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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Un triptyque d’expositions de peinture ancienne
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Août 2024 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

À propos des trois volets de l’exposition sous-titrée « Peintures germaniques des collections françaises », visibles à Dijon (21), Besançon (25) et Colmar (68) jusqu’au 23 septembre 2024.

Il faut le voir pour le croire ! Dans un feu d’artifice de couleurs et de saynètes non dénuées d’humour, les œuvres d’art germaniques des collections françaises datant du Moyen Age et de la Renaissance déploient leurs charmes réellement irrésistibles en trois musées des beaux-arts : à Dijon, Besançon et Colmar. Je ne vous cache pas que je n’avais pas été immédiatement convaincue, tant le sujet me semblait aride. Mais comme j’avais été invitée par une agence de communication et que je suis de nature curieuse, j’ai fait les déplacements avec enthousiasme. Et franchement, je ne regrette pas d’avoir posé quelques jours ma roulotte dans ces trois villes qui, de surcroît, sont charmantes à visiter.

Pour les médiateurs culturels des musées, ça n’était pas gagné non plus a priori. Loin de l’art moderne et contemporain qui ravit les médias, on ne peut pas dire que la peinture germanique de cette époque affole le marché de l’art et fait se déplacer les grands collectionneurs dans les galeries d’art. Forcément : elle est plutôt dans les églises… Séduire le grand public à partir de l’ambitieux programme de recherche mené depuis 2019 par Isabelle Dubois-Brinkmann à l’Institut national de l’histoire de l’art pour répertorier les peintures germaniques du Moyen Age et de la Renaissance qui sont conservées sur le sol français… il fallait donc oser ! Et pourtant, ça fonctionne. C’est même passionnant, tant ces peintures au goût affirmé pour l’anecdote fourmillent de détails amusants, de trognes impayables et de couleurs somptueuses. Ici l’histoire rocambolesque de deux saints dont l’un a spolié l’autre à sa mort, et qui se retrouve au tribunal avec le squelette hilare de l’usurpé, là un portrait anodin d’enfant qui prend toute sa dimension quand on apprend que la petite poire qu’il tient à la main symbolise la semence germée, ce qui le désigne solennellement comme l’héritier mâle de la famille. Ailleurs, sainte Marguerite s’échappe en transperçant le ventre du monstre venant de l’engloutir, une autre sainte terrasse un dragon, une horde d’hommes ont le sourire aux lèvres alors qu’ils se jettent sur des pieux qui vont les transpercer, des jets de sang jaillissent très proprement de cous tranchés net tandis que des têtes roulent à côté sans se départir de leur expression avenante… Franchement, on dirait de la bande dessinée avant l’heure ! En plus doré. Parce que le doré, ils aimaient visiblement bien ça les artistes peintres du Saint Empire romain germanique ! À moins que ça ne soit leurs commanditaires, toujours avides de se mettre en valeur, allant jusqu’à se faire représenter dans des épisodes bibliques, comme on peut l’observer au musée Unterlinden de Colmar qui y consacre toute une section. Car point d’œuvres d’art à vendre à l’époque. Les artistes contemporains des princes et des prélats peignaient des œuvres d’art déjà vendues.

Comme l’écrit Daphné Bétard dans le numéro de Beaux Arts Magazine du mois de juin : « Les nus sont grinçants, les regards perçants, les scènes pareilles à des visions hallucinatoires quand les décors se révèlent à la fois familiers et improbables comme ceux de mauvais songes… Oscillant entre réalisme artificiel et déformation du réel, le style est bizarre, légèrement crispé, parfois dissonant, défiant la logique du regard telle une sorte d’oxymore visuel. Malgré des dehors un peu rudes et angoissants, la peinture germanique de la fin du Moyen Age et de la Renaissance qui nous est révélée dans la tripe exposition organisée aux musées des Beaux-Arts de Besançon et de Dijon ainsi qu’au musée Unterlinden à Colmar s’avère fascinante, intrigante au plus haut point car multiple, complexe, se refusant à la facilité, aux raccourcis. »

Oui, il aurait été vraiment dommage que ces années passées par Isabelle Dubois-Brinkmann à sillonner le territoire, pour recenser et étudier le moindre tableau ou panneau de retable déniché dans les réserves muséales ou les petites églises obscures de la France profonde, n’aboutissent qu’à une base de données scientifique. « J’ai voulu rendre visible ce travail de recherche en le présentant concomitamment au grand public dans trois expositions : à Dijon pour le XVe siècle, à Besançon pour la Renaissance et à Colmar pour la peinture du Rhin supérieur, c’est-à-dire approximativement l’Alsace », explique la brillante conservatrice du patrimoine et directrice des musées municipaux de Mulhouse. « C’est vrai que le Saint Empire romain germanique est une notion qui n’est pas forcément très précise dans l’esprit du public français, d’où les cartes, de la même façon que les référentiels de la peinture des XVe et XVIe siècles sont également un peu lointains. Donc on a vraiment cherché à être ludiques et pédagogues, en montrant notamment ses fonctions, ses usages, sa technique… » Tout le secret est là : non seulement on se repaît de beauté, on s’amuse, mais en plus on a l’impression de comprendre plein de choses en visitant ces trois expositions. Alors forcément on en ressort tout joyeux.

Pas étonnant toutefois que chaque musée partenaire se soit creusé la tête pour trouver un titre à l’exposition temporaire qu’il abrite, un peu plus sexy que le seul « Peintures germaniques des collections françaises (1370- 1550) ».

Nous avons donc « Maîtres et merveilles » au musée des beaux-arts de Dijon, « Made in Germany » au musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, et « Couleur Gloire et Beauté » au musée Unterlinden de Colmar. Avec tout de même quelques têtes d’affiche bien sûr. On va être tout content de repérer Albrecht Dürer (1471-1528), Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553), Martin Schongauer (vers 1450-1491) ou Matthias Grünewald (vers 1475-1528) par exemple. Les scénographies somptueuses achèvent de rendre le sujet attirant au premier regard, contribuant pour beaucoup à l’appréciation aujourd’hui de cette peinture d’hier. Sans compter les thématiques permettant de faire quelques focus, comme à Besançon sur les portraits par exemple. Il est vraiment fascinant de voir combien la représentation des gens a évolué pendant toute la première moitié du XVIe siècle avec la montée de l’humanisme. Et combien nous n’avons parfois même plus les mots pour nommer certaines pièces de leurs flamboyants costumes ! De constater aussi l’omniprésence du portrait masculin, avant que ne s’immisce tout doucement le portrait féminin avec l’avènement de la représentation familiale…

Impossible de ne pas penser aux trois volets d’un retable en évoquant ce triptyque d’expositions. Car des retables, il y en a à foison ! Certains ont d’ailleurs pu rassembler leurs morceaux grâce aux découvertes de véritables trésors permises par ce travail de recensement. Beaucoup ont pu être rénovés, retrouvant leurs dessins sous-jacents qui s’étaient éteints avec le temps. Et quelques chefs-d’oeuvre ont même pu être réattribués à leurs auteurs hypothétiques par des spécialistes. Comme cette pépite de La Fère, commune de la région des Hauts-de-France : une petite crucifixion qui pourrait bien être la 7e œuvre de l’illustre Albrecht Dürer conservée en France !

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : Retable d'Orlier de Martin Schongauer

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