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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Immortelle Maria Lassnig
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Août 2024 | Temps de lecture : 26 Min | 0 Commentaire(s)

Je n’ai jamais oublié le choc que m’a produit en février 2009, à Vienne, la vision des grandes toiles de Maria Lassnig au MumoK, le MUseum MOderner Kunst Stiftung Ludwig Wien. Le Musée d’art moderne de Vienne, en gros. Je m’y attendais d’autant moins que j’avais au départ été conviée à un voyage de presse dont la thématique était axée sur « Vienne dessus-dessous », à savoir que nous vivions d’une part le bal de la Saint-Valentin au château de Schönbrunn, avec valse, robe longue et trajets en calèche pour aller savourer la traditionnelle soupe du petit matin, et d’autre part une nuit « branchée » dans les endroits underground de la ville, comme par exemple une boîte de nuit installée dans une station de métro. Sauf qu’entre les deux nuits, nous disposions donc d’une journée, et que les heures de sommeil sont rarement intégrées dans les programmes des voyages de presse. A ma grande joie était prévue ce jour-là une balade au quartier des musées, véritable malle aux trésors en matière d’œuvres d’art, avec la visite du fameux Belvédère, où je me suis notamment régalée du véritable Baiser de Gustav Klimt, mais aussi de la plus belle collection d’œuvres d’art d’Egon Schiele, ainsi que de nombreux tableaux signés Oskar Kokoschka et Richard Gerstl, entre autres… juste avant d’arriver au musée d’art moderne, le MumoK donc.

Ces corps exposés dans toute la force de leur nudité, de leur vieillesse, ces personnages aussi vulnérables que courageux, cette peinture chargée de tant de violence malgré ses couleurs aux apparences inoffensives… quelle rencontre ! Je n’avais alors encore jamais entendu parler de Maria Lassnig. Et je n’en revenais pas. Comment avais-je pu jusque-là passer à côté de cette peintre autrichienne, née le 8 septembre 1919 à Kappel am Krappfeld et décédée le 6 mai 2014 à Vienne, tellement connue pour ses autoportraits conflictuels ? C’était il y a quinze ans. J’étais sans doute encore jeune. Et puis, on ne peut jamais tout savoir, n’est-ce-pas ? On peut seulement découvrir et apprendre chaque jour. Et s’en émerveiller. Ce que je continue de faire avec ravissement. Si je vous parle de Maria Lassnig aujourd’hui, c’est qu’Anne Bertrand, critique et historienne de l’art, lui consacre la rubrique « L’œuvre-clé » dans le numéro de juin du magazine d’art contemporain Artpress. En concluant d’ailleurs comme suit : « Cette femme/artiste ne mourra pas. » Ce que je peux vous confirmer.

Intéressée par la « conscience du corps », Maria Lassnig peint en décrivant les personnages de l’intérieur, utilisant des éléments déformés ou exagérés pour représenter ses sentiments et sensations internes. « Le sentiment, se disaient les gens, c’est de la sensibilité, ou : le sentiment, c’est quelque chose de féminin. Aujourd’hui seulement, ils se mettent à penser qu’il s’agit d’une sensation, et qu’une sensation, ce n’est pas que féminin », confiait l’artiste lors d’un entretien en 1995. « Il n’y a pas que de grands sentiments, il y en a aussi de petits, et c’est à eux que je m’intéresse… non pas à la conscience, mais à ce que l’on ressent ; je dessine une sensation, et quand j’analyse la chose, il me semble qu’une image est en moi avant même que je ne la dessine. J’élabore une forme qui lui correspond, qui d’une manière ou d’une autre s’en rapproche, mais en fait c’est presque impossible : l’image se dérobe de seconde en seconde. »

Ainsi, et comme nous le rappelle Anne Bertrand dans Artpress, « Maria Lassnig a notamment produit quantité d’autoportraits au fil des décennies, apparaissant tour à tour très reconnaissable ou tout autrement, selon la, les sensations éprouvées (…) L’autoportrait peint est frontal, cru. Il reprend la nudité directe de Valie Export, dans sa performance Genitalpanik (1969) ; et aussi les Tirs (1961-63) libérateurs de Niki de Saint-Phalle, s’appropriant le geste si longtemps masculin du chasseur ou tueur (…) Son engagement d’artiste, énergique, provocant, va de pair avec un sens aigu de l’autodérision. Quel autre peintre, homme ou femme, se sera ainsi exposé ? Quelle autre se sera infligée ces déformations, caricatures, exagérations, à elle-même plutôt qu’à autrui (avec quelle élégance) ? »

Née d’une mère célibataire enseignante, Lassnig est principalement élevée par sa grand-mère. Elle ne rencontrera son père qu’une fois adulte. Avant d’étudier à l’académie des beaux-arts de Vienne sous le joug nazi, puis de s’installer à Paris où elle rencontrera des membres de l’avant-garde et se familiarisera avec l’expressionnisme abstrait, elle enseignera d’abord elle aussi comme institutrice après son baccalauréat. Travaillant d’abord l’abstraction, Lassnig finit par se tourner vers la figuration, style qu’elle utilisera le reste de sa vie. Elle déménage à New York à la fin des années 1960, où elle pratique le cinéma d’animation, cofonde l’association Women Artists Filmmakers Inc. et peint Woman Power en 1979. L’historienne de l’art, journaliste et militante féministe Elisabeth Lebovici rappelle d’ailleurs sur son blog en 2014 que Maria Lassnig « passe pour avoir été celle qui permit l’ouverture (…) de la peinture aux discours féministes des années 1970 ».

Elle retourne en Autriche en 1980 pour occuper le poste de professeur de peinture à l’université des arts appliqués de Vienne, devenant alors la première femme d’un pays germanophone accédant à cette position, et posant comme condition d’avoir le même salaire que l’artiste allemand Joseph Beuys. Elle sera même présidente de l’école jusqu’en 1997. Il n’empêche qu’après 50 ans de carrière, ce n’est qu’à l’approche de la soixantaine que Lassnig a commencé à bénéficier d’une attention internationale. Et donc à intéresser les collectionneurs. Son travail s’expose alors partout dans le monde, et ses œuvres d’art à vendre commencent à affoler le marché de l’art. Elle est l’une des artistes à représenter l’Autriche lors de la Biennale de Venise en 1980 et son travail fait l’objet de rétrospectives au Centre Pompidou Paris en 1995, au musée Ludwig à Cologne en 2009 et au MoMA P.S.1 Contemporary Arts Center dans le Queens en 2014. Elle est représentée par les galeries d’art Hauser & With et Friedrich Petzel Gallery. Elle s’éteint à l’âge de 94 ans à Vienne en 2014, un an après avoir obtenu, comme Marisa Merz, un lion d’or pour l’ensemble de sa carrière, à la biennale de Venise.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration :

Maria Lassnig, Autoportrait au bâton, 1971

Huile et fusain sur toile • 193 x 129 cm • Archive of the Maria Lassnig Foundation • © Wikimedia Commons

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