Ils sont fous ces Romains !
A propos de l’exposition « Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia » visible au musée du Louvre jusqu’au 11 novembre 2024.
Elle est incroyable, cette histoire des chefs-d’œuvre de la collection Torlonia ! Personnellement je ne la connaissais pas encore, alors je suis enchantée que Jean-Michel Charbonnier y consacre un article dans le numéro estival de Connaissance des arts, à l’occasion de l’exposition de quatre-vingt-dix marbres et un bronze d’époque romaine qui se tient actuellement au Louvre. Les deux tiers de ces œuvres offrant un aperçu fascinant de l'art et de la culture de la Rome antique proviennent en effet de cette fameuse collection Torlonia, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse italienne.
En gros, le prince Alessandro Torlonia (celui qui est né en 1925 et mort en 2017, parce qu’il y en a d’autres dans l’arbre généalogique de la dynastie patricienne, donc je vous la fais courte) avait tranquillement, et complètement illégalement, transformé en appartements privés un musée créé en 1875 pour abriter la collection exceptionnelle de marbres constituée par son ancêtre Giovanni Torlonia (1754-1829), richissime banquier italien. Poursuivi en justice par le gouvernement italien quand le pot aux roses a été découvert en 1979 grâce à une enquête journalistique, notre Alessandro, peut-être sensible à l’art contemporain (l’histoire ne le dit pas) mais en tout cas pas du tout à l’art antique visiblement, a finalement créé une fondation in extremis, présidée par un de ses petits-fils (un Alessandro aussi), histoire de faire sortir officiellement, après trois décennies de négociations et moult rebondissements, les quelque six cents œuvres d’art de l’entresol où elles avaient été entassées, et surtout de rentrer dans les clous… trois ans avant de mourir ! Je vous passe les tractations ayant précédé, avec Silvio Berlusconi ou même avec le Getty Museum de Los Angeles, mais ça vous donne quand même une idée de la valeur de ces marbres qui étaient tout à coup complètement sortis des radars ! Chercheurs, historiens, archéologues, défenseurs du patrimoine, amateurs d’art… c’était soudain un tollé général ! Parce que figurez-vous qu’en 1875, lorsque le musée de Trastevere avait ouvert, quelques années après l’annexion de Rome au royaume d’Italie, un catalogue avait carrément été publié par les archéologues Visconti (l’oncle et le neveu) avec la reproduction des œuvres en phototypie : une première pour un musée de sculpture ! Donc on savait très bien ce qu’il fallait retrouver dans l’entresol de ce bâtiment du quartier du Trastevere, sur la rive droite du Tibre…
Bref. Un accord a fini par être signé en 2016 avec le ministère des Biens et des Activités culturelles et du Tourisme, après que deux éminents professeurs d’archéologie grecque et romaine aient rendu leur expertise. La maison de joaillerie Bulgari a apporté son soutien financier pour que les marbres soient restaurés… et la collection Torlonia a enfin pu être exposée pour la première fois au grand public à Rome, aux Musées du Capitole, lors d'une exposition intitulée « I Marmi Torlonia. Collecting Masterpieces », qui s'est tenue du 14 octobre 2020 au 29 juin 2021. En plein Covid. Peu vue donc, par la force des choses, cette exposition a malgré tout marqué une étape importante, car la collection Torlonia, composée de 96 œuvres choisies parmi plus de 620 sculptures antiques, n'avait jamais été exposée en dehors des cercles privés de la famille depuis sa constitution. Même avant qu’elle ne croupisse dans un entresol, bien peu de monde l’avait vue de ses yeux vus. L'exposition italienne avait donc sidéré tout le monde en présentant de véritables chefs-d'œuvre, dont des bustes, des reliefs, des sarcophages, et des statues, révélant l'incroyable richesse de cette collection.
