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Du côté de chez Proust
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Septembre 2024 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’extension et de la restauration de la Maison de Tante Léonie – Musée Marcel Proust à Illiers-Combray (28), à visiter toute l’année.

Une modeste aquarelle de Suzette Lemaire représentant le château de Réveillon, dans la Marne, susciterait-elle autant d’émotion, si elle ne représentait pas le décor des amours de Marcel Proust et de Reynaldo Hahn ? Si on n’en retrouvait pas des traces dans Les Plaisirs et les Jours, recueil de poèmes et de nouvelles de Marcel Proust, ainsi que dans Jean Santeuil, son roman de jeunesse inachevé ?

C’est tout le charme de la maison de Tante Léonie – musée Marcel Proust. On y croise l’histoire de l’art avec la recherche du temps perdu. On s’intéresse soudain à des artistes contemporains de Marcel Proust même s’ils n’ont jamais affolé le marché de l’art. Même si on ne les a jamais croisés aux cimaises d’une galerie d’art. Suzanne, dite Suzette, est la fille de Madeleine Lemaire, propriétaire du fameux château de Réveillon, également peintre, qui inspira le personnage de Mme Verdurin dans A la recherche du temps perdu. On doit d’ailleurs à Edouard Manet un superbe portrait de profil de Suzette Lemaire, laquelle entretenait une correspondance assidue avec ses amis Marcel et Reynaldo, au point de les convaincre de venir passer deux longs séjours au château en 1894 et 1895, où ils purent à loisir développer leur passion amoureuse. L’écrivain et le compositeur s’étaient rencontrés quelques mois plus tôt dans les salons de Madeleine Lemaire, à Dieppe, laquelle y recevait aussi bien Sarah Bernhardt qu’Anatole France, Puvis de Chavannes, Jean Béraud ou Edouard Detaille. Le Tout Paris se pressait dans cette villa dieppoise sans toujours y prendre beaucoup de plaisir apparemment. Sans doute les artistes espéraient-ils y croiser des amateurs susceptibles de s’intéresser à leurs œuvres d’art à vendre. Même si l’auteur André Germain, qui fut invité chez Madeleine Lemaire et qui écrivit sur Marcel Proust, la qualifie de « massacreuse de roses » et la trouve laide, disgracieuse et autoritaire… Madeleine Lemaire n’en devint pas moins l’une des deux seules membres féminines, avec Louise Catherine Breslau, de la Société nationale des beaux-arts, refondée en 1890 par Ernest Meissonnier, avec notamment Auguste Rodin et Jules Dalou… Elle compta même Marie Laurencin parmi ses élèves.

Bref, le plaisir est grand de pouvoir se replonger dans la vie artistique de cette fin de siècle tout en déambulant dans « la maison de Tante Léonie », alias Elisabeth Amiot, véritable nom de la tante de Marcel de Proust, à Illiers-Combray, en Eure-et-Loir. Là où se passe, oui, le fameux passage de la madeleine ! « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray, quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul », écrit le narrateur de Du côté de chez Swann. Comme l’écrit, elle, Isabelle Manca-Kunert dans son article pour le numéro estival de L’Oeil, « certains lieux dégagent un parfum reconnaissable entre tous ; d’autres suggèrent une saveur inoubliable. Impossible de franchir le seuil de la maison de Tante Léonie sans penser aussitôt à la fameuse gourmandise indissociable de cette maison-musée d’Illiers-Combray. (…) Le destin de cette demeure, et plus largement de la ville toute entière, est inséparable de la figure du prix Goncourt 1919. Berceau de la famille depuis des générations, Illiers a même – fait unique en France – fusionné son nom avec celui de son avatar littéraire, Combray, pour devenir Illiers-Combray en 1971 à l’occasion du centenaire de l’écrivain. » Rien que ça !

Enfant, le romancier a effectivement passé de 1877 à 1880 ses vacances de Pâques dans ce bourg où le temps semble s’être arrêté. Et où il n’imaginait sans doute pas qu’une statue à son effigie trônerait un jour ! Comme le précise la journaliste de L’Oeil, « la cité a choyé cet héritage, d’autant qu’il s’agit du seul lieu de mémoire proustien conservé, car les différents appartements qu’il a occupés à Paris ont disparu ou ont été drastiquement transformés. Après la disparition des propriétaires, la maison a heureusement été peu touchée, bien qu’elle ait été mise en location. Pour préserver l’esprit du site, les descendants comprennent rapidement la nécessité de sauvegarder le lieu et de conserver à l’identique ce qui pouvait encore l’être. » Des descendants soutenus par la Société des amis de Marcel Proust, qui vont donc recréer le décor intérieur en s’inspirant des descriptions littéraires et en mettant en scène d’authentiques meubles de famille et des pièces ressuscitant l’ambiance de l’époque. Pèlerinage incontournable évidemment : la chambre de la tante hypocondriaque et mélancolique. Sur sa table de chevet, sous verre certes mais tout de même, sont ainsi soigneusement placés ses livres de messe, sa statuette de Sainte Vierge, ses médicaments, sa fameuse tisanière remplie de feuilles de tilleul… et la célèbre madeleine.

Tout le monde y a été de ses dons et legs pour faire de cette demeure bourgeoise, non seulement une maison classée au titre des Monuments historiques, labellisée « Maison des illustres » et « Maison des écrivains », mais également « Musée de France ». Un cas inédit pour un établissement associatif. La Société des amis de Marcel Proust, qui gère le site, continue donc d’enrichir activement les collections du musée. Jusqu’à ce qu’une extension soit devenue indispensable, ainsi qu’une sérieuse restauration. Les deux viennent d’être menées pendant deux ans et demi. Ainsi dans la chambre où dormait le petit Marcel a récemment été installée une lanterne magique qui projette l’histoire de Geneviève de Brabant, faisant écho au passage où le narrateur raconte que la famille utilisait cet appareil pour le distraire. Le salon oriental de l’oncle de Marcel, Jules Amiot, passionné d’orientalisme après avoir effectué plusieurs séjours en Afrique du Nord, a bénéficié également d’une restauration spectaculaire, révélant toute la magie du vitrail dans lequel jouent les rayons du soleil, et dont les « petits carreaux de couleur » ont tant marqué l’écrivain. Mais surtout, un ensemble d’œuvres d’art permet de portraiturer le monde de Proust. Sur les cimaises sont en effet réunis les tableaux peints par les gens qu’il a aimés, côtoyés, ou représentant les gens qu’il a aimés, côtoyés.

Tandis que le nouveau parcours présente des documents, des photographies et des reliques au rez-de-chaussée, les nouvelles salles de l’étage mettent donc en scène ces tableaux emblématiques des cercles proustiens. Des œuvres de Paul-César Helleu (le petit musée originel s’est en effet étoffé de prestigieux dépôts, comme celui consenti par le musée d’Orsay de l’intérieur de la cathédrale d’Amiens peint par ce peintre qui inspira à Proust le personnage d’Elstir) ou de Giovanni Boldini, côtoient la récente acquisition du sublime Portrait présumé de Mme Jeanne Samary de la Comédie-Française, peint par Louise Abbéma en 1880, ou l’émouvant Portrait de Jeanne Proust, la mère de l’écrivain, peint par Anaïs Beauvais et qui a fait l’objet d’une restauration en 2020 à l’occasion d’un prêt au musée Carnavalet. Vous l’aurez compris : quand on aime comme moi la littérature autant que la peinture, on vit un moment suspendu à Illiers-Combray. Je ne pouvais donc que vous inviter à aller à votre tour mettre vos pas dans ceux de Marcel…

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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