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Maeght fondée sous le signe de l’amitié
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Septembre 2024 | Temps de lecture : 32 Min | 0 Commentaire(s)

A propos des 60 ans et de l’extension de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, et de l’exposition « Amitiés, Bonnard-Matisse » qui s’y tient jusqu’au 6 octobre 2024. 

Ce n’est pas pour spéculer sur le marché de l’art qu’ils ont commencé à vendre des œuvres d’art, mais sincèrement pour aider leurs amis artistes à se faire (re)connaître. Parce que Pierre Bonnard fut le premier de ces amis, Aimé et Marguerite Maeght sont devenus les immenses mécènes et marchands d’art que l’on connaît. Parce que les artistes les plus illustres de leur temps ont peu à peu composé leur tribu amicale, le couple a choisi de créer la Fondation Maeght à l’emplacement où il avait initialement prévu de construire sa propre maison. Il fallait à ce moment-là survivre à la mort d’un enfant, et les amis étaient là. Lorsque leur fils Bernard succombe en 1953 à une leucémie, George Braque conseille à Aimé et Marguerite d’ « entreprendre quelque chose qui les dépasse ». Un voyage aux Etats-Unis leur donne la clé : à la façon d’un Barnes, d’un Philips ou d’un Guggenheim, ils vont créer le premier musée d’art moderne français en mains privées. La découverte ensuite de l’atelier de l’ami Miro, à Palma de Majorque, leur donne le plan : leur projet sera dessiné par le même architecte, le Catalan Josep Lluis Sert. Et la Fondation Maeght sera inaugurée en (très) grande pompe le 28 juillet 1964 à Saint-Paul-de-Vence par André Malraux, dont les envolées lyriques restent aussi mythiques que le duo Yves Montand-Ella Fitzgerald… Jamais la Fondation Maeght ne laissera tomber les amis.

Quoi de plus naturel alors que d’inaugurer la judicieuse extension de ses 60 ans avec une exposition intitulée « Amitiés, Bonnard-Matisse » ? Judicieuse à plus d’un titre. Non seulement il devenait impératif de trouver effectivement plus d’espace pour exposer les amis des amis qui sont des amis… mais en plus l’architecte Silvio d’Ascia a eu l’idée géniale de ne rien gâter du bijou d’architecture moderniste conçu en son temps par Josep Lluis Sert… en n’y jouxtant aucune construction. Il a choisi de creuser les 500 m2 supplémentaires sous la cour Giacometti et la courette Miro ! Deux immenses salles sont ainsi reliées en sous-sol par une galerie, éclairées de larges baies vitrées s’ouvrant sur la pinède, laissant aux œuvres emblématiques de la collection toute la place pour se déployer en majesté sans toucher à l’intégrité visuelle du célèbre bâtiment aux cornettes blanches. Chapeau bas.

En consacrant un très bel article dans Beaux Arts Magazine aux 60 ans de l’institution mythique de l’art moderne et contemporain, je ne vous cache pas qu’Emmanuelle Lequeux a ravivé mon envie d’aller poser ma roulotte à Saint-Paul-de-Vence. L’occasion sera d’ailleurs rêvée lorsque je serai à Digne-les-Bains pour visiter la maison d’Alexandra David-Neel, cette artiste exploratrice dont je viens de redécouvrir l’œuvre romanesque grâce aux éditions du Tripode, et que je vous recommande donc au passage. Il ne me restera après tout qu’à descendre un peu plus bas pour écouter l’art moderne chanter avec les cigales à Saint-Paul-de-Vence… Et vous, ça vous tente ? Je vous en raconte un peu plus alors.