L'exposition « Chefs-d'œuvre de la collection Torlonia » visible au musée du Louvre jusqu’au 11 novembre met en avant plusieurs œuvres majeures de cette collection d’œuvres d’art antiques. Parmi les œuvres d’art achetées par le collectionneur Giovanni Torlonia (1754-1829), qui n’imaginait sûrement pas qu’un de ses descendants n’y trouverait un jour plus aucun intérêt, vous pourrez par exemple admirer :
- Le Sarcophage des Époux : magnifique exemple de l'art funéraire romain, œuvre monumentale, ce sarcophage est décoré de motifs et de scènes complexes, reflétant la richesse et l'importance sociale des défunts et racontant des histoires mythologiques, souvent associées à l'amour et à la mort.
- La Statue de la Muse : Une sculpture élégante représentant une muse, incarnant l'inspiration poétique. Cette statue illustre l'influence grecque sur l'art romain.
- Le Buste d'Hadrien : Un buste impérial remarquablement détaillé représentant l'empereur Hadrien, connu pour son rôle dans la consolidation de l'Empire romain. Un excellent exemple du portrait romain impérial, caractérisé par son réalisme et l'expression sereine du visage.
- Le Vase Borghèse : Une pièce spectaculaire en marbre ornée de scènes de la mythologie grecque, représentant des divinités et des figures héroïques.
- Athéna Parthénos : Une réplique de la célèbre statue d'Athéna, déesse grecque de la sagesse et de la guerre, qui témoigne de l'influence de Phidias, l'un des plus grands sculpteurs de la Grèce antique.
Il ne faudrait surtout pas que j’oublie de vous parler aussi de l’unique statue en bronze, pseudo-effigie du prince et chef militaire Germanicus…
Ces œuvres, parmi d'autres, sont exposées dans l’écrin du Louvre, prestigieuse galerie d’art qui leur va très bien, et dans une mise en scène qui souligne leur importance historique et artistique, permettant aux visiteurs de plonger dans la richesse de l'art antique romain et grec. L'exposition est organisée en plusieurs sections thématiques qui explorent les influences artistiques grecques sur l'art romain ainsi que l'originalité de la sculpture romaine. Sans compter que les marbres antiques de la collection Torlonia peuvent être rapprochés de l'œuvre de plusieurs artistes contemporains qui s'intéressent à la forme humaine, à la matérialité, et à l'héritage classique. Comme Damien Hirst, connu pour son utilisation de l'antiquité dans des œuvres comme celles de la série Treasures from the Wreck of the Unbelievable, et qui revisite les thèmes classiques en les réinterprétant avec des matériaux modernes et des contextes contemporains. Ses sculptures massives, qui imitent l'usure et le vieillissement des marbres anciens rappellent énormément l'esthétique antique des œuvres Torlonia.
Mais on pourrait aussi citer Jeff Koons, dont les sculptures en acier inoxydable, souvent dorées et poliées, comme celles de la série Antiquity, s'inspirent directement de la sculpture gréco-romaine. Bien que son approche soit plus pop et kitsch, l'influence des formes classiques est évidente, et il explore la même fascination pour l'idéalisation du corps humain que les marbres antiques. Et que dire de Jan Fabre, cet artiste belge qui explore la corporalité et l'héritage culturel dans ses œuvres, en utilisant des matériaux comme le marbre et le bronze pour créer des sculptures qui réinterprètent les traditions classiques tout en les confrontant à des questions contemporaines sur la violence, la mort, et la mémoire… Quant à Antony Gormley, bien que son style soit plus abstrait, il partage avec les sculpteurs antiques un intérêt pour la représentation du corps humain, souvent réduit à sa forme la plus élémentaire. Son travail sur la forme humaine en tant que volume dans l'espace fait finalement assez bien écho à la manière dont les sculpteurs antiques exploitaient la relation entre la sculpture et l'espace.
L'exposition au Louvre offrant également des visites guidées et des programmes éducatifs pour les jeunes, elle permet vraiment aux visiteurs de découvrir ces trésors sous divers angles. Et comme on a bien compris que c’est une occasion rare de les admirer, évidemment on en profite !
Article écrit par Valibri en Roulotte