 avait continué de peindre des personnages féminins, mais au regard si expressif que leur angoisse est palpable. Tout en introduisant la symbolique de l’oiseau dans ses tableaux, son alter ego, elle qui était si proche de la nature et sensible aux astres. « Consciente d’une dualité dans le monde, elle se passionne pour la synergie des contrastes, et en fait le fil conducteur de son œuvre de maturité », observe Amanda Herold-Marme, docteure en histoire de l’art.
Pour la première fois, le Centre Pompidou met à l’honneur Roberta González et c’est tant mieux. Depuis le 2 avril 2024 et jusqu’au 9 mars 2025, un ensemble de peintures, dessins, livres illustrés, objets d’art et pièces d’archives est présenté à l’occasion d’une donation des ayants droit de l’artiste, Philippe Grimminger, son neveu, et son épouse Isabelle. Qu’ils en soient remerciés. Cet ensemble vient enrichir les œuvres acquises par le musée du vivant de l’artiste, dont le superbe Nu mélancolique.
D’une grande variété stylistique et technique, les œuvres d’art de Roberta González portent principalement sur la figure féminine, déclinée en plusieurs identités et formes. Qu’elles soient naturalistes ou avant-gardistes, peintes ou dessinées, angoissées, mélancoliques ou stoïques, ses paysannes, maternités et portraits portent tous un regard saisissant, teinté de nostalgie, et quelque peu méfiant, mais déterminé, qui scrute, qui questionne, qui analyse, à la manière de l’artiste elle-même, qui chemine vers sa voie artistique personnelle dans un monde chamboulé. Les œuvres présentées au Centre Pompidou, datant principalement de la période 1935-1954, ouvrent une fenêtre sur une époque charnière dans la vie et l’œuvre de l’artiste. Ses femmes en postures tordues, dont la détresse s’accentue par leurs volumes éclatés et leurs formes distordues, sont sa réponse à la guerre qui frappe d’abord l’Espagne, pays d’origine de la famille González, avant de devenir un conflit mondial qui atteindra plus directement Roberta et sa famille en France.
Après la guerre, Roberta González cherche sa place sur la scène parisienne où tout a changé. Pour aller vers l’avant, elle délaisse progressivement l’ombre de la guerre pour s’affirmer à la lumière de son style purement personnel basé sur la dualité et les contrastes — ombre/lumière, figuration/abstraction, statisme/mouvement, obscurité/couleur, nostalgie/joie —, à l’image de l’artiste elle-même, à la fois française et espagnole, créatrice et promotrice de l’œuvre de son père, de caractère espiègle et joueur, mais aussi hautement sensible.
Ce qui permet actuellement au Centre Pompidou d’entrer de façon encore plus émouvante dans la vie et l’œuvre de l’artiste, ce sont bien sûr les documents d’archives personnelles de l’artiste : des photographies, des dessins d’enfance et un extrait de son journal personnel inédit. Alors là, je suis aux anges, car je raffole de ces enrichissements dans les expositions monographiques. En fait je ne me lasse pas de cette impression « humaine » de faire connaissance avec une personne, en plus d’une artiste. Pour mieux représenter la communauté créatrice à laquelle Roberta González faisait partie lors de la réalisation des œuvres exposées, elles sont également présentées en dialogue avec une poignée d’œuvres de Julio González et de Hans Hartung.
La longévité exceptionnelle de l’exposition, qui au final durera un an, donnera cours à un roulement des œuvres, permettant au public d’en optimiser leur découverte. Autrement dit, je vais pouvoir y retourner plusieurs fois, et j’espère que vous aussi !
Article écrit par Valibri en Roulotte
Illustration : Roberta González, Sans Titre, Arcueil, 1 er juin 1040, Encre et aquarelle sur papier, 29 X 19,6 cm, don de la Sucession Gonzalez, 2023 (® DR)