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Petit tour en « whistlerisme »
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Septembre 2024 | Temps de lecture : 31 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « James Abbott McNeill Whistler : L'effet papillon », à voir au Musée des Beaux-Arts de Rouen jusqu’au 22 septembre.

A l’occasion des 150 ans de la naissance de l’impressionnisme, le musée des beaux-arts de Rouen offre cet été de s’imprégner d’un « phénomène artistique » baptisé « le whistlerisme ». Mais qui donc est cet artiste dont l'approche artistique et la philosophie de l'art sont qualifiées de « phénomène » au point de donner son nom à un courant pictural ? Pourquoi reste-t-il encore relativement méconnu en France, alors qu’il a de son temps fasciné Proust, Huysmans et Oscar Wilde ? Alors qu’il a même été l’égal d’un Cézanne en tant que chef de file de la peinture au XXe siècle ? Qu’est-ce qu’il a de si spécial, ce James Abbott McNeill Whistler, peintre, dessinateur et graveur américain né en 1834 dans le Massachusetts, mort à Londres en 1903, et ayant plusieurs fois séjourné en Normandie, notamment avec Gustave Courbet (qui fut son ami avant de lui piquer sa femme) ?

D’abord, il est un fervent défenseur de l'idée que l'art doit être apprécié pour sa beauté intrinsèque et non pour son contenu moral, narratif ou didactique. Cette notion est encapsulée dans le mouvement de « l'Art pour l'Art » (Art for Art's Sake). Ensuite, influencé par l'art japonais, Whistler a intégré des éléments de composition, de simplification des formes et de l'utilisation de l'espace vide, mettant en avant une esthétique minimaliste et épurée. Il est par ailleurs également reconnu pour sa maîtrise des couleurs subtiles et des tons harmonieux, ayant souvent utilisé des palettes restreintes pour créer des effets atmosphériques et émotionnels. Ses Nocturnes, par exemple, sont célèbres pour leurs nuances de bleu et de gris qui évoquent des scènes nocturnes brumeuses à la matière très fine, au contraire de celles de Turner. Enfin, Whistler comparait ses tableaux à des compositions musicales, en utilisant des termes comme Symphony, Nocturne et Arrangement pour titrer ses œuvres. Cette comparaison souligne l'importance qu'il accordait à la composition et à l'harmonie visuelle, semblables à celles d'une pièce de musique.

Aussi l’exposition « James Abbott McNeill Whistler : L'effet papillon », qui se tient au Musée des Beaux-Arts de Rouen jusqu’au 22 septembre, est-elle conçue pour être une expérience sensorielle immersive. Les visiteurs peuvent en effet non seulement admirer les œuvres de Whistler, mais aussi profiter de la musique, des textiles et des fragrances qui complètent leur contemplation. Une approche multi-sensorielle des œuvres d’art, qui engage non seulement la vue, mais aussi le toucher et l'ouïe, pour offrir une expérience plus enrichissante et émotionnelle. Les enfants ne sont pas en reste, avec un parcours guidé par les personnages de la bande dessinée « Ariol » créée par Emmanuel Guibert et Marc Boutavant, afin de rendre l'art de Whistler accessible aux jeunes visiteurs, de favoriser les liens intergénérationnels et de rendre l'exposition ludique et éducative.

Les œuvres d’art exposées dans cette exposition, même si l’on peut regretter le peu de prêts américains qui auraient évité de noyer un peu les peintures de Whistler au milieu de celles de ses émules, incluent des paysages, des portraits et des scènes de nuit, démontrant les qualités de Whistler en tant que coloriste. Son utilisation subtile des couleurs et son talent pour capturer des atmosphères éphémères sont effectivement bien mis en avant, notamment à travers ses célèbres nocturnes et ses vues diurnes de Londres et de Venise. Mais comme le rappelle Sophie Flouquet dans son article pour le numéro estival de Beaux Arts Magazine, « le peintre américain fut adulé en son temps, avant d’être effacé en France par une critique un tantinet chauvine ayant plutôt misé sur les impressionnistes, ses contemporains ». D’où l’événement que constitue cette exposition en forme de « retour sur une carrière intransigeante et sur la nébuleuse de l’artiste », puisque depuis 1995, aucun musée français n’avait consacré d’exposition au chef de file que fut James Abbott McNeill Whistler !