Il est loin le temps où Aimé Maeght vendait des tableaux de tout son cœur dans sa galerie d’art de Cannes dès 1941, ou dans celle de Paris dès 1945, après s’être lui-même rêvé peintre, en vain, n’en avoir gardé aucune amertume, s’être employé dans une imprimerie cannoise puis avoir créé avec Marguerite un magasin de décoration. L’édition le passionnait. C’est ainsi qu’il avait réalisé une lithographie pour Pierre Bonnard avant que les deux hommes ne se lient d’amitié, et que ne les rejoignent Matisse, Kees Van Dongen... dans cette région chérie des artistes des Années folles. Le magasin de décoration baptisé Arte étant devenu très vite en réalité une galerie d’art, les Maeght y organisent leur première exposition : « Artistes-artisans », avec ni plus ni moins des œuvres de Le Corbusier, Matisse, Rouault... Aimé Maeght veut démocratiser l’art. Il invite tous ses amis à pratiquer la gravure pour pouvoir les éditer. Il marie peintres et poètes sur le papier. Et c’est son fils Adrien qui les imprime chez Arte. Leur galerie d’art suivra l’esprit du temps jusqu’au début des années 1960, avec les frères Bram et Geer van Velde, Pierre Tal Coat ou Antoni Tapies. Par contre les Nouveaux Réalistes et le pop art ne seront pas à leur goût. Tout le monde a ses limites. Et les amis à soutenir sont déjà bien nombreux.

Alors, certes, de l’eau a coulé sous les ponts depuis cette belle histoire d’amitié(s), avec pas mal de remous par moments d’ailleurs. N’empêche que sans l’activité de marchands de tableaux, jamais Aimé et Marguerite n’auraient pu réunir les fonds nécessaires à la construction d’une Fondation Maeght devenue référence en la matière. C’est en effet la vente de deux tableaux de Braque, d’un Matisse, d’un Léger et d’un Bonnard qui leur permettra de réunir les vingt millions de francs de l’époque nécessaires au financement du projet de leur vie : un lieu conçu pour et avec les artistes. Il faut se représenter les peintres et les sculpteurs contemporains de l’architecte collaborant alors, « en imaginant des œuvres s’intégrant au bâtiment et au paysage, entre chênes-lièges, thym et romarin : ainsi naissent la cour Giacometti et le labyrinthe Miro, un parcours entier de sculptures dans les jardins » nous raconte Emmanuelle Lequeux. « Chagall et Tal Coat réalisent des mosaïques aux murs, Braque un bassin et un vitrail, Pol Bury une fontaine. » Ils sont tous là ! Et les Maeght n’hésitent évidemment pas une seconde à léguer le fonds de leur propre collection d’œuvres d’art, dont les toiles et les sculptures des « cinq grands » qui ont façonné leur destin : Braque, Giacometti, Kandinsky, Chagall et Miro. De toute façon, Aimé Maeght en est convaincu : « Avec la socialisation probable de notre société dans l’avenir, la position du marchand de tableaux est devenue anachronique. Les avantages sociaux dont vont bénéficier les artistes vont en quelque sorte les réintégrer dans la société. D’autre part, la notion du collectionneur qui cache ses tableaux est une notion dépassée. De nos jours, on est plus dépositaire que propriétaire. Regardez les Etats-Unis. J’espère que ce centre apportera dans l’art contemporain un élément expérimental, d’avant-garde, de création. Enfin, je suis content de montrer mes tableaux. »

Formidable visionnaire que ce Pierre Maeght. Même si je crois que les profits du très lucratif marché de l’art contemporain l’emportent hélas sur les avantages sociaux accordés aux artistes… Ce qui est sûr, c’est qu’effectivement, les collectionneurs et mécènes ne se contentent plus d’acheter des œuvres d’art pour leur intérieur, ni même pour seulement spéculer sur le marché de l’art : ils sont désormais légion a vouloir les montrer en créant des fondations, voire en léguant de si belles collections d’art moderne et contemporain à leur ville de cœur que cette dernière en crée un musée, à l’image des Lévy à Troyes, dont je vous reparlerai un jour. Tant mieux pour les artistes contemporains qui s’y font connaître et éventuellement repérer par de nouvelles galeries d’art. Tant mieux aussi pour les regardeurs comme moi.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration :

Gauche : Henri Matisse, Mouvement de danse, 1945. Encre de Chine et couleur sur papier, 28 x 21,3 cm. Collection particulière, courtesy Dina Vierny, Paris Photo Jean-Louis Losi © Succession H. Matisse

Droite : Pierre Bonnard, Nu de dos à la toilette, hiver 1934. Huile et crayon sur panneau de bois, 107,3 x 74 cm x 30 cm. Collection Centre Pompidou – Musée National d’art moderne – Centre de création Photo Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. GrandPalaisRmn / Jean-Claude Planchet

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