Il faut dire que si l’on résume son œuvre à quelques majestueux portraits assez sombres, aux harmonies rigoureusement maîtrisées et à la matière picturale parfaitement lisse… on se demande ce qui a tant prêté à l’extase. Quelle œuvre d’art incarne mieux l’austérité que le célèbre portrait de sa mère, hiératique en diable et sobrement intitulé Arrangement en gris et noir n°1 ? Il n’empêche qu’elle n’a eu de cesse d’être revisitée, voire pastichée, par des artistes du monde entier. « Elle fut surtout au centre d’une incroyable mobilisation d’artistes, poètes et critiques d’art afin d’être achetée par l’Etat français – en 1891, soit vingt ans après sa création », rappelle la journaliste de Beaux Arts Magazine. « Ce qui fut fait, raison pour laquelle le grand tableau figure aujourd’hui sur les cimaises du musée d’Orsay, où les Américains se pressent pour voir cette icône patrimoniale qu’ils rêveraient de voir accrochée chez eux. »

Devant la fascination qu’a exercé l’artiste, le critique d’art Camille Mauclair évoquait à l’époque « un mouvement de sensibilité mystérieuse propagée autour de M. Whistler ». Dans son Hommage à Delacroix, le peintre Henri Fantin-Latour n’avait d’ailleurs pas hésité en 1864 à placer Whistler au centre de la composition où figuraient notamment Baudelaire et Manet. Il lui fait tenir un bouquet de fleurs, comme pour mieux le désigner intermédiaire évident entre le chantre du romantisme et ses pairs. Lorsqu’au Salon de 1863 deux œuvres d’art à vendre font scandale, il s’agit ni plus ni moins du fameux Déjeuner sur l’herbe de Manet, ça on le sait, mais aussi de Symphonie en blanc n°1 : La Jeune Fille en blanc de Whistler. Et ça, on le sait beaucoup moins. Pourtant, la toile avait déjà été refusée l’année précédente par la Royal Academy de Londres, soupçonnée de représenter une jeune fille ayant perdu sa virginité… et donc jugée peu convenable.

Révolutionnaire, Whistler ? Ni naturaliste, ni impressionniste, il refuse pourtant carrément l’invitation de Degas à exposer en 1874 avec les jeunes rebelles de l’art contemporain de l’époque. Il préfère vendre ses œuvres d’art au Salon, lequel régit alors à Paris tout le marché de l’art. Mais il ne cesse toutefois jamais de donner des coups de pied dans la fourmilière de l’académisme. Disons donc plutôt que Whistler est difficile à cerner. Entre l’austère portrait de sa mère et le merveilleux tableau où sa compagne Joanna pose en total look japonais, il sème ses papillons aux ailes déployées sur certains de ces tableaux, et un souffle d’air sur toute l’histoire de l’art.

Lorsque l’éminent critique d’art anglais John Ruskin publie en 1878 un texte vilipendant son Nocturne en noir et or : La Fusée qui retombe, il rue dans les brancards. Il intente carrément un procès en diffamation à ce John Ruskin, auteur de la formule devenue célèbre : « Je ne m’attendais pas à entendre un faquin demander deux cents guinées pour jeter un pot de peinture à la face du public. » Et il gagne ! Alors certes, Whistler est ruiné après cette joute judiciaire très coûteuse. Mais sa réputation en sort tellement grandie, que c’est à ce moment-là qu’émerge l’étonnant terme de « whistlérisme ». Une aura plus qu’une école.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

Illustration : James Abbott McNeill Whistler, Symphony in White, No. 2 : The Little White Girl, 1864. Huile sur toile - © Tate Britain

